Chapitre 40.2

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Elle amorça une retraite vers la porte qui ouvrait sur l’escalier de secours, et en même temps qu’elle entra dans la cage, elle pensa à Will et à la tête qu’il ferait lorsqu’elle lui raconterait où elle avait transporté son patient.

Elle se retrouva aussitôt dans un désert de glace et de neige, près du site dévasté. Lorsqu’elle apparut près de lui, Will sursauta, comme d’habitude. Épuisée par l’exploit qu’elle venait d’accomplir, elle se sentait étourdie, nauséeuse.

Pendant sa brève absence, Will avait remis les motoneiges sur leurs patins, prêts à démarrer, puis avait vérifié dans les décombres s’il n’était pas passé à côté d’un indice important, mais il n’avait rien trouvé de plus.

Elle se remettait de son voyage, mais elle se sentait incapable de lui répondre quoi que ce soit ou d'entamer une conversation.

Il avait immédiatement remarqué que son attitude avait changé. Il ne put s'empêcher de lui dire que cela lui était déjà arrivé sur le vaisseau de Baal, mais cela n’avait jamais été aussi impressionnant. Même les traits de son visage n’étaient plus les mêmes à cet instant. La franchise de Will avait du bon, mais pas toujours. Elle lui en voulut quelques instants.

Puis, il l’avait vue fouiller la voiture de Carnaham pendant une trentaine de minutes, la désossant avec une rage non feinte, mieux que ne l’aurait fait une bande de receleurs. Son compagnon s’était contenté de l’observer sans comprendre pourquoi elle s'acharnait sur la voiture. Au bout du compte, elle avait fini par trouver deux vieilles clés USB que l’ancien soldat de l’AMSEVE avait pris soin de cacher sous le siège du passager avant, dans une petite trappe qu’il avait certainement lui-même aménagée. Ensuite, elle avait sorti la grosse sacoche de billets de banque. Elle l'avait remise à un Will sidéré par son efficacité, et se demandant ce qu’il était devenu son Esmelia. Enfin, elle avait mis le feu à une longue mèche de tissu imbibée d'essence et reliée au réservoir de la voiture.

Ils grimpèrent sur les motoneiges et filèrent aussi vite et aussi loin qu’ils le purent. Avec les moteurs ronflant à pleine puissance, Will entendit à peine l'explosion derrière eux.

À cet instant, elle redevint Esmelia. Elle était consciente qu’elle devait, au moins, quelques explications à ce compagnon qui ne l’avait pas quittée depuis une année.

Le seul homme qui l’avait aimée telle qu’elle était, sans poser de question et sans condition, songea-t-elle.

Ils ne s’arrêtèrent que lorsque la ville de Prudhoe Bay fut en vue. Elle prit le temps de lui expliquer ce qu’elle avait fait de Carnaham, et où elle l'avait déposé. Ce qui ne l'enchanta guère. Non pour Carnaham, mais pour elle. Il lui rappela, une fois de plus, qu'elle ne savait toujours pas maîtriser ses téléportations. Certes, sa décision d’utiliser au minimum ce pouvoir pour les protéger l'un et l'autre était justifiée. Pure évidence. Il lui conseilla d'en rester là pour l'instant, le temps de reprendre des forces.

Elle savait qu'il avait raison, pas seulement pour ce qu’il croyait savoir. Ce pouvoir la consumait de l’intérieur. C’était cela qu’elle sentait en elle, bien avant qu’il se soit exprimé de manière aussi claire. Elle avait toujours refusé de lâcher prise. Elle savait qu’elle n’aurait pas, ou plus, cette énergie si elle forçait encore. Elle préféra garder cette constatation pour elle, et fit comme si de rien n’était.

N’ayant rien de plus à faire à Prudhoe Bay, ils s’évaporèrent de la ville, emportant avec eux quelques menus ossements et les trois millions de dollars de Carnaham. Ils retournèrent à Ketchikan alternant le stop et les transports en commun. Ils firent juste une petite halte dans une bourgade voisine et y achetèrent quelques denrées. Arrivés à destination, ils retournèrent à l’entrepôt pour vérifier, sans grande illusion, que Baal ne les y attendait pas.

