Chapitre 14.3

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Esmelia continuait à observer la passerelle. Elle remarqua que celle-ci était divisée en deux ponts. Le premier, celui sur lequel ils se trouvaient était en demi-cercle

Les consoles se trouvaient chacune sur une moitié du demi-cercle. Elle voyait les mains de Grama et celles de l’autre pilote planer dessus et effectuer des points de pressions en divers endroits. Leurs doigts semblaient valser sur les surfaces opalescentes. Elle ne parvenait pas à en comprendre la chorégraphie. Elle devinait néanmoins que chaque geste devait correspondre à un ordre qui était exécuté quelque part à l’intérieur ou à l’extérieur du vaisseau.

À l’intérieur du demi-cercle, il y avait un autre pont qui pouvait être qualifié de pont intérieur. Voire d’inférieur, car il fallait descendre deux marches pour y accéder. Une troisième console s’y trouvait. Elle était large comme un homme écartant les bras. Elle comprit que, de cette manière, tous les éléments incrustés dans le tableau de bord étaient à portée de mains de celui qui devait se trouver aux commandes.

Elle comprit qu’il s’agissait du véritable poste de commandement. Celui du capitaine du vaisseau. Celui de Baal.

Comme s’il avait suivi le cheminement de sa pensée, Baal y descendit. La console l’identifia à son approche et s’illumina. Sur la surface apparut une suite de signes verts et rouges qui, à première vue, ressemblaient à ceux qu’elle avait pu voir sur d’anciens sites Hittites. Ils ne faisaient que lui ressembler, car elle ne les reconnut pas. Il se pouvait que ces signes soient un dérivé ou à l’origine des écritures Hittites. Un même langage qui aurait évolué différemment quelque part dans la Voie Lactée et sur la Terre.

Esmelia se rendit compte qu’il semblait avoir oublié leur présence. Il était pleinement à la manœuvre le regard fixé sur l’espace reconstitué sur la baie par les drones. Cette galaxie dans laquelle sa tête était mise à prix. Des individus souhaitaient sa mort plus que tout pour des raisons personnelles, et d’autres n’envisageaient pas une seule seconde de laisser passer l’occasion de s’enrichir en débarrassant l’univers de sa plus dangereuse création.

Elle ne le connaissait que depuis quelques heures, mais elle commençait à se demander s’il était réellement coupable des crimes qu’on lui imputait.

Elle sentit sa quiétude. Il n’y avait aucune tension dans ses gestes. Ses mains survolaient la console que ses doigts pianotaient avec élégance.

Elle devina plus qu’elle ne la sentit une accélération du vaisseau, peut-être même un changement de trajectoire.

— Quelle est notre vitesse ? demanda Will au second qui les avait rejoints.

— Un peu moins de deux milliards de miles par heure, répondit celui après un bref calcul mental.

Esmelia supposa que leur système métrique était différent de ceux des Terriens.

— Où allons-nous ?

Cette fois, le second sembla agacé par la question. Il jeta néanmoins un regard en direction de Baal qui, s’il l’avait entendue, ne daigna pas répondre.

Grama ne cacha pas son sourire de satisfaction.

— S’il avait voulu que vous le sachiez, il vous l’aurait dit. Suivez-moi. Je vais vous montrer l’endroit où vous pourrez prendre vos repas. Ensuite, Quick, vous conduira à vos cellules.

— Sommes-nous prisonniers ? s’informa Will.

— J’ignore quel est votre statut. Il ne me l’a pas dit. Mais si vous comptez vous échapper, je vous rappelle que vous êtes dans l’espace, dans un vaisseau dont la plupart des navettes sont hors service. Même si vous en trouvez une en état de marche, il vous faudra réussir à la faire décoller. Je vous le déconseille à moins de vouloir risquer la vie de toutes les personnes qui vivent dans ce vaisseau.

Au moins, ils ne pourraient pas dire qu’ils n’avaient pas été avertis.

Will préféra ne rien répondre, mais il ne resta pas silencieux pour autant.

— Vous savez, il est possible que je puisse faire quelque chose pour l’énergie du vaisseau, ou pour votre problème d’Intelligence Artificielle.

— Ah oui ?

— Quand j’étais jeune, je m’occupais de l’électricité chez moi… Je n’étais pas mauvais.

— On verra. Si on ne vous jette pas dans l’espace d’ici là.

