Chapitre 27.4

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— Depuis combien de temps avons-nous quitté votre vaisseau amiral ?

— Pardon ?

Elle répéta sa question.

— Six jours, finit par répondre Baal. Ne vous inquiétez pas pour MacAsgaill. Pour lui, cela ne fait que quatre jours que nous sommes partis. Il les aura sans doute passés à éplucher les livres de la bibliothèque ou, comme vous, à fouiner dans tous les recoins de mon vaisseau. Il n’aura sûrement pas vu le temps passer.

— Vous oubliez que vous l’avez consigné dans ses quartiers, lui rappela-t-elle.

— J’ai demandé à mes gardes de le laisser sortir dès qu’il en ferait la demande.

— Vous n’êtes pas si détestable que vous le laissez paraître finalement.

— Je ne vous conseille pas de me tester sur ce terrain.

Elle préféra changer de sujet :

— Amaterasu et son armée peuvent-ils nous retrouver ?

Il mit un moment avant de lui répondre. Le temps de vérifier si des morceaux de son vaisseau étaient restés dans le vortex, ou ailleurs.

— Ils le pourront, certainement, finit-il par répondre en se tournant vers elle. Mais pas avant un long moment. À ma connaissance, je suis actuellement le seul Drægan à posséder les codes d’ouverture des portails.

— Le seul Drægan, répéta-t-elle.

Cela ne signifiait pas qu’il était le seul extraterrestre à les posséder dans tous les univers connus.

— J’espère que nous aurons quitté les lieux avant…

— Si nous avons été absents durant six jours, et que pour Will cela ne fait que quatre…

— Cela signifie que le temps passe différemment dans les portails, dans un sens ou dans un autre.

— Ils pourraient être ici avant nous ?

— C’est une possibilité, mais elle est infime. Ils doivent d’abord localiser la position de mon vaisseau, ensuite parcourir toute la distance qui les en sépare sans avoir recours aux portails. Si jamais ils y parvenaient, avec un peu de chance, nous serons très loin de ce système solaire.

— Il faudrait que nous parlions d’une chose très imp…

— Il y a sans doute deux ou trois choses importantes dont nous devrions parler, la coupa-t-il sans se retourner. Notamment sur le fait que, même inconsciente, vous n’avez pas cessé de débiter un charabia inintelligible. Mais ce n’est ni le lieu, ni le moment. Si vous essayez de me prouver le contraire, je n’hésiterai pas à ouvrir le sas derrière nous. J’y survivrai, mais pas vous, et pas seulement parce que je suis à nouveau attaché à mon siège, contrairement à vous.

Elle n’était pas certaine que cela soit exact, mais elle préféra ne pas le tenter et, à l’avenir, d’éviter toute forme d’invitation à s’asseoir dans les confortables sièges de l’espace VIP du sas. Avec l’ancien dieu, difficile de savoir comment cela pouvait finir. Elle réactiva les harnais et se sentit de nouveau collée à son siège.

— Lorsque nous serons de retour, trouvez-vous un miroir.

Sa façon de lui dire qu’elle ne devait plus ressembler à la femme qui était partie avec lui six jours plus tôt était brutale.

Elle baissa précipitamment son harnais de sécurité qu’il avait dû relever pour tester ses signes vitaux une fois le vaisseau sorti de la bouche. Elle lui parlerait de sa conversation avec Mead’ plus tard.

Ils passèrent les deux heures suivantes dans le silence.

Cela lui prouva, si elle en avait eu besoin, que les voyages de l’espace étaient du plus grand ennui, que ce soit à plus cinq cents personnes dans un vaisseau amiral, ou à deux dans une frégate.

Enfin, au détour d’une toute petite planète morte, son vaisseau amiral apparut.

Baal dirigea la frégate vers l’une des aires d’appontage. Il ne s’était plus préoccupé d’elle depuis qu’il avait renvoyé leur conversation aux calendes grecques.

Elle comprenait parfaitement qu’il ait à gérer d’autres obligations dans l’immédiat. Il devait aussi éloigner son vaisseau et ses passagers le plus rapidement possible de cette zone spatiale, peut-être même de ce système.

Elle se sentait sonnée, perdue, et se rendit à peine compte qu’il avait quitté la navette.

Esmelia était restée sur son siège à méditer sur sa rencontre avec Mead’, sur la bataille spatiale, sur le Conseil drægan dont elle se souvenait pourtant jusqu’au moindre détail. Jusqu’à ce que Will vienne la chercher. Il était sincèrement inquiet à son sujet.

Lorsqu’elle releva la tête vers lui, il écarquilla les yeux et blêmit. Baal l’avait prévenue, elle devait avoir une tête à faire peur. Pourtant, ce que Will lui dit, la surprit :

— Tes yeux… Que s’est-il passé ?

— Mes yeux ?

Will sortit sa tablette, pianota sur l’écran quelques secondes et la lui tendit.

En manque de miroir pour sa toilette au cours de ses pérégrinations, il en avait programmé un.

Elle put enfin se voir telle qu’elle était vraiment en cet instant, et non comme elle s’imaginait. Ce qui la frappa effectivement, ce fut ses yeux. Elle avait les yeux de Mead’. Ses iris étaient d’un cuivré liquide.

Elle soupira en songeant que l’étreinte de Mead’ se resserrait. En même temps, elle sentit son coeur se serrer. Elle aimait ses yeux tels qu'ils étaient avant : verts, et surtout normaux. Maintenant, chaque fois qu'elle se verrait dans une glace, ce serait comme si Mead' se rappelait à son souvenir. Comme si l'entité voulait lui rappeler qu'elle n'était pas celle qu'elle pensait, que ses jours étaient comptés, et qu'elle nepourrait rien faire contre cela.

Sans préméditation, elle se pencha sur lui, et avant qu’il ait pu réaliser ce qu’elle voulait faire, elle l’embrassa avec fougue. Il répondit à son baiser avant de se reprendre et de l’écarter.

— Je te demanderai bien si ça va, mais de toute évidence, ce n’est pas le cas.

— Je n’ai besoin que d’une chose, là, maintenant.

Même si son regard se fit interrogateur, elle sentait qu’il devinait ce dont elle avait besoin. Il se montrait réticent à faire le premier pas. Rien de plus normal. Sur la Terre, les rapports entre un homme et une femme de la simple rencontre à la vie de couple, du bas-âge à la mort, de l’école au domicile privé étaient, selon elle, outrageusement complexes pour une espèce aussi archaïque que l’Humanité terrienne. Encore que la complexité fût une question de point de vue. Un consentement de sa part pouvait suffire, et une consigne précise.

Elle les lui donna :

— Je te veux, toi, et personne d’autre. J’ai assez vu d’extraterrestres ces derniers jours.

— Cela pourrait être une bonne raison effect…

Elle l'attira à lui, et ce fut lui qui l'embrassa, cette fois.

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