Chapitre 06.3

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Son plan fut mis à exécution juste après que leur groupe ait été divisé en trois.

L’un était resté sur place à garder le camp. L’autre devait explorer la forêt.

Le sien, sous les ordres du Capitaine Delrio, devait descendre de la falaise et franchir la rivière.

Ils avaient longé l’escarpement sans trouver autre chose qu’un promontoire, quelques mètres plus bas, comme elle l'avait remarqué la veille.

Comprenant qu’il n’existait aucune issue de ce côté-ci, Delrio avait annoncé qu’ils allaient devoir se préparer à descendre en rappel. Pour cela ils devaient retourner au camp chercher le matériel nécessaire.

Sans prévenir, et sans hésiter, elle avait pris son élan et s’était élancée au-dessus du vide.

Elle avait entendu à peine le Capitaine lui ordonner de s’arrêter. Elle avait surtout senti un de ses compagnons essayer de la courser.

En vain.

Esmelia avait été plus rapide que lui. Elle avait ressenti sa frayeur lorsqu’elle avait sauté par-dessus le précipice.

La chute avait été rapide. Sur ce versant donnant sur le promontoire qu’ils avaient pu apercevoir, les arbres qui poussaient au pied de la falaise étaient bien plus grands que sur la Terre. Leur cime ne semblait qu’à trois ou quatre mètres, cinq au maximum, de la falaise.

Comme elle l'avait espéré, la casse-cou s’était réceptionnée dans un sapin géant touffu, d’où elle s’était ensuite laissée glisser en bougeant un maximum de branches et en hurlant à la mort.

À quelques mètres de l’arrivée, elle avait produit une sorte de hoquet et s’était tue. Bien que contusionnée sur tout le corps, contrairement à ce qu'elle avait voulu faire croire à ses compagnons, elle était parvenue à se réceptionner en douceur sur l’une des grosses branches. Elle s’était furtivement glissée sur une branche voisine. Ce qui lui avait permis de passer au-dessus de la rivière.

Lorsque Esmelia fut suffisamment loin, surtout lorsqu’elle sentit qu’ils avaient beau essayer de voir si elle avait survécu à sa chute, elle sortit d’une grosse boite hermétique qu’elle avait glissée dans son sac à dos, avant son départ de la base. Elle l'ouvrit avec précaution. Un gros morceau de viande saignant qui donnait l’impression d’avoir été arraché à son propriétaire plutôt que découpé — ce qui n’était probablement pas faux — s'y trouvait.

Elle le balança en direction du premier arbre dans lequel elle avait atterri. Elle en fit de même pour le sang. Elle referma aussitôt la boite et la rangea dans un sac en plastique pour emprisonner l’odeur, déjà forte, qui s’en dégageait, puis elle la replaça temporairement dans son sac à dos considérablement allégé.

L’espionne ignorait quel genre de bestiaux carnivores régnait sur cette planète. Elle allait bientôt le savoir, car au mieux, elle n’allait pas tarder à arriver et retarderait une possible expédition de secours. Au pire, ses anciens camarades penseraient, en découvrant le morceau de cuisse sanguinolente, qu’elle avait obtenu d’un chirurgien clandestin, qu’une bête était passée avant eux. Le temps qu’ils ramènent ses restes à l’AMSEVE et qu’ils découvrent que ce bout de viande n’avait jamais couru de sa vie et avait été totalement été conçu en laboratoire, elle serait introuvable. De toutes les façons, il y avait peu de chance que le Général Doherty ordonne une troisième expédition sur Feloniacoupia. Deux pertes lui sembleraient déjà suffisantes.

Esmelia s’était éloignée le plus possible de son lieu de chute et des fauves ou quoi que ce fut. Lorsqu’elle se sentit suffisamment en sécurité, elle sortit de son sac des vêtements sombres, moins militaires, et se changea tout en surveillant son environnement. Pas question de se faire surprendre bêtement par un prédateur local. Celui-ci n’avait aucun rôle à jouer dans l’histoire.

