Chapitre 37.3

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— Une minute… s’emporta Will tout en se retenant de parler tout haut. Il n’y a pas eu de Seconde Guerre Mondiale, ici ? De nazis… et d’épuration ? C'était dans nos livres d'histoire...

— Et de camps de concentration ? Bien sûr que oui, au XXe siècle, durant quatre ans, presque cinq. Mais lorsqu’il n’y a plus de témoins pour en parler, plus de témoignages, plus d'images, et que les livres d'histoire réduisent ces évènements à moins qu'un fait divers de l'Histoire, cela devient complètement abstrait pour ceux qui n’ont jamais connu la guerre. Vous, que savez-vous vraiment de la Guerre de cent ans entre les Français et les Anglais ? Ou bien de la Guerre de secession ? Ou encore de la guerre d'Indépendance des États-Unis ?

— Mais vous, Grama, vous êtes un Terrien, et un Humain, s’étonna Will.

Grama jeta un coup d’œil furtif à la jeune femme. Il venait de leur dire que la nourriture terrienne lui manquait. Pas qu’il était natif de la planète bleue.

Il fut un temps qui lui semblait lointain où cela l’aurait inquiété, pour ne pas dire agacé, que quelqu’un comme ces deux-là connaissent ses origines. Cela n’avait plus la même importance aujourd’hui. Pas après tout ce qui s’était passé. Surtout, aujourd’hui, ils étaient les seuls à savoir ce qu’il avait vraiment été avant son retour sur la Terre. Il n’était plus certains de revoir un jour l’Extraterrestre qui l'avait sauvé, qui avait changé sa vie en mieux qu’il n’aurait jamais pu l’espérer. Étrangement, la présence de Will et d’Esmelia le réconfortait. Peut-être qu’il ne serait plus seul maintenant.

— Je venais de débarquer sur la Terre, et j’avais repris mon nom de naissance. Le problème, c’est que nous avons des doubles dans ce monde et qu’ils n’ont pas tous suivi le même chemin que nous… Le mien avait eu des problèmes avec les instances chargées de la protection des biens et de la sécurité des individus sur cette planète. En France, cela s'appelle : la gendarmerie. Il s’est fait tuer alors qu’il… qu’il contrevenait aux directives de ce monde…

— Je crois que je devine la suite, fit Will.

— Avant de rencontrer Baal, je m'apprêtais à le plus mauvais des chemins.

Il n'a sûrement pas eu votre chance, fit Will.

— En tout cas, en règle générale, ici, les morts ne reviennent pas à la vie, encore moins cent-quarante ans après leur enterrement, ironisa Grama.

— Vous faites jeune pour votre âge.

Will avait beau se réfugier dans l’humour, il n’en était pas moins décontenancé. Il essayait de comprendre comment un être humain qui n’était pas l’hôte d’un Drægan et qui n’avait jamais subi de thérapie génique ou de chirurgie esthétique, pouvait avoir un siècle et demi et ne paraître avoir qu’une quarantaine d’années au maximum. Will ne se sentait pas très doué pour donner un âge aux personnes, surtout à celles qu’il avait appris à connaître.

— Le temps et l’espace, c’est plus complexe qu’on ne se l’imagine, fit remarquer Esmelia. Mais comme l’a dit Grama, il n’en reste pas moins que les morts ne reviennent pas à la vie normalement.

— C’est possible de nos jours, mais c’est extrêmement réglementé, et surveillé, leur révéla Grama. Et surtout, excessivement onéreux. Si vous n’êtes pas sur la liste des RV, des Rappelés à la Vie, alors on suppose que c’est l’œuvre soit de contrevenants humains, soit d’Extrasolaires. Dans un cas comme dans l’autre, c’est le genre d’affaire que l’on confie au CENKT. Quand mon nom a commencé à réapparaître… Ils n'ont pas mis longtemps à me repérer. Mais il a fallu que je me fasse arrêter pour que le CENKT mette vraiment la main sur moi. Je me suis battu pour prouver que j’étais humain comme eux, mais ils m’ont quand même… marqués.

