Chapitre 24.1

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Era se redressa sur son siège, la mâchoire crispée, l’œil mauvais.

Ce genre de prédiction alarmiste, pour ne pas dire catastrophiste, avait le don de l’irriter. Cela ne l’avait, pourtant, jamais vraiment inquiété parce qu’il n’y croyait absolument pas, contrairement à certains de ses congénères. Et puis, il s’était toujours dit, au cas où, qu’il ne resterait pas passif si l’avenir voyait l'une de ces présages sur le point de se réaliser.

Toutefois, il se conforma à l’attitude de ses pairs, histoire de ne pas se faire remarquer plus que nécessaire. Simultanément, il entrevoyait quels avantages il pourrait tirer de cette nouvelle situation.

— Un instant, s’exclama-t-il. On pourrait revenir en arrière, s’il vous plaît ? Qu’est-ce que cette histoire ? Encore une prédiction de notre petite sorcière bien aimée ?

S’il avait tourné la tête, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, en direction de Circé, il aurait remarqué le regard assassin qu’elle posa aussitôt sur lui.

Que l’on mette ses prédictions en doute était une chose. Elle n’obligeait personne à les prendre au sérieux, même si la plupart d’entre elles s’étaient vérifiées. Par contre, qu’on la traite de sorcière, c’était pour elle une forme d’insulte, à laquelle le "bien aimée" n'enlevait rien. Elle ne fabriquait pas de potions magiques avec de la bave de reptile, du sang ou avec les organes de quelque créature que ce soit. Encore que, l’idée lui vint soudain d’essayer avec le cœur d’Era, s’il en avait un, si petit soit-il.

Esmelia se demandait si le choix des termes d'Erra venaient d'un pur hasard, ou bien s'il les avait entendus quelque part, car, en ce qui la concernait l'expression lui semblait familière sans qu'elle sache pourquoi.

S’il était acquis pour tous qu’il y avait bien une prédiction qui évoquait la fin de leur espèce et celle de toutes les espèces intelligentes ou non, pensantes ou non, de la galaxie, ils savaient que ce n’était pas l’une de ses prédictions, car elle existait bien avant sa naissance. Ils devinaient aussi ce qu’elle deviendrait et serait capable de faire de ses pouvoirs de divination s'ils n'y prenaient pas garde… Qu’elle profite du qa’mus deviendraient le moindre de leurs soucis. Cependant, ce qu'elle avait dit à propos d'Amaterasu ne relevait en rien de l'art divinatoire. Il s'agissait plus de logique. Rares étaient ceux qui n'avaient pas eu, plus ou moins, la même pensée que la jeune Drægane.

De son côté, Circé avait bien d'autres choses en tête, comme dissimuler ses pensées.

Elle les cachait si bien qu'Esmelia ne parvenait pas à les entendre, pas plus qu'à les deviner.

Craignait-elle la présence d’un télépathe parmi eux ? L’avait-elle vraiment sentie avant que débute la séance ? Ou bien sa magie lui avait-elle appris à se protéger instinctivement ?

— Combien reste-t-il de mondes viables ? demanda Anat.

— Environ quinze pour cent, lui répondit Apollon d’une voix dans laquelle perçaient résignation et fatalisme. Quinze pour cent des mondes connus de notre galaxie.

Esus soupira quasiment de soulagement. Comme Era, il n’était pas du genre fataliste, ni même résigné.

— Examinons d’abord l’aspect positif de la situation, fit-il d’une voix douce presque timide. Quatre-vingt-cinq pour cent des mondes viables détruits, cela signifie que les autres… formes de vie sont autant atteintes que nous, sinon plus, n’est-ce pas Apollon ?

— Je suis certain que nous allons tous apprécier ton sens de l’à-propos, répondit ce dernier.

