Chapitre 34.1

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Les derniers labirés emportèrent ce qu’ils purent : arsenal, vivres et tout ce qui était nécessaire à leur survie, en milieu hostile ou non, pouvant être transporté rapidement.

Il ne leur restait que quelques minutes avant que le portail se referme. Baal leur ordonna de laisser les dernières caisses et de le franchir. Les labirés hésitèrent à peine à obéir à ce qui était clairement un ordre de la part de leur protecteur. La dernière chose qui les retenait encore à bord était de savoir que leur maître ne quitterait pas le vaisseau avant d'être certain d'être le dernier humanoïde à bord. L'idée de l'emmener de force était bien présente dans leur esprit. Elle luttait contre des siècles d'obéissances aux Baal. Ces derniers l'emportèrent finalement.

Alors que l'ancien dieu s’entretenait avec Grama, Esmelia ne put s’empêcher de tendre l’oreille pour entendre ce qu’ils se disaient.

Sans l’avoir cherché, elle s’était retrouvée catapultée dans la tête du second. Elle ne chercha pas à s’en extraire. Curieuse, elle voulait savoir ce qu’il allait advenir des labirés. Sur quelle planète iraient-ils ? Que feraient-ils ensuite ?

Elle eut aussitôt une partie réponse.

Le tunnel devait les envoyer dans un système voisin de celui où ils se trouvaient actuellement, en bordure de la Voie Lactée et du bras de l’Ecu-Croix, sur une petite planète viable, et tranquille côté visites spatiales. Ils pourraient y rester plusieurs semaines pour y reprendre des forces. À charge, ensuite, pour Grama de les reconduire chez eux, dans leur système solaire, sur leur planète natale, Sumer, sains et saufs.

Une fois dans leur foyer, ils ne devaient plus en bouger, et éviter de se faire remarquer, car les ennemis de Baal ne leur pardonneraient sûrement pas leur fidélité à un suzerain dont la tête était mise à prix dans la plupart des systèmes de la galaxie.

De tous, Grama serait sûrement le plus exposé... Pour Esmelia, ce fut une surprise autant qu'une révélation.

Découvrir que Grama n’était pas un Sumérien ne l’étonna guère, mais qu’il était né Terrien, elle ne l'aurait jamais parié. Mais en dehors d'elle, de Baal et de certains Sumériens, qui pouvait faire le lien entre lui et la Terre ? Ses ascendances pouvaient être qualifiées de mythiques dans ces territoires si éloignés de la planète bleue. Le distinguaient-elles pour autant de l'ensemble des individus issus de groupes humains que les anciens dieux avaient probablement disséminés dans toute la galaxie ? Elle en doutait. Il y avait forcément une ethnie dont les caractéristiques physiques pouvaient se rapprocher de celles de l'officier en second.

Ce n'était pourtant là qu'un problème secondaire, car quelles que soient ses origines, Grama ne passerait jamais pour un Sumérien. Même s’il parvenait à rester discret en se fondant dans la masse, sa condition d’apatride humain le desservirait.

C’était ce qu’il craignait le plus, après sa séparation de Baal et du reste de l’équipage.

Il avait toujours été fidèle à son protecteur et maître et n’avait quasiment jamais quitté le vaisseau depuis le jour où il y avait été embarqué. Il avait toujours connu la vie d’équipage. Le vaisseau était devenu sa maison et les labirés qui y officiaient étaient ce qui se rapprochait le plus d’une famille. Contrairement à eux, il n’avait jamais considéré Baal comme son Dieu.

Baal avait mis des années à recruter son équipage composé uniquement de sumériens, même les officiers.

Ce n’était pas le cas sur les vaisseaux de ses pairs où les officiers étaient des Drægans de castes mineures mais des Drægans malgré tout. Les supérieurs étaient généralement issus de riches dynasties vivant sur des planètes sous la domination de Drægans majeurs. Les subalternes étaient issus des mêmes castes, mais leurs familles ne possédaient ni le prestige de la richesse, ni celui de la gloire au combat, à l'exception de quelques rares sang-mêlé et hybrides qui n'en restaient pas moins au plus bas de l'échelle sociale lorsqu'ils survivaient aux brimades, voire aux tentatives d'assassinats du reste de leur fratrie. Les officiers supérieurs prenaient à cœur de bien rappeler son rang à chacun d'entre eux. La vie des membres d'équipage n'y avait évidemment rien de paisible, et l'enfer se déchaînait les labirés dont l'existence était comparable à celle des galériens.

Elle comprenait l'estime, la vénération des Sumériens envers leur dieu. Jamais Baal ne s’était mal comporté avec les membres de son équipage. Il avait toujours veillé à leur bien-être. Ne serait-ce que pour cela, tous à bord le respectaient. Ils lui étaient, et lui seraient, fidèles jusqu’à leur mort.

Grama le confirmait en refusant obstinément de le laisser seul dans un vaisseau en perdition, ou en errance de planète en planète, face aux dangers qui menaçaient sa personne. Il ne comprenait pas pourquoi son maître avait choisi de se séparer de lui plutôt que des deux terriens.

Il ne les détestait pas, mais il ne savait pas toujours comment se comporter face à eux, surtout en présence de Baal qui ne leur accordait aucun régime de faveur. En tous les cas, il ne les gratifiait pas des mêmes faveurs que ses autres invités. Même s’il n’en avait pratiquement jamais reçu à bord de ses vaisseaux successifs…

Grama ne se considérait plus réellement comme un natif de la Terre. Will et Esmelia étaient ses premières rencontres terriennes depuis ces trente dernières années. Même lorsque Baal se rendait sur la planète, il préférait rester à bord du vaisseau.

En poursuivant ses investigations dans les souvenirs du second, elle fut à nouveau surprise par une nouvelle découverte : Baal avait son propre chef de la sécurité sur la Terre, et sa garde rapprochée. Sans compter trois gardes personnels issus de son équipage.

Esmelia se recentra sur Grama. Il s’était bien gardé d’évoquer ses origines terriennes avec Will ou elle, ou de leur poser des questions sur la manière dont les Humains vivaient sur la Terre depuis qu’il en était parti. Il avait ses raisons, et cela confirmait parfaitement son désintérêt pour son passé lointain.

Elle sentit qu’il était désormais autant étranger à sa planète natale que n’importe quel extraterrestre. Peut-être l’était-il depuis plus longtemps qu’il l’imaginait. Ou bien faisait-il partie de ces êtres humains, de ces Terriens, dont l’instinct ancestral ne s’était pas totalement éteint avec les évolutions technologiques, et qui pouvaient s'adapter n'importe où dans la galaxie, et auprès de 'importe qui. Comme Will, ou presque.

Avec elle, depuis son arrivée à bord, il avait ressenti une sorte de méfiance qui l’avait tenu à distance autant que cela lui était possible. Lorsqu’elle lui avait sauvé la vie, il avait surmonté ses craintes, mais il lui était difficile de chasser le naturel. L'étrange binarité de la jeune femme ne lui avait pas échappé. Face à la garde d’Anat, c’était un être inconnu qui avait pris la place de l’humaine. Son attitude et sa voix avaient changé… Pourtant, sur le pont, elle était elle-même : humaine, parfaitement humaine. Ce qui, en cet instant, lui avait paru rassurant.

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