Will était abasourdi.

— Vous auriez pu leur dire que vous étiez son… votre arrière-petit-fils. Mais j’imagine qu’il aurait fallu en apporter la preuve… Et que les naissances sont contrôlées.

— Ils ont fait des analyses… sur mon sang, mes cheveux, ma peau, avec l’une de mes molaires, et avec un prélèvement de chair. Ils n’ont pas pu prouver que je n’étais pas un Humain né sur la Terre, mais ils ont trouvé des éléments qui indiquaient que je n’avais pas vécu sur la planète depuis mes dix ans, à peu près.

— Le CENKT n’est pas connu pour relâcher ses proies, fit remarquer Esmelia, soudain suspicieuse.

— Ils ne m’ont pas relâché, c’est vrai, admit Grama. Je me suis échappé… et je pense que quelqu’un m’y a aidé.

— Vous ne pensiez pas que c'était exprès, et qu’ils vous avaient mis sous surveillance pour que vous les conduisiez jusqu’à vos amis extraterrestres ? le soupçonna Esmelia.

— J’ai changé d’identité trois fois en huit ans. Pas parce qu’ils m’avaient retrouvé, ou étaient sur le point de le faire, mais pour leur compliquer la tâche au cas où ils seraient sur mes traces. Et je me suis fait enlever les deux émetteurs qu’ils m’avaient posés pour me pister… Je ne crois pas qu’ils aient vraiment prévu que je m’échapperai.

— Et les autres… Les Sumériens, ils s’en sont sortis ? voulut savoir Will.

— Nous sommes arrivés tous ensemble, par la même porte que vous. Mais nous avons dû nous séparer quelque temps plus tard.

— Pourquoi ? demanda Will.

— Pour survivre, répondit Grama comme si c’était une évidence.

— Je voulais dire… Vous deviez rejoindre Sumer et y rester. Que s’est-il passé ?

Le visage de Grama s’assombrit. Il baissa la tête un moment. Lorsqu’il la releva, ce fut pour parler d’une voix émue :

— Lorsque nous sommes arrivés sur Sumer, la guerre, et avec elle, la destruction, étaient à notre porte. Euzabia, l’une des trois planètes du système avait disparu des cieux. Il y avait des rumeurs depuis longtemps. Avec la destruction d’Euzabia, les Sumériens ont découvert qu’elles étaient vraies. Dès notre arrivée, nous avons appris que Ress, l’autre planète était sur le point d’être anéantie elle aussi. Sumer était la prochaine. L’ennemi était déjà en route. Les Zabiens avaient été pris par surprise. Seuls, quelques-uns de ceux qui se trouvaient sur Sumer ont pu échapper à la mort. Ceux qui se trouvaient sur Ress, eux, n’ont pu que la regarder arriver. Ress n’était habitée que par quelques exploitants forestiers et des scientifiques Zabiens. C’était un territoire neutre à la faune et à la flore luxuriante, une planète sacrée pour les Sumériens comme pour les Zabiens.

Il eut une profonde inspiration. Esmelia remarqua qu’il n’arrêtait pas de se tordre les doigts d’une main avec l’autre, nerveusement. Ses yeux étaient embués de larmes.

Will eut un geste à la fois amical et apaisant. Il posa doucement sa main sur celle de Grama qui cessa aussitôt de les torturer, mais un léger tremblement prit le contrôle de son corps.

Esmelia sentait qu’il luttait. Malgré le temps qu’il avait passé sur la Terre depuis, malgré tout ce qu’il avait vécu ces dernières années, ces souvenirs restaient gravés à vif dans sa mémoire. Un véritable traumatisme. Elle n’aurait pas été étonnée de savoir que ce n’était pas la seule manifestation, ni la première. Il ne s’en remettait pas. Sans doute était-ce même pour cela qu’il n’avait pas cherché à rejoindre les autres Sumériens, au moins autant que pour les protéger.

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