Chapitre 32.2

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Certain de s’être bien fait comprendre, il tourna les talons. La porte coulissante se referma derrière lui.

Elle en était restée stupéfaite, avec l’image d’un avaleur de sabre en tête.

À peine remise, et considérant que ce n’était pas une demande à prendre à la légère, elle avait décidé de ne pas rejouer de cet instrument, ni de celui à cordes, tant que Baal ne lui en donnerait pas personnellement l’autorisation. Elle avait surtout compris que dans un vaisseau comme celui-ci, les parois et les canalisations soient d’excellentes conductrices de sons désagréables et de bruits peu rassurants. Elle avait appris à vivre avec la plupart d’entre eux au point de les oublier. Elle aurait dû néanmoins y penser. Finalement, Baal et les labirés avaient été plutôt patients à son égard.

Ce que Will lui confirma lorsqu’elle lui en fit part dans la soirée. Les Sumériens différenciaient clairement deux types de musiques : la leur qu'ils écoutaient religieusement, et celle des autres qu'ils utilisaient plus souvent en bruit de fond.

Il lui avait alors expliqué que leur conception musicale différait de celles des terriens du XXIIe siècle. Ce dont elle ne s'était guère étonnée. Leurs chants et leurs compositions leur étaient propres. Ils ne les diffusaient qu'entre eux lors des réunions familiale ou amicales, ou lorsque l'absence de leur famille, du lieu où ils avaient grandi se faisait trop pesante. Autrement, ils s’accommodaient de tout ce qui passait à la portée des récepteurs du vaisseau au fil de ses pérégrinations.

Relever tous les styles musicaux que les labirés écoutaient à bord du vaisseau relevait de l'exploit, selon Will. Il avait même cru reconnaître de vieux airs, venus de la Terre, quoique déformés par le biais d’une captation des ondes radio, bien au-delà du système solaire.

Pour ce qui était de leur propre musique, les Sumériens en étaient encore au stade de la musique baroque, ou du moins de ce qui s’en rapprochait le plus. Le genre n’était pas unique chez eux. Il avait pu constater qu’un autre, très en vogue, se situait entre le chant des baleines et celui d’un être humain chantant sous l’eau. Quant aux paroles, ce qui se rapprochait le plus de la poésie populaire sumérienne, c’était la liste des courses sur le ticket de caisse d’une mère de famille nombreuse après son passage dans une grande surface.

Elle en avait ironiquement déduit que, soit le contenu d’un de ces vieux annuaires téléphoniques que l’on pouvait voir dans les musées ou chez des collectionneurs devait passer pour de la prose de haute qualité, soit il s’agissait d’un moyen mnémotechnique destiné à faire travailler la mémoire. Il fallait au moins cela pour une civilisation qui possédait peu d’écrits personnels et se contentait de ceux des autres.

Baal ne s’était pas remontré durant les jours suivants.

Elle avait frappé à sa porte à plusieurs reprises, pour s’excuser, sans obtenir la moindre réponse. Elle voulait aussi savoir s’il allait bien. Son attitude l’avait intriguée. Peut-être l’attaque l’avait plus secoué qu’elle ne l’avait imaginé. Et puis ce fut au tour de Will de disparaître sans un mot, un jour, deux jours, puis trois…

Elle l’avait cherché partout dans le vaisseau sans réussir à le trouver. Lorsqu’elle parvenait à le localiser à un endroit, elle y arrivait toujours trop tard. Il était déjà parti ailleurs…

Elle commençait à croire qu’il l’évitait autant qu'il le pouvait.

Elle supposa rapidement qu'il n'y avait qu’une seule raison à cela : il ne souhaitait pas qu’elle devine ce que Baal, Grama et lui fabriquaient… ou qu’elle lise ses pensées. S’il le craignait, c’est que quoi qu’ait décidé Baal pour se venger, il savait qu’elle ferait tout pour les en empêcher. Elle n'avait rien caché de ses capacités quasiment super héroïques à Will. En avait-il fait part à Baal, ou celui-ci l'avait-il appris d'une manière ou d'une autre ? Par ailleurs, Grama avait sûrement dû leur parler de ce qu’il avait pu voir dans le réfectoire lorsqu’elle lui était venue en aide et de la façon dont elle avait tué l’une des gardes.

