Chapitre 22.2

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Difficile de dire si Moccus était beau.

Selon les critères humains, il ne l’était pas. Mais il n’était pas humain. De type humanoïde, certes, mais pas humain. Sa peau était grise et donnait l’impression d’être rugueuse comme du granit sous sa toge aux motif écossais bleus. Si son visage comportait deux yeux, ronds et noirs, une bouche aux lèvres très fines à la pigmentation bleu marine, il était caractérisé par l’absence de nez. À la place, il n’y avait qu’une bosse.

Le reste de son visage était parcouru d’autres renflements plus discrets et de lignes qui n’appartenaient à aucune espèce qu’Esmelia reconnaissait.

Il était une incongruité aux yeux des autres Drægans qui se demandaient comment et pourquoi l’un des leurs avait pu choisir un tel hôte. C’était un choix qu’il avait fait en toute connaissance de cause. Il entendait bien ne pas rendre de compte à ses semblables sur ce point.

Celle qui montrait toute la laideur de son âme sur son visage se nommait Scáthach, une jeune femme de taille moyenne, assez menue. Malgré son apparence, en regardant bien, il restait difficile de croire qu’elle soit humaine, même en partie.

Ses bras et ses jambes étaient si maigres qu’on pouvait craindre qu’ils se brisent. Elle n’avait ni cheveux, ni sourcils, ni cils. Ses arcades sourcilières étaient légèrement proéminentes. À chaque fois qu’elle reniflait, son nez se retroussait.

Ses grands yeux bruns, horizontalement étirés, n’étaient pas ceux d’une Asiatique. Ils étaient plutôt ceux d’un animal, un oiseau de proie, et lui donnaient, sinon un air de prédateur, celui de quelqu’un qui se réjouissait du mauvais coup qu’elle préparait et des bénéfices qu’elle allait pouvoir en tirer. Et c’était bien ce qui occupait ses pensées en permanence.

Une ligne noire traversait, en son milieu, son front bas, longeait l’arrête de son nez mutin, coupait ses lèvres charnues et rouges comme une cerise, et glissait jusqu’au bas de son menton. Elle y disparaissait pour réapparaître le long de son cou, avant de filer sous son vêtement, une robe vaporeuse de couleur pêche qui se confondait avec sa propre peau et en faisait ressortir l’extrême pâleur.

Elle ne portait aucun bijou, aucune parure. Juste sa robe et une paire de sandales rouge sang assorties à ses lèvres qui laissaient voir des pieds préhensiles. Ils ne l’empêchaient pas de se tenir debout, quasiment droite sur ses jambes.

Elle avait taillé chacun de ses longs ongles pour en faire des griffes acérées. Les seules armes qui lui restaient encore… Un avantage qu’elle pensait avoir sur les autres et dont elle mourrait d’envie de se servir pour le vérifier.

Les membres des différents groupes gagnèrent les sièges opposés les uns aux autres, obligeant le troisième groupe qui se voulait neutre, à se séparer pour marquer une frontière de part et d’autre du cercle, entre les deux clans.

D’un côté s’installèrent Taranis, Perséphone, Ereshkigal, Damona et Divona. De l’autre, les deux Chanceliers divins Horus et Apollon, puis l’aveugle Circé, Boann et Priape.

À la droite d’Horus restait une place vacante, ainsi qu’à la gauche de Priape. Il manquait encore deux Drægans pour que l’assemblée soit complète.

Derrière Circé, la blonde Calliope, sa labirée, gardait la tête haute, et surveillait avec attention, sans le cacher, chacun des participants. Ce qui était contraire au protocole concernant les serviteurs. Esmelia comprit son erreur, plus vite qu’elle ne la sentit. Calliope était une Dræganne. Pourtant son esprit était autant celui de son hôte humanoïde.

Les deux personnalités s’étaient diluées l’une dans l’autre dans un parfait équilibre pour créer une sorte d’être psychiquement hybride. Une alchimie tellement admirable qu’elle pouvait dissimuler sa nature véritable à ses pairs qui, habituellement, se reconnaissaient d’instinct comme appartenant à la même espèce, voire à la même ethnie Dræganne.

À part Circé, les autres ignoraient qu’elle était des leurs. Elle jouait le rôle de la labirée à merveille, sûrement depuis des années. Avant même de se lier à l’ex-déesse magicienne. Peut-être que cela lui avait sauvé la vie plus d’une fois.

Les quelques Drægans qui portaient leur attention sur elle focalisaient avant tout sur sa drôle de façon de les observer. Son regard ne fixait personne en particulier, et pourtant, sans même bouger la tête, elle leur donnait la désagréable impression de les scruter en profondeur. Avec juste raison, car elle ne perdait aucun détail de ce qui se passait autour d’elle.

Les Drægans en éprouvaient une certaine gêne avant de s’habituer à sa présence, puis ils finissaient par la remiser dans un coin étroit de leur esprit, à défaut de pouvoir l’oublier totalement.

Par intermittence, la fausse servante mâchait quelque chose avec une énergie qui semblait leur manquer à tous en ces instants. Il leur était difficile de ne pas le remarquer, et de ne pas ressentir un agacement galopant les envahir. Ils lui jetaient alors des regards appuyés et hargneux pour certains, dubitatifs pour d’autres, voire désespérés, ou encore résignés.

Le silence s’abattit durant de longues minutes sur l’assemblée. Soit, personne n’osait prendre la parole ; soit, tous préféraient attendre les deux absents avant de commencer à discuter des sujets qui les préoccupaient.

Ishkur et Erra dormaient comme les innocents qu'ils n'étaient pas vraiment.

C’était du moins ce que l’on pouvait dire avec une certitude absolue sur ces deux points du premier.

Ses ronflements résonnaient de plus en plus fort et commençaient à énerver ses voisins les plus proches autant que les mastications de Calliope. De temps à autre, Ésus, lui poussait le coude de son accoudoir pour le réveiller.

Erra, quant à lui, gardait les yeux fermés, dans une attitude digne, les coudes posés sur les accoudoirs de son fauteuil de pierre, et les mains jointes en pyramides devant sa figure. Contrairement à ce qu’il laissait paraître, il ne dormait pas. Les sens en éveil, il analysait la situation dans son ensemble.

Un labiré sortit de l’ombre et vint servir à Horus une boisson de couleur dorée et de consistance épaisse.

L’ancien dieu, dont le port restait aristocratique, cachait fort bien les différents revers qu’il avait subis ces dernières décennies. Il se pencha en avant pour apercevoir la très blonde et très ronde Boann, trois places plus loin sur sa gauche, et leva sa coupe à son intention.

Il avait un petit faible pour les créatures bien en chair, sans pour autant dédaigner les autres, et tenait à le faire savoir autant à l’intéressée qu’aux autres mâles présents. Une manière de marquer son territoire. En fait, il la trouvait plus qu'à son goût : magnifiquement divine et lumineuse.

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