Évidemment, ils ne l’y trouvèrent pas.

Will était de plus en plus convaincu qu’il lui était arrivé quelque chose. Elle s’interrogeait, elle aussi. Leur meilleure option pour le retrouver, s’il était sur la Terre, restait Bradley Carnaham. Dans son autre vie, l'Américain était un spécialiste dans le domaine des relations extraterrestres. Ici, dans cette vie qu’était la sienne, rien ne disait qu’il ait pu rencontrer un Drægan, mais il était le seul, à leur connaissance, dans ce monde, à avoir voulu observer des momies Yam-nas, au prix de sa vie.

Il restait, malgré son retour à la vie civile, un militaire dans l'âme. Aussi était-il légitime de se demander si ce n'était pas lui qui en avait effacé les traces en détruisant le site ? Si oui, sur quel ordre ? Si non, qui avait cherché à tout faire disparaître et, par la même occasion, à supprimer Carnaham ?

Will et elle avaient rejoint New York deux jours après. Arrivés dans la mégapole, ils s’installèrent dans un petit hôtel qui accueillait beaucoup de voyageurs étrangers. Généralement, des célébrités, des hommes et femmes d’affaires, tous adeptes de la plus grande discrétion.

Le lendemain, dans l’après-midi, ils se présentèrent devant le personnel de l’hôpital, notamment le chirurgien qui avait soigné Bradley Carnaham, comme étant le frère et la belle-sœur de ce dernier. Ils arrivaient tout droit d’Angleterre, après avoir été prévenus par un collègue de « Brad », que celui-ci avait été hospitalisé à New York, dans un état grave.

Esmelia devina que le chirurgien, un homme nommé Farid Heymus, s’étonnait intérieurement du manque de ressemblance entre Will et Bradley Carnaham. Et surtout, quel était ce fameux collègue qui les avaient prévenus alors que le personnel de l’hôpital ignorait qui avait conduit Carnaham aux urgences.

Il se montra aimable et compréhensif. Il leur expliqua que les jours de Carnaham n’étaient plus en danger, et insista sur le fait que c’était grâce au bon samaritain qui lui avait porté les premiers soins. Il ne cachait pas qu’il regrettait que, ce jour-là, justement, toutes les caméras des quatre premiers étages ainsi que celles des parkings souterrains de l’hôpital soient tombées en panne en même temps et au même moment.

Esmelia, elle, s'en félicitait. Elle n’avait donc pas pu être identifiée.

Bien qu’ayant d’abord pensé qu’il avait été fortement tabassé, ce qui n’avait rien de rare dans les manifestations actuelles ou les bas-fonds de la ville tentaculaire, les médecins et les infirmières s’étaient aussi étonnés que leur patient ait des engelures qui ne pouvaient être dues qu’à un froid intense. Son état physique laissait aussi à désirer, et cela bien avant son passage à tabac ou son accident. Il souffrait d'une carence en vitamine et certains de ses implants n'avaient pas été révisés depuis longtemps, d'autres notamment oculaires et auditifs avaient été endommagés récemment.

Fort justement, le chirurgien avait soupçonné qu’il avait été victime d’une explosion. Or, selon les autorités locales, il n’y en avait eu aucune dans l’État de New-York, depuis les cinq derniers jours. De plus, selon son supérieur hiérarchique, dans la police de Washington, Carnaham n’aurait jamais dû s’y trouver. Il devait enquêter sur une série de cambriolages en Virginie.

Will suggéra avec toute la bonne foi dont il était capable, qu’une piste l’avait peut-être conduit jusqu’ici.

Le médecin sembla accepter l’explication.

Esmelia sentit, sans qu’il le dise, qu’il espérait en savoir plus. Will et elle ne répondirent pas à son souhait.

Le chirurgien leur expliqua que durant ces deux jours, Bradley Carnaham n’avait cessé de délirer et que les médicaments habituellement destinés à apaiser les patients n'avaient aucun effet sur lui.

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