La déserteuse avait gardé le fusil de l’AMSEVE. Elle le débarrassa de sa balise de repérage. Elle avait aussi un couteau. Une fois parée pour la suite de sa quête, elle avait balancé ses vêtements et son sac à dos en direction du sol et les avait arrosés du restant de sang contenu dans la boite. Ne pouvant emporter celle-ci, elle l’avait découpée avec son couteau et fourrée dans une ouverture du tronc, faite sans doute par un oiseau ou un rongeur. Personne n’irait le chercher là.

Elle avait poursuivi son chemin en passant par les branches de deux autres sapins avant de se décider à gagner la terre ferme. Bien que certaine d’être hors de vue de ses anciens compagnons, elle s’était éloignée en prenant soin de ne laisser aucune traces derrière elle.

La jeune femme avait marché, et souvent couru durant six jours et deux nuits, ne s’arrêtant que pour manger les quelques rations de survie qu’elle avait pris soin d’emporter avec elle, et pour dormir quelques heures.

Le troisième jour, le terrain qu’elle traversait avait radicalement changé. Le climat aussi. La frontière était nette. Dans son dos, elle avait eu un paysage de montagne enneigé. Devant elle, s’était étendue une plaine printanière, verdoyante et fleurie. Un territoire où elle avait dû se déplacer à découvert durant les jours suivants.

Dans sa fuite, elle se souvenait avoir senti un parfum d’orange ou de quelque chose qui y ressemblait. Il avait envahi sa gorge et ses poumons. Elle ressentait aussi la chaleur du soleil et la quiétude des lieux jusqu’au fond de son cœur.

Pour la première fois de sa vie, elle s’était sentie vivante et exactement là où elle devait être.

Quelque chose venait de s’éveiller en elle : un désir de vie et de liberté. Quelque chose qui lui appartenait à elle, Esmelia. Pas à Mead’. Du moins, le pensait-elle alors.

Elle avait eu le sentiment que la nature était avec elle, en elle.

Plus animale qu’humaine, elle avait humé durant les trois jours suivants ce vent parfumé de fleurs d’oranger.

Esmelia avait éprouvé cette force en elle, jusque-là endormie. Elle avait senti grandir dans sa poitrine, s’éveillant, lentement. C’était une entité lumineuse qui pris de la force au rythme de sa course. Ou peut-être avant, dans la singularité, l'amber hole.

Elle avait parfois l’impression d’en tirer son énergie, sa vie même.

Elle avait réussi à atteindre une sorte verger. Le parfum était devenu entêtant, étourdissant, enivrant.

À son arrivée, les lieux étaient devenus étrangement silencieux, ou était-ce déjà le cas avant.

Elle n’avait pas eu le temps d’y prêter une très grande attention.

Elle n’avait capté que les informations essentielles... Les présences de plusieurs individus.

Ils étaient deux, proches d’elle. Un autre les attendait un peu plus loin, prêt à lui couper la route si elle leur échappait en faisant demi-tour. Ce qu’elle n’avait pas l’intention de faire.

Une quatrième complice les attendait auprès de trois bêtes de somme et un chariot avec des prisonniers. Aucun des quatre bandits n’appartenait à la même espèce. Ils formaient même un curieux assortiment.

Esmelia sourit intérieurement. C’était une autre information essentielle. Cette planète était un carrefour des civilisations. Au moins, de celles qui vivaient dans ce système. Ce qui signifiait qu'il y avait des voyages spatiaux, et donc des vaisseaux.

Au terme de cette dernière découverte, elle s’était retrouvée avec un sac en toile sur la tête, et une double paire de bras musclés qui la ceinturait.

Elle avait eu le temps d’apercevoir une créature humanoïde, un géant, le visage gris tatoué de motifs bleu ciel et un seul œil au milieu du front.

Elle s’était débattue, juste ce qu’il fallait pour ne pas décourager ses agresseurs, et ne pas leur faciliter la tâche.

En réalité, elle n’avait rien eu à craindre d’eux. Si elle l’avait souhaité, elle aurait pu les tuer à n’importe quel moment. Elle avait seulement voulu leur faire croire qu’elle était ce qu’ils pensaient : une proie.

Elle avait eu le temps de décoder certaines de leurs pensées. Des informations essentielles.

Ils n’avaient pas l’intention de la tuer, ou même de lui faire le moindre mal. Au contraire. Leur projet était tout autre…

En premier lieu : la neutraliser en lui donnant un coup sur la tête.

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