Chapitre 10.3

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Comprenant qu’il n’obtiendrait aucun soutien de la part de ses deux acolytes, le marchand s’efforça de faire bonne figure et éclata de rire. Du moins à ce qui y ressemblait tant il sonnait faux, même pour une sorte de coassement.

Quelques individus, comme s’ils avaient ressenti le risque d’être mêlés à un conflit qui ne les concernait pas, quittèrent la place avec précipitation.

Le Drægan lâcha trois mots d’une voix forte et claire.

Le marchand roula des yeux et ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais une petite voix dans sa tête lui souffla sans doute un truc du genre : « La chance, c’est comme la foudre, il est peu probable qu’elle tombe deux fois au même endroit. Alors quand ça arrive, on ne dit rien et on attend. »

Il se pinça les lèvres, se recomposa un air impassible, et acquiesça d’un signe de tête en direction du négociateur. Celui-ci hésita une longue minute, puis il répéta aux potentiels acheteurs les trois mots avec lenteur, déglutissant entre chacun d’eux, comme s’ils sortaient malgré lui de sa large bouche.

Une onde de stupeur parcourut la petite assistance qui était restée devant l’estrade.

Quelques-unes se regardèrent avec incrédulité. D’autres reportèrent leur attention sur l’humaine à côté du militaire. Ils se demandaient tous ce qui, chez elle, provoquait l’intérêt du Drægan.

Elle chercha l’Homme triste, le seul autre humain de l’assemblée, à moins qu’il ne soit, lui aussi, un Drægan. Il n’y avait qu’un moyen de le savoir, mais il semblait s’être éclipsé. Elle trouva curieux qu’il surenchérisse, puis disparaisse au moment où quelqu’un d’autre proposait un prix plus élevé.

Cet individu encore invisible avait, par sa proposition suscitée l’intérêt de Baal. Et il n’avait pas eu l’air d’apprécier. En tous les cas, cela l’avait poussé à répondre à ce qui était, sans doute pour lui, une provocation.

L’enchérisseur avait trouvé un adversaire chez Baal. L’Homme triste, lui, ne s’était pas senti de taille contre l’un des deux, ou les deux à la fois.

Esmelia commençait à se demander si son stratagème n’allait pas se retourner contre elle.

Comme pour le confirmer, sortie de nulle part, la voix aux intonations pointues aboya de nouveau. Quatre syllabes cette fois.

Une créature ronde tomba à la renverse et roula comme un gros rocher pour traverser la foule qui se referma immédiatement après son passage. Esmelia ne put voir où elle était allée s’échouer une fois sortie de la place.

La rumeur faisait converger des curieux plus téméraires que les autres vers la place du marché aux esclaves.

Baal affichait un sourire tranquille, mais faux, estima-t-elle.

Il discuta de nouveau avec le marchand d’esclaves.

Le militaire regardait autour de lui, essayant probablement de deviner l’identité de l’enchérisseur.

La peur avait fait place à la curiosité. Il était intrigué par cet enchérisseur qui ne se montrait pas.

Esmelia commençait à s’inquiéter et à craindre que les choses tournent mal.

Elle sentait la nervosité la gagner.

L’ Écossais reporta de nouveau son attention sur sa compagne.

— Je m’appelle William MacAsgaill. Je suis exoarchéologue. Je sais, ce n’est pas courant, lâcha-t-il d’une traite.

Lui dire qu’elle savait très bien qui il était n’était pas encore la chose à faire. Il finirait bien par le deviner ou, au moins, le supposer lorsqu’ils auraient fait un peu plus connaissance.

— Esmelia Danatess-Evihelia…

— Ça non plus, ce n’est pas courant, mais C’est un joli nom… Votre prénom aussi… Comment êtes-vous arrivée ici ?

Il avait une voix douce et apaisante, malgré les circonstances.

Elle lui répondit franchement.

— J’ai saisi l’occasion qui s’est présentée.

Elle n’avait pas réussi à lui mentir. Au début, ce n’était pourtant pas difficile, mais plus elle restait à ses côtés et moins elle avait envie de lui mentir. Il y avait quelque chose chez cet homme qui faisait qu’à un moment ou un autre, on avait envie de jouer cartes sur table. Au moins une fois sur deux.

Elle se demanda s’il faisait cet effet à tous ceux qu’il rencontrait. Si tel était le cas, sa relation avec Baal risquait de devenir fichtrement intéressante. Serait-elle encore présente pour le voir ? Elle l’espérait.

Voyant qu’il n’avait pas l’air convaincu, elle ajouta :

— On peut aussi dire que je n’ai pas été très honnête avec ceux qui m’ont employée.

Il l’observa un instant avant de secouer la tête.

— Je vois… J’ai aussi faussé compagnie à mes collègues et amis… Pour l’amour de la science et de la découverte.

Il ne cherchait même pas à savoir en quoi et avec qui elle avait été malhonnête. Peut-être en avait-il une idée et attendait qu’elle lui dise elle-même. Elle en avait envie, mais elle parvint à se retenir.

— Ça valait le coup ? lui demanda-t-elle.

Il éluda la question par une autre, comme elle l’avait fait :

— Et vous, c’était pour la bonne cause ?

Elle s’efforça de sourire :

— Tenter de sauver la galaxie, évidemment. Mais pas toute seule…

Il pensait qu’elle plaisantait et s’attendait à ce qu’elle en dise plus.

Elle n’ajouta rien.

Comment pourrait-elle lui expliquer qu’elle était le dernier maillon de plusieurs générations de femmes à la recherche du seul être capable de sauver l’univers d’une destruction annoncée depuis l’aube des temps ? Comment lui dire qu’elle venait de mettre la main dessus avant beaucoup d’autres et qu’elle devrait tout faire pour que l’ancien dieu accepte sa destinée ? Comment convaincre MacAsgaill que lui-même serait amené à prendre une part importante de cette histoire sur ses épaules ?

Cela paraissait énorme, et très cliché. Il y avait sûrement des explications moins vraies, et beaucoup plus crédibles que celles-ci.

Sans compter que sa situation actuelle ne donnait pas l’impression qu’elle puisse sauver quoi que ce soit, avec qui que ce soit.

Encore moins avec un ancien dieu de la guerre et des orages.

Mais il fallait bien ça pour contrer la menace.

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