*

Un grain de sable avait réussi à se frayer un chemin, malgré les protections oculaires jusqu’à son œil droit. Mead’ s’efforça de le chasser à renfort de larmes. Ce qui n’était pas mieux. Elle souleva ses lunettes et s’essuya l’œil d’un revers de main. Non loin d’elle, Will était toujours allongé sur le ventre et semblait somnoler. Semblait, seulement, car il n’en était rien. Il continuait à surveiller les bâtiments décrépis en vas de la colline, dans ce creux désertique.

Saleté de désert de sable. Une partie d’elle regrettait la jungle qui leur permettait de se cacher physiquement tout en masquant leur signature thermique. L’autre partie s’accoutumait assez bien du désert finalement, même si elle l'aurait préféré moins chaud, moins sec. Heureusement, les températures commençaient à baisser au fur et à mesure que le soleil descendait vers la ligne d’horizon.

— Nous allons enfin pouvoir passer à l’action, chuchota Will.

Pour un peu, elle aurait souri. C’était peut-être dans la nature de L’Autre, mais pas la sienne. À son évocation, elle sentit soudain la variation dans tout son être. Il y avait un défaut dans la fusion. Quelque chose ne fonctionnait pas. En plus de faire de la rétention de souvenirs, L’Autre résistait physiquement, mais elle restait faible. Ce n’était plus qu’une question d’heures pour l’éliminer complètement. Pour LES éliminer complètement.

— Qu’est-ce qui s’est passé entre Baal et Anat ?

Elle sentit Will se crisper.

— Tu sais très bien que je ne peux rien te dire à ce sujet, lui répondit-il sans doute plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu.

Comme s’il avait anticipé sa question suivante, il ajouta :

— Je ne peux rien te dire non plus au sujet de notre absence. Et même si je le pouvais, je ne suis pas certain que j’en aurais envie.

D’accord. Il était inutile de le brusquer. Elle avait bien essayé de le savoir, mais son esprit était verrouillé. Sûrement intentionnellement, et par un maître de la manipulation psychique. Elle ne connaissait que deux personnes capables d’une telle opération : Baal et elle-même.

Pour la énième fois en trois jours, elle reporta son attention sur les bâtiments de la base situés en contrebas. Une fois de plus, elle se demanda si le prisonnier qu’ils étaient venus délivrer était bien enfermé dans le bâtiment qu’elle avait ciblé.

Il était temps que cette opération s’achève, de même que sa propre mission...

*

Le quatrième jour, Grama lui avait fait savoir que Baal avait quitté le vaisseau pour une durée indéterminée. Will l'accompagnait.

Elle avait voulu savoir pourquoi baal ne lui en avait pas fait part en tant qu'ijà'kô, et surtout pour où, même si elle le devinait. Il lui avait répondu qu’il l’ignorait. Il obéissait seulement à Will qui lui avait demandé de la prévenir de son départ, et de ne pas s’en inquiéter.

Peine perdue. Mead’ ne se serait pas inquiétée, mais elle, si.

Elle en avait aussi un peu voulu à Will de ne pas l’avoir lui-même prévenue de son départ. Connaissant Baal, celui-ci ne lui avait sûrement pas laissé le choix. Il comptait bien mener sa vendetta contre Anat dans la plus grande discrétion. Elle espérait seulement qu’il n’ait pas entraîné son petit ami dans un voyage sans retour.

Bizarrement, ce n’était plus Baal qui se trouvait au centre de ses préoccupations. Lui, il s’en sortait toujours d’une manière ou d’une autre. Mais pourquoi être parti avec Will et pas avec elle ? Ou plutôt avec Mead' ?

Remarquant que Grama attendait toujours auprès d'elle, elle le remercia simplement.

Il avait hésité à prendre congé comme s’il voulait ajouter autre chose, mais il s’était contenté d’acquiescer. Même s’il prétendait tout ignorer des projets et des activités actuels de son maître, Grama en avait sûrement une idée, car il avait du mal à cacher son inquiétude.

Elle fut surprise de constater que son esprit était aussi verrouillé que celui de Will.

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