— Quinze pour cent ? poursuivit Esus. Notre galaxie compte des milliards de systèmes, et il en existe des milliers, dont nous ignorons tout. Peut-être serait-il temps d’aller les explorer. Il y a aussi les galaxies voisines. Nous pourrions commencer par explorer les mondes extra frontaliers de notre galaxie.

— Tu comptes demander l’aide de leurs habitants ? ironisa Divona.

— Pas exactement

— Ça m’aurait étonné.

— Ces mondes pourraient être notre solution de replis. Des lieux où nous pourrions nous réfugier… régner et reconstruire nos empires. Il y en existe certainement suffisamment pour nous contenter tous.

Même si la moitié d’entre eux y avait songé, l’entendre dire rendait cette idée tangible, et en même temps, absurde. Fuir un danger, sans doute une guerre pour aller en mener d'autres dans des territoires inconnus n'entrait pas totalement dans leurs perspectives d'avenir.

— Nous savons que la menace semble venir de la zone profonde de Colininkus, insista Esus. Nous pourrions nous déplacer dans la direction opposée, Gelinkus, ou même dans toutes les autres. Nous ignorons ce que nous pouvons trouver dans le Minkus, l’Inkus, l’Arrior et l’Alvin, mais cela pourrait nous sauver durant quelques centaines d’années, peut-être un millier…

Emelia comprit qu'il s'agissait de repères spatiaux et traduisit respectivement, ouest et est, le nord et le sud, à moins qu'il s'agisse de l'est et du nord, cela elle n'en était pas certaine.Et enfin le dessous et le dessus, bien que cela aurait aussi pu signifier l'arrière et l'avant...

— Cela me semble être une bonne solution, acquiesça Shamash. Nous pourrions reconstruire nos royaumes et gagner suffisamment de force pour vaincre cet ennemi que tout le monde craint sans jamais l’avoir combattu.

Apollon vit Freyr sourire.

Dès qu’il était question de mondes à conquérir, certains Drægans ne pouvaient s’empêcher d’y voir l’occasion de leur ascension, ou d’un entraînement au meurtre.

Il reporta son attention sur Esus qui, imperturbable, poursuivait son discours d’une voix calme, hypnotique. S’il continuait ainsi, il allait finir par tous les convaincre de repartir en guerre, même les plus réfractaires à cette idée,

— C’est même plus qu’il nous faut. Que nous soyons cinq, dix, vingt-sept et plus, nous avons l’occasion de rebâtir nos empires exactement comme nous le souhaitons et d'assujettir ce qu'il restera de créatures pensantes et intelligentes. Conquérir de nouveaux mondes nous permettra d’ériger de nouvelles civilisations, et cette fois, nous leur ôterons tout désir de rébellion contre nous, leurs bienfaiteurs.

Apollon allait s’opposer à cette idée, mais l’objection vint d’une autre voix. Celle de Perséphone.

— Tu as quoi à la place du cerveau, Esus ? Tu n’as pas entendu ce que vient de dire Apollon, ni le son de tes propres paroles ? Quatre-vingt-cinq pour cent des mondes que nous connaissons ont été rayés de la carte sans même que cet ennemi y mette les pieds. En combien de temps ?

— En trois cents ans… Peut-être quatre, les informa Rhadamanthe. Nous ne pouvons en avoir la certitude. Cela pourrait tout aussi bien avoir commencé depuis un ou deux millénaires, pendant que nous étions tous occupés par nos guerres intestines.

— Nous ne pouvons pas le prouver. Pas plus que l’absence, la présence, ou le seul passage de cet ennemi dans ces mondes, ajouta Apollon. Personne n’a pu en témoigner jusqu’à ces derniers temps. Aucune planète n’a été détruite. Pourtant, il n’y a plus aucune vie apparente. Elles sont comme… Mortes. Le plus curieux, c’est que nous n’avons pu intercepter qu’un seul et unique vaisseau dont l'équipage, ou ce qu'il en reste, prétend avoir affronté cet ennemi. Il nous faudrait plus de...

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