Chapitre 28.3

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Rien jusqu’ici n’était arrivé par hasard. Aucune rencontre, aucun acte, aucun évènement n’avait été fortuit. Elle en prenait clairement conscience maintenant.

— Je ne sais pas quoi en penser. Cela expliquerait certaines choses que j’ai vues et entendues sur Felonia. Si c’est aussi inéluctable que tu le dis, alors nous devons nous préparer à vivre des moments difficiles, c’est certain, et faire de notre mieux pour surmonter ce qui nous attend.

Sa voix avait retrouvé un semblant de vigueur. Un peu forcée, néanmoins.

Elle eut un léger rire nerveux, puis demanda :

— Que proposes-tu ? Pour l’instant, je ne vois pas ce que nous pouvons faire à part attendre.

— Nous avons les cartes… Je pourrais les étudier et essayer de les comprendre et de déterminer d’où viendra l’attaque, et où nous pourrions trouver refuge. Pas seulement nous... J'ignore comment ce sera possible, mais il faudra trouver le moyen de permettre à des milliers de terriens, peut-être quelques milliards, de l'atteindre... Ne serait-ce que pour cela, il faudra convaincre quelques personnes... Bon sang ! je ne vois pas comment faire, et comment y parvenir... Ça va être la guerre sur toute la planète.

Pas seulement sur la Terre, songea-t-elle tout en préférant l'idée, ses tenants et ses aboutissants inclus, faire son chemin dans l'esprit de Will.

— Préparer notre défense, notre protection, c'est une bonne idée, dit-elle simplement. Il nous faudrait aussi l’Occulteur de Mondes.

L’Occulteur de Mondes ?

— Ne me demande pas ce que c’est, comment l’utiliser ou comment cela pourrait occulter des mondes. Je sais seulement à quoi cela pourrait ressembler, si cela existe vraiment. Il n’y a que Baal qui pourrait répondre à ces questions, et nous dire où se trouve cet objet. Si tu y parviens avant moi, préviens-moi.

— Je peux au moins essayer de voir dans les ouvrages qui se trouvent dans la bibliothèque s’il est fait mention des Terrannihilisateurs ou de la Nuée et de cet Occulteur de Mondes… Mais d’après ce que j’ai pu comprendre, les ouvrages les plus anciens se trouvent dans les appartements de Baal. Je n’y ai pas accès… et je doute qu’il accepte de me les prêter de bonne grâce, ou de me rendre les carnets qui étaient avec les cartes que j'ai prises sur Felonia.Peut-être qu'ils m'aideraient à les déchiffrer...

— Tu pourrais quand même essayer de les lui demander.

— Au passage, je lui demanderai d’améliorer nos conditions de vie à bord.

— Attends un peu, lui suggéra-t-elle après un court moment de réflexion. Laisse-le digérer son retour. Dans un jour ou deux, il sera peut-être dans de meilleures dispositions.

— Tu as raison. Je vais me contenter de faire quelques recherches pour commencer. Et toi ?

— Je vais courir, après, on verra…

Il sembla surpris qu'elle n'accorde soudainement plus la même importance que lui aux catastrophes qui semblaient s'être données pour seule mission de leur tomber dessus les unes après les autres. Il ignorait que Mead' avait brûlé plusieurs vies à poser des garde-fous, dont certains étaient encore très fragiles, contre cet apocalypse qui s'annonçait. Sa propre vie ne ferait pas exception.

— Et si tu me rejoignais ?

Avant qu’elle puisse répondre, il l’embrassa.Puis elle le chassa gentiment pour s'habiller.

*

Les coursives désertes et à peine éclairées offraient un bon parcours d’entraînement, à cette heure-ci, c'est à dire très tôt dans une journée, et une manière de bien connaître le vaisseau. Ce n’était pas l’idéal absolu pour courir, bien sûr, mais dans cet état d’enfermement, c’était mieux que rien. Elle en était à son second passage dans une coursive secondaire lorsqu’elle entendit de brefs éclats de voix.