Ils suivirent Grama dans un silence que seul le ronronnement des petites sphères volant au-dessus de leur épaule venait troubler.

*

Selon toute apparence, le capitaine du vaisseau différa son intention de les abandonner dans l’espace.

En fait, durant les premiers temps, tout au plus l’aperçurent-ils au détour d’un couloir.

Au cours des jours, puis des semaines, le mess devint l’un des lieux que Will et elle prirent l’habitude de fréquenter. Autant pour se retrouver en tête à tête que pour se mêler aux autres membres de l’équipage.

Ces derniers ne leur adressaient pourtant jamais la parole. Ils se contentaient de les observer à la dérobée, mais Will était persuadé qu’à force de les voir, ils s'habitueraient et finiraient par être acceptés.

Le mess ne jurait pas avec le reste du vaisseau et ne ressemblait en rien aux cantines militaires que Will et Esmelia connaissaient. Des tables de différentes tailles aux formes arrondit meublaient la pièce. Au centre, un distributeur alimentaire offrait à la demande tous les mets qui lui était demandé. Comment pouvait-il répondre aux multiples demandes des convives, cela restait un mystère pour les deux terriens. Cependant, il devint rapidement évident pour Will qui fit plusieurs tentatives que la palette des menus ne s’étendait pas au-delà des goûts alimentaires des labirés. Au lieu du steak-frites qu’il avait demandé, Will eut droit à une sorte de bouillie insipide accompagnée d’un morceau de viande qu’ils ne parvinrent ni l’autre à identifier.

Dans un rare moment de mansuétude à leur égard, Grama finit par leur conseiller quelques plats dont la consistance et le goût se rapprochaient d’aliments terrestres. Il les prévint néanmoins que le distributeur avait aussi ses caprices et que, certains jours, il se refusait à servir ce qu’on lui demandait.

Durant tout le repas, Will avait projeté de remédier à ce problème. Il avait déjà réglé le problème des coupures d’énergie et comptait s’attaquer à celui des températures, mais entre-temps, il avait découvert une autre complication plus préoccupante concernant les réserves d’air. Celle-ci baissait de façon anormale, ce qui laissait supposer que la coque du vaisseau avait un problème d’étanchéité. Sur ses conclusions alarmistes, la moitié des mécanos avaient abandonné leurs réparations sur les navettes pour des travaux d’entretien de la coque extérieure. Jusqu’à présent aucune fuite n’avait été repérée, mais les recherches se poursuivaient. Will, de son côté, recherchait d’autres causes qui pouvaient expliquer cette fuite d’oxygène. Il en venait à se demander si l’IA n’avait pas non plus un problème de gestion de l’air.

— Et tu t’y connais aussi en Intelligence Artificielle extraterrestre ?

Il n’y avait aucune ironie dans sa question. Elle cherchait juste à détendre l’atmosphère.

— Absolument pas, malheureusement. J'espère seulement qu'elle n'est pas intelligente au point d'être susceptible. Les états d'âme des Intelligences artificielles, ce n'est pas mon rayon.

Les cellules qui avaient, dans un premier temps, effrayé Will n’en avaient que le nom et la taille. Il y en avait une dizaine qui se trouvaient au même étage que les appartements de Baal. Elle avait compris qu’il s’agissait de chambres destinées aux invités. Elle ignorait encore où se trouvaient les dortoirs ou les appartements des labirés, ou les lieux de détente, car dans un vaisseau qui avait tout d’une petite ville, elle devinait que ce genre de lieu, comme les lieux de cultes, les salles de bain ou les salles de douches devaient exister. Au moins, Quick leur avait montré où se trouvaient les toilettes dès le premier jour. Une fois encore, elle avait été surprise par la propreté absolue des lieux. Elle s'était attendue à tout autre chose dans un lieu aussi communautaire qu'un vaisseau. elle songea que le récurrage des lieux communs faisait peut-être partie des punitions infligées à bord.

Malgré l’état visiblement délabré du vaisseau, l’équipage en prenait le plus grand soin. Plus qu’un bâtiment volant, il semblait être leur maison, leur havre de paix.

C’était aussi, étonnamment, ce qu’elle commençait à ressentir lorsqu'elle retournait dans sa cellule dont la décoration restait pourtant inexistante. Elle s’y sentait en repos. Même le froid ambiant n’avait pas de prise sur elle lorsqu'ele s'y trouvait.

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