Chapitre 22.5

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Esmelia ne put s’empêcher de laisser ses sens s’attarder sur lui plus de temps que nécessaire…

La barbe naissante de l’ancien dieu de la beauté lui allait comme… à un dieu.

Son corps n’avait rien à envier à ses représentations statuaires. En dehors d’un bout de tissu rouge qui lui ceignait les hanches jusqu’à mi-cuisses, et des spartiates dont les lacets s’enroulaient autour de ses mollets musclés, il ne portait rien d’autre sur lui.

Il n’avait même pas pu garder son glaive et se sentait plus nu sans lui que si on lui avait ôté le peu de vêtements qu’il portait.

Circé avait cessé de chantonner.

Le silence s’installa très brièvement.

— Je ne suis pas une enfant, répéta-t-elle en détachant chacune de ses syllabes.

Cette fois, sa voix était plus grave et trop sérieuse pour une préadolescente.

Boann eut un sourire bienveillant.

— Je le sais, ma jolie, lui assura-t-elle en passant la cruche, à laquelle elle-même venait de boire, à son voisin, Priape. Mais tu en as la constitution et ….

La voix de Horus, sur sa droite, couvrit soudain la sienne.

— Mes amis, il est temps de commencer. Ishkur, c'est à vous que revient…

Il fit mine d’hésiter avant de poursuivre :

— …l’honneur… de consigner nos paroles.

Horus ne put s’empêcher de sourire intérieurement.

« Ishkur » et « honneur » … Deux mots qui n’allaient pas ensemble.

Le désigné, faisant mine d’être encore ensommeillé, se redressa lentement sur son siège. Il avait bien remarqué la fausse hésitation de Horus, mas il n'en laissa rien paraître. Il ne tenait pas particulièrement à être le scribe de service. Cette éventualité pouvait arriver à n’importe lequel des vingt-six participants présents. Avec le nombre, il avait espéré pouvoir passer à travers les mailles. Il avait essayé de se faire discret, voire invisible.

Chez lui, la discrétion consistait surtout à rester immobile et silencieux, ou bien à dormir. On ne prêtait pas attention aux choses ou aux êtres qui ne faisaient aucun bruit et qui ne bougeaient pas. Ainsi, on oubliait la présence d’un arbre, d’une pierre, ou même d’un être vivant, ou mort…

Pour peu que l’on prenne un air éteint, et que l’on essaie de se fondre dans le décor, ou encore comme dans le cas présent pour Ishkur que l’on tente de se fondre dans l’inconfortable le fauteuil de pierre sur lequel on est assis, on pouvait facilement se faire oublier.

La plupart du temps, du moins…

Cette fois, cela avait échoué.

Pourquoi ? Avait-il tiqué sans s’en rendre compte à l’une des paroles de Horus ?

La raison était bien plus simple : Horus était doué pour remarquer les tire-au-flanc.

— Bien, nous commencerons par faire le point sur …

Des mouvements d’agitation et des éclats de voix l’arrêtèrent net et lui firent tourner la tête à sa gauche.

Tous les regards convergèrent vers le même endroit. Excepté celui de Calliope, mais il était impossible d’en être certain.

Avant même qu'elle n'apparaisse, Esmelia sut qui était le dernier participant auConseil. Son nom s'était formé dans tous les esprits.

Amaterasu sortit de l’obscurité. Totalement débraillée, elle semblait s’être battue contre une bande de harpies. Elle en était visiblement agacée. En réalité, elle s’était débattue avec les gratte-langues, remparts entre l’obscurité et la lumière.

De la sueur perlait sur son visage très pâle. Quelques mèches de cheveux noirs s’y étaient collés. Elle portait un kimono rouge et or qui, en temps normal, ne devait laisser voir que le sommet de ses épaules et sa gorge nus. Dans la bataille l’une de ses épaules s’était entièrement dénudée et l’autre disparaissait sous le tissu mal positionné.

Sans se laisser perturber par l’étrangeté des lieux, l'ancienne déesse marcha vers l’intérieur du cercle formé par ses congénères installés à leur place et entra dans la lumière centrale.

Elle remit un peu d’ordre dans son apparence en rééquilibrant son décolleté et, avec de petits gestes secs, elle tira le tissu de soie sous sa ceinture fortement resserrée à la taille.

Ses longs cheveux noirs, relevés, quelque peu défaits et emmêlés, restaient néanmoins tenus en une sorte de chignon par une barrette de jade. Le visage de la déesse, aux traits asiatiques finement dessinés, habituellement très pâle, avait pris les couleurs de la colère.

Son maquillage avait été anéanti par sa violente confrontation : les yeux en mode panda et une bouche sanguine de clown démonique. Elle ne s’en formalisait aucunement. En tous les cas, moins que certains de ses ongles très longs qui avaient été cassés.

À travers ses jurons, émis dans une langue qu’aucun d’eux ne connaissait, pas même Tsukuyomi, les autres Drægans devinèrent qu’elle acceptait mal d’avoir été séparée de sa suite et, surtout, de n’avoir pas pu garder une seule arme sur elle.

Pas même ses habituels et luxueux apparats : des boucles d’oreilles, des bagues, bracelets qui cliquetaient à chacun de ses mouvements, ou encore des peignes et des épingles à cheveux, et qui, surtout, étaient autant d’armes tranchantes ou contondantes dont elle savait très bien se servir.

Plus qu’une profonde colère, Esmelia avait ressenti une rage viscérale en elle.

Avec un sourire moqueur, Apollon se pencha à l’oreille de Horus qui fronçait les sourcils en observant la flamboyante déesse.

— Au cas où tu l’aurais oublié, Horus, je te rappelle que c'est toi qui as validé son retour au Conseil des Chanceliers divins, lui murmura-t-il tout bas. Ereshkigal, Perséphone et moi-même étions contre. Va savoir pourquoi Hafgan, Bodb et Nephtys, eux, étaient pour. Il a fallu que tu fasses pencher la balance en leur faveur.

— Cela ne leur a pas porté chance puisqu’ils sont morts. Personnellement, je me suis toujours demandé ce que cela allait me coûter. Je pense que je ne vais pas tarder à le savoir.

— Boann a raison à propos de la cruche, soupira Apollon en se redressant sur son siège de pierre. Ce jour-là, on aurait dû éviter de la faire tourner plus de trois fois.

— J'admets que cela m’aurait évité de perdre de la tête. D’un autre côté, C’était elle ou…

Il se tut un court instant, comme pour se donner le temps de chasser un mauvais souvenir, avant d’ajouter à voix basse, avec un sourire carnassier :

— Cette femelle s’y connaît pour faire tourner la tête aux mâles. Enfin, si seulement c’était une femelle.

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