Chapitre 22.1

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Teutatès avait la réputation d’être un solitaire, un être si secret pour ses comparses qu’il leur était impossible de deviner ses opinions ou d'anticiper ses réactions. Pourtant, ils le disaient sage et avisé. C’était sa réputation qui lui avait valu sa place au Conseil des Chanceliers. Son empire, s’il en avait eu un, n’avait jamais fait parler de lui. Son hôte avait l’âge de la maturité, même si sa chevelure sombre n’en portait pas encore beaucoup la trace. Il n’était pas particulièrement grand, ni musclé. Pour ce conseil, connaissant les lieux pour y être déjà venu, il avait revêtu un lourd manteau vert, aux manches et au col bordé de fourrure d’une espèce extraterrestre de renard gris.

Son regard vert aux reflets dorés cherchait à percer les ténèbres qui les entouraient par-delà les colonnes de pierres. Esmelia savait qu'il répertoriait mentalement les dangers susceptibles de les menacer. Il ressentait aussi sa présence, mais pas comme une menace. Plutôt comme une donnée incertaine. Inquiet, il faisait de gros efforts pour le cacher. Il se demandait aussi pourquoi lui et les autres avaient été réunis dans un tel lieu. Il ne doutait pas qu’ils aient été tous désarmés, mais cela ne le rassurait pas pour autant.

En l'observant attentivement, elle reconnut soudain le regard de l’Homme triste du marché aux esclaves. Elle en fut surprise. Sa présence et celle de Baal en un même lieu étaient-elles un hasard ? Deux fois de suite ?

Elle pousuivit son inspection.

Shamash paraissait beaucoup plus jeune que le "dieu sanglier".

Plus grand, plus large d’épaules, plus insouciant… Il était d’une beauté beaucoup moins classique que celle de Bacchus ou d’Apollon, beaucoup moins exotique que celle de Rhadamanthe, et différente de celle, extrême-orientale, de Tsukuyomi.

Esmelia décelait chez lui une ascendance à la fois européenne et africaine. Il était grand et athlétique comme un nageur olympique, ou un surfeur californien… Ce qui était d’autant plus visible qu’il portait une chemise transparente, malgré le nombre incalculable de couleur qui y transparaissaient, et une sorte de bermuda rouge et des sandales à lacets d'un orange fluorescent plus assassin que n'importe quelle arme.

Son visage tout en angles avec des pommettes saillantes ne semblait pas receler la moindre malice. Ses cheveux longs et crépus lui tombaient dans le dos. Sa peau était claire, mais une exposition plus ou moins longue au soleil en changerait radicalement la couleur. Cela dit, dans l’espace comme sur certaines planètes, le bronzage au soleil équivalait à jouer le rôle d’une brochette au-dessus d’un barbecue…

Les labirés de son empire avaient été parmi les premiers à se soulever contre les Drægans. Ils avaient détruit tout ce qui les représentait. Sa tête avait été mise à prix dans deux des galaxies sur lesquelles il avait régné. Il avait été surpris par cette rébellion, car il n’estimait pas être de ceux qui régnaient par la cruauté et la peur. Néanmoins, il avait contre lui de n’avoir jamais caché ce qu’il était, et d’avoir profité des privilèges que lui conférait sa nature aux yeux des êtres qu’il considérait comme inférieurs aux Drægans, surtout auprès des femmes quelle que soit leur espèce.

Lorsque les temps étaient au raccourcissement, il en allait pour les rois comme pour ceux qui évoluaient trop près d’eux : on ne perdait pas de temps à trier en leur demandant s’ils voulaient garder leur tête entre leurs épaules. Surtout si les compagnons jaloux étaient de la partie.

Comme son nom l’indiquait, Tsukuyomi avait les traits asiatiques. Plutôt fins, ils n’étaient pas sans rappeler vaguement ceux d’un autre personnage qu’elle avait rencontré quelques semaines plus tôt. Et pour cause, il s’agissait de Susanoo, son frère. Ils avaient probablement choisi leur hôte dans une même fratrie, ou au moins dans une certaine parenté.