Elle s’arrêta net en reconnaissant la voix de Grama. Elle prit le temps de calmer son souffle et de le rendre à peine audible pour des oreilles aussi fines que pouvaient l'être celles des labirés, dont elle ne savait que peu de choses finalement. Elle n’avait pas vraiment cherché à comprendre ce que Grama disait, ni même à qui il s’adressait, mais ce qu’elle entendit attisa sa curiosité.

— Nous aurions pu nous faire arraisonner durant votre absence.

— Vous étiez en sécurité, tu le sais aussi bien que moi. Et le vaisseau était en mode furtif.

Elle reconnut la voix de Baal.

— Oui, mais dans l’état où il se trouve, le système occultant peut tomber en panne à n’importe quel moment, le contesta Grama.

— Cela fait une éternité que je vous dis qu’il faut dévier l’énergie de tous les postes inutiles à notre survie vers ceux dont nous avons besoin.

— Nous l’avons fait… En partie. Mais cela fait des mois que la plupart des membres de l’équipage n’ont pas respiré d’air pur. Ils sont tous épuisés. Et certains ont besoin de revoir leur famille. Ils font ce qu’ils peuvent. Quoi que vous fassiez, quoi que vous attendiez d’eux, ils vous suivront, mais vous ne pouvez pas leur demander l’impossible.

— Ce n’est pourtant pas ce qui est la cause de ta mauvaise humeur. Est-ce le fait que je me sois rendu seul à ce symposium ? Ou bien parce que c’est elle que j’ai choisi pour m’y accompagner, et non Siri, ou un de mes gardes du corps habituels.

— Siri est une des combattantes les plus vaillantes et les aguerries que je connaisse.

Au son de leur voix, Esmelia comprit que des deux interlocuteurs s’éloignaient. Baal avait raison : Grama semblait contrarié. À la manière dont il lui parlait, elle s’étonnait que Baal ne l’ait pas déjà rabroué. Celui-ci semblait disposé à calmer son mécontentement.

Elle décida de les suivre, discrètement. Quelque chose lui disait que leur conversation ne manquerait sûrement pas d’intérêt.

— Vos ennemis sont nombreux, et pas forcément visibles. Ils auraient pu s’attaquer à vous sur le vaisseau de Rhadamanthe, ou sur Turi’n, ou même sur le chemin du retour.

— Ils l’ont fait.

À la façon dont il l'exprima, quelqu’un qui ne le connaissait pas aurait pu penser que pour l’ancien dieu, une tentative d’assassinat sur sa personne n’était qu’une simple formalité, un évènement de plus dans une longue vie qui en comptait bien d’autres, et des plus perturbants que cela.Il n'aurait pas été très loin de la réalité.

Néanmoins, Esmelia était certaine qu'il ne prenait pas cette attaque à la légère.

Grama le connaissait mieux qu'elle encore.

— Quoi ? s’exclama le Second. Quand ?

— Sur Turi’n, poursuivit Baal sur ce même ton badin. Sur le vaisseau du juge, et avant que nous puissions franchir le portail, et sans elle, je serais peut-être mort.

— Je note le « peut-être », railla Grama.

Il s’éclaircit la voix avant d’ajouter un peu dépité :

L’ijà’kô vous a donc sauvé, si j’ai bien compris ?

— Je veux surtout dire que j’ai eu raison de lui faire confiance pour me protéger. Elle est meilleure combattante qu’elle ne le laisse paraître. Tu peux me croire. Elle peut aussi être une bonne espionne, au besoin.

Grama ne répondit rien à cela.

Esmelia craignit, un bref instant, que Baal ait senti sa présence. Mais il devait surtout faire allusion à la manière dont elle avait assisté au conseil des Chanceliers.

— Vous lui faites confiance ? demanda finalement Grama.

— Non. Mais elle tient à ce que je reste en vie. Au moins, je n’ai pas à m’inquiéter pour ma sécurité.

— Pourquoi ? Elle vous aime tant que cela ? s’étonna l'officier.

La réponse ne se fit pas attendre :

— J’en doute. Je ne crois pas qu’un être comme elle puisse s’attacher à qui que ce soit.

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