Chapitre 01.3

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Dans ce journal, même s’il avait mis très longtemps à y croire et plus encore à l’accepter, il avait retrouvé cette part manquante qu’elle évoquait parfois avec lui, comme dans ses écrits personnels.

Du moins ceux qu’il pouvait lire et comprendre, car la moitié d’entre eux étaient écrits dans les signes cunéiformes d’une langue incompréhensible pour lui. Cela ressemblait à des runes, mais n’en était pourtant pas. Il avait eu beau faire des recherches dans diverses directions, engager des experts en cryptologie, il ne découvrit aucun autre exemple de cette écriture de par le monde. Il pensa alors qu’elle avait inventé son propre langage, son propre code.

Cela n’avait rien changé à ce qu’il ressentait pour elle. Il l’avait aimée dès le premier regard, et de plus en plus chaque jour jusqu’à sa mort. Malgré cette étrangeté, ce qu’elle avait été, ou crut être, lui importait peu, car cela faisait partie de sa personnalité.

Dès l’âge de quatre ans, Olive démontra qu’elle était une enfant avec une mémoire d’adulte. Il découvrit qu’elle possédait les souvenirs intacts des deux vies d’Anna-Louise, celle de Mead’ qui avait pris la place de l’enfant, et celle du fantôme de celle-ci. Il comprit l'obsession de son épouse pour les ouvrages très anciens.

Il réalisa que ces vies étaient à la fois si distinctes et si entremêlées que Mead’-Olive avait eu des difficultés à les différencier les premières années.

Le cerveau d’un enfant n’était pas ajusté pour ce genre de cohabitation.

Pas plus que celui d’un adulte d’ailleurs, mais cela il l'ignorait.

Mead’ s’était endormie dans le corps d’Anna-Louise depuis ses douze ans, et elle s’était réveillée dans celui de son enfant. Ce n’était pas la première fois, que cela lui arrivait. Elle ne s'en souvenait pas réellement, mais la sensation lui était bien trop familière. Ce processus était inscrit en elle depuis des millénaires.

Mais elle aurait dû être la seule à se souvenir.

Les souvenirs d’Anna-Louise auraient dû disparaître avec elle.

Pourquoi restaient-ils imprimés dans l’esprit d’Olive ?

Mead’ se demandait comment elle parviendrait à concilier les mémoires d’Anna-Louise et d’Olive. Quelque chose dans la transition n’avait pas fonctionné. Elle n’avait pas le souvenir d’avoir vécu une telle situation.

Comment pouvait-elle en être certaine ?

Elle ne possédait aucun souvenir des membres des lignées qui avaient précédé celle d’Anna-Louise

Olive ressentait déjà sa présence comme une force d’invasion, et elle luttait contre elle de toutes ses forces. Ce qui était étonnant pour un être dont l’âme était inexistante…

Aurait dû être inexistante, corrigea Mead’.

Était-ce son enveloppe charnelle qui réagissait à sa présence ?

Le corps possédait une mémoire. Mead’ en était persuadée. Mais jusqu’à quel point cette mémoire pouvait-elle faire preuve de résilience ?

Elle savait qu’elle était plus forte qu’Olive. Si celle-ci s’avérait être une rebelle, elle saurait la canaliser, ou la faire taire une bonne fois pour toutes...

Après l’avoir lu, Adam avait remis à Olive le journal de sa mère. À l’âge où les autres enfants commençaient seulement à apprendre, elle, elle était déjà capable de le lire dans son intégralité. Elle déchiffrait tous les textes, y compris ceux qui étaient codés.

Depuis la mort d’Anna-Louise, Adam s’était plongé dans le travail.

Il avait effectué de très bons placements, investi dans différents commerces et racheté des entreprises qui n’avaient, depuis, cessé de prospérer.

Ses rares moments de liberté, il les consacrait néanmoins à son étrange enfant.

Il l’adorait et en était fier. Elle l’effrayait, parfois, par sa maturité, et surtout par son extraordinaire ressemblance avec Anna-Louise au même âge. Il avait pu le constater d’après les portraits que son épouse conservait dans une malle.

Lorsqu’elle pénétrait l’esprit d’Adam, Mead’ se sentait comme un animal face à un piège et qui, tôt ou tard, n’aurait d’autre choix que de s’y jeter.

Elle ne comprenait pas pourquoi, malgré le temps passé, les souvenirs que cet homme avait d’Anna-Louise étaient toujours aussi vifs. Sa peine était un puits sans fond. Il n’y avait pas un instant de sa vie où il ne pensait pas à elle, où il ne faisait pas quelque chose qui honore sa mémoire. Il n’essayait même pas de l’oublier. Même lorsqu’il se mit en tête de trouver une mère de substitution pour Olive.

La future nouvelle Madame Larson devait répondre à un certain nombre de critères bien définis. Elle devait être le genre de femme capable d’aimer un enfant malgré ses particularités, faire passer le bien-être de celui-ci avant le sien, être discrète, savoir tenir une maison aussi grande que leur hôtel particulier à Londres où le père et la fille vivaient alors, et savoir recevoir les associés ou les partenaires commerciaux de son mari. Elle devait avoir une bonne éducation et une réputation irréprochable. Enfin, elle devait être une femme de goût, cultivée, et à l’humeur égale, quelles que soient les circonstances.

Physiquement, elle ne devait ressembler en rien à son seul et unique amour.

Ne pas être jalouse d’un fantôme pouvait être un avantage très apprécié…

Trouver une telle créature aurait pu être une tâche ardue. Pourtant, celle-ci existait bel et bien.

Elle se nommait Rose Ternant.

Adam l'épousa à l’aube du vingtième siècle.

Dès sa première rencontre avec Olive, Rose fut surprise par la maturité de la petite fille. Comme son époux l’avait souhaité, la jeune femme mit un point d’honneur à l’élever comme son propre enfant.

Deux ans après leur mariage, Rose donna un fils à son époux.

Ils le nommèrent Adam junior.

Mead’ en fut heureuse pour Adam. Cela ne chassait pas pour autant Anna-Louise de ses pensées, mais au moins il avait retrouvé de nouvelles raisons de vivre et d’avancer.

Elle n’avait plus à veiller sur lui.

Quelques mois plus tard, elle s’endormit à nouveau. Simultanément, tous les souvenirs d’Anna-Louise disparurent de l’esprit d’Olive.

Ce fut très brutal. Elle dut réapprendre tout ce qu’une enfant de son âge aurait dû savoir.

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