Comme Susanoo, Tsukuyomi avait un visage volontaire, l’œil inquisiteur, le corps longiligne habitué à différents sports de combat. Contrairement à son turbulent et, désormais, très éparpillé frère, aucune trace d’un orgueil mal placé ne transparaissait dans son attitude.

Il avait des cheveux sombres et longs, tirés en arrière, excepté au-dessus des oreilles où ils avaient été coupés ras, ainsi que sur la nuque. Il portait l’armure d’un guerrier de Chine, mais Esmelia n’aurait su dire de quelle époque archaïque. Il n’y cachait cependant rien de dangereux, car il avait été désarmé, comme ses compagnons, par les voiles "gratte-langue". Elle le soupçonnait cependant de n’avoir besoin d’aucune arme pour se défendre et éliminer une bonne partie de l’assemblée.

Bacchus et Enki complétaient le groupe.

Face à eux, les membres du deuxième clan inspiraient autant confiance qu’une tribu de cannibales affamés après une semaine de régime végétalien et de mode de vie végan découvrant une dizaine d’explorateurs perdus sur leur territoire de chasse.

En plus d’avoir l’air d’un matou nonchalant, Ishkur avait l’attitude d’un joueur de poker venant d’entrevoir la possibilité de rafler la mise en une seule fois.

Quant à Lara, le regard qu’elle posait sur ses congénères était plus glaçant que le vent en Antarctique, ou que l’armure de métal gris qu’elle portait. Son visage de musaraigne boudeuse était blafard. Ses longs cheveux blonds étaient remontés sur le haut de son crâne dans une sorte de chignon sans attache. Pourtant, rares étaient les mèches qui avaient la volonté de s’en échapper.

Sans s’être consultés, ces deux Drægans listaient mentalement les différents moyens pouvant leur permettre de se débarrasser des autres sans passer pour les coupables évidents.

Freyr, avec son allure et ses vêtements de boucanier spatial, était pareil à lui-même : hautain et calculateur. Lui aussi se demandait comment nuire aux autres. Dans son regard gris acier brillaient la ruse, la jalousie et une méchanceté sans fond. Ce qui en était presque choquant pour un jeune homme qui ne paraissait pas avoir plus de trente ans. Sa beauté sauvage attirait immédiatement les regards de toutes les identités de genres et d’espèces humanoïdes, voire de quelques autres qui n’avaient rien de physiquement et sexuellement binaires. Et il savait très bien en jouer lorsqu'il souhaitait obtenir quelque chose d'elles.

Ésus semblait déplacé parmi ses rudes compagnons. Il respirait la gentillesse et la sagesse. Son physique distingué de gentleman britannique, avec son costume trois pièces semblant dater du milieu du XXe siècle, inspirait la confiance, ou à défaut, aucune méfiance. Mais son regard indéchiffrable, tantôt affable, tantôt amusé, toujours en mouvement, rappelait celui d’un dangereux psychopathe dont le dédoublement de la personnalité ne serait que le moindre de ses problèmes. Le genre qui aurait des envies de manipuler des naufragés dans un vaisseau en perdition ou sur une île déserte pour qu’ils s’entre-tuent.

De tous, Erra était celui qui respirait le plus l’antipathie et la roublardise, sous son visage humain. Il était bien conscient que la première impression était toujours celle qui comptait le plus. C’était exactement pour cela qu’il avait choisi son hôte avec soin. Un bel homme athlétique, maintenant en apparence âgé d’une quarantaine d’années, aux cheveux châtains souples et ondulants, et à la barbe naissante qui lui conférait une séduction dangereuse comme s’il voulait correspondre au critère dominant de son groupe, sans y parvenir, alors qu'en réalité, il les surpassait tous. Dans son regard cohabitaient intelligence, ironie et méfiance, ainsi qu’une bonne dose de ruse. Il avait une beauté sauvage et naturelle que bien des Drægans lui enviaient.

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