Chapitre 28.2

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Will voyait parfaitement de quoi elle voulait parler. Les guêpes japonaises étaient apparues au milieu du XXIe siècle dans un petit village japonais quasiment déserté de sa population. Plus petites que les guêpes ordinaires, elles n’en étaient que plus vives et plus agressives. Elles se déplaçaient toujours en essaims d’une quarantaine d’individus. Mieux valait ne pas les déranger ou se trouver sur leur chemin. Nul ne savait comment elles étaient apparues au Japon. En cinq ans, elles avaient colonisé le pays malgré sa politique radicale d’élimination, et trente ans plus tard, elles s’étaient installées partout autour du globe.

— Il y en avait beaucoup ? demanda Will.

— Assez pour nous tendre une embuscade à l’entrée du portail. Même si, d’après Baal, elle n’avait pas la possibilité de l’ouvrir, elle savait exactement où il se trouvait. Amaterasu veut sa mort. Elle est prête à tout pour cela. Les autres Drægans ne lèveront pas le petit doigt pour le protéger.

— Le contraire aurait été étonnant.

— D’autant qu’ils ont des préoccupations plus importantes.

Elle ne pouvait plus reculer. Il fallait qu’elle informe Will de ce qui l’attendait désormais. Ce qu’il aurait à combattre aux côtés de Baal, et de tous ceux qui accepteraient de les aider. Elle tenta d’y mettre les formes en choisissant ses mots pour ne pas l’effrayer par l’ampleur de la tâche, sa difficulté, et le peu de chance qu’ils auraient de réussir leur mission.

— Apparemment, il y a un ennemi qu’ils craignent plus que tout autre, et que nous, Terriens, aurions aussi des raisons de craindre. Il anéantit les univers qu’il traverse. Après son passage, il n’en reste rien. Il s’agit d’une civilisation de conquérants connus sous le nom de Terranihilisateurs. Ils sont précédés de la Nuée.

Elle s’arrêta un court instant, cherchant ses mots.

— Ne me demande pas comment je peux dire cela, ni comment je le sais, mais il n’y a que Baal qui puisse avoir les moyens de le faire. Il l’a déjà plus ou moins fait, avec un occulteur de mondes. Il possèderait aussi un vaisseau unique en son genre, très différent de celui dans lequel nous sommes. Il pourrait le refaire s’il retrouvait ce vaisseau, et s’il avait des compagnons pour le soutenir dans sa charge.

Elle fit une courte pause, lui laissant le temps d'assimiler les informations qu'elle venait de lui soumettre. Avant d'insister sur un point :

— Il n’y a que Baal pour les arrêter… et il ne peut le faire seul.

Si Will n’avait pas été aussi inquiet pour elle, il aurait sûrement rigolé, ou même plaisanté sur l’absence de vie sociale de leur hôte, et sur le fait qu’il n’est pas du genre à vouloir être aidé par qui que ce soit. Quant à s'interposer face à un ennemi inconnu pour sauver la galaxie... Elle comprenait à quel point cela semblait risible.

— Le problème, c’est qu’il ne semble pas s’en préoccuper, poursuivit Esmelia. Chaque fois que je veux lui en parler, il trouve le moyen d’éviter le sujet, mais le temps presse, Will. Le temps presse. Les Terrans arrivent. De nombreux habitants ont déjà fui leur planète, ou ont été anéantis… Bientôt ce sera le tour de ceux de la Terre ? Tu comprends Will ? Tu comprends ce que cela signifie ?

Will n’avait rien répondu. Il était resté assis sur la banquette à côté d’elle, silencieux et immobile. Soudain, il se redressa comme s’il venait de comprendre quelque chose.

— Les cartes, murmura-t-il. Les cartes ne montraient pas quelque chose qu’il fallait voir, mais quelque chose qui n’était plus là. Si je le retrouve un jour, il faudra que je remercie Kilani... Lui aussi, il pensait sérieusement qu'il y avait quelque chose d'anormal... Une sorte de mal insondable se terrant dans les replis les plus sombres de la galaxie.

— Quelles cartes ? Celles que Baal t'a prises ?

Il avait acquiescé d'un signe de tête et lui avait expliqué comment il avait découvert les cartes de Tatniusu, un philosophe voyageur qui s’était réfugié durant un temps sur la planète Féloniacoupia, et dont le passe-temps principal était de cartographier l’univers connu par son peuple.

Will ne savait pas à quel peuple appartenait ce Tatniusu, mais son savoir en matière d’astronomie était inestimable. Sauf que le bonhomme semblait avoir disparu depuis des années. Tout ce que l’on savait, c’était qu’il avait caché de précieuses cartes quelque part sur la dernière planète où il avait été aperçu.

Depuis qu’il avait eu vent de l’existence de ces cartes, grâce à Kilani qui lui en avait vaguement parlé, elles avaient été pour Will une véritable obsession. Elles étaient l’une des raisons de sa désertion de l’AMSEEVE. Ce qui, avec le recul, lui avait semblé des plus curieux, car, avant cela, Will ne s’était jamais intéressé à ce point à des cartes géographiques. Alors les cartes stellaires… En quelques mois, il avait tout appris à l’AMSEVE sur la manière de les comprendre et de les lire.

Elle n’osa pas lui demander quelles étaient les autres raisons, ni lui dire que son obsession pour les cartes de Tatniusu n’était sans doute pas due au hasard.

Au bout de plusieurs mois sur Féloniacoupia, il avait fini par trouver la trace des cartes. Il ignorait qu’il n’était pas le seul à les rechercher. Son concurrent n’était autre qu’un ancien dieu supposé mort et enterré depuis des siècles. Il avait appris à ses dépens qu’il n’en était rien.

L’ancien dieu avait attendu qu’il découvre les cartes pour lui mettre la main dessus. Depuis ce jour, Will n’avait cessé de se demander pourquoi Baal ne s’était pas contenté de les prendre et de le laisser, lui, sur la planète ou, au pire, de le tuer. Peut-être que, d’une certaine manière, elle y était pour quelque chose, ou peut-être que le destin était plus fort que la volonté d’un dieu, ancien et déchu.

Ils étaient là, et ce n’était pas un hasard.

Mead’ disait vrai. Ils avaient tous un rôle à jouer. C’était une certitude qui n’avait cessé de grandir en elle.

Leur rencontre… Ce n’était pas seulement parce qu’elle recherchait Baal, ou même L’Occulteur de Mondes. d’ailleurs, celui-ci existait-il vraiment ? Baal n’en avait jamais parlé depuis qu'elle était à bord… Elle avait fouillé son bureau et le reste du vaisseau. En vain. S’il était sur le vaisseau, cela ne pouvait être que dans ses appartements privés, le seul endroit où elle n’avait encore jamais osé s’aventurer.

L’image d’un objet en étain, parfaitement rond, pas plus gros et aussi lourd qu’une boule de pétanque apparut dans son esprit.

Mead’… ou plutôt Anna-Louise l’avait tenu entre ses mains, songea-t-elle malgré elle.

Esmelia eut l'impression de sentir le poids et la froideur surnaturelle de l’objet dans le creux de sa main pourtant vide. Elle essaya de comprendre comment cela pouvait être possible, mais elle dût y renoncer. Cet occulteur n’était-il réellement rien de plus ou de moins que ce dont il avait l’air : une boule de pétanque ? Peut-être n’était-il qu’une idée ? Était-ce celle de l’espoir ?

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