Chapitre 41.2

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Elle espérait que Baal avait été assez malin pour ne pas montrer sa véritable nature et ses capacités destructrices aux Terriens. Sans quoi, elle n’enviait pas le sort qui lui serait réservé.

Si Carnaham l’avait croisé, n’aurait-il vu en lui qu’un personnage insupportable avec ses manières de dieu déchu ?

Plutôt que de lui demander quoi que ce soit à propos du Drægan, elle avait interrogé l’Américain sur divers objets mythiques tels que Le Marteau de Mjöllnir, La Lance de Gungir, Le Miroir des Ombres et toute une liste d’artefacts dont elle avait seulement entendu parler, et dont elle supposait qu’ils pouvaient exister, sur cette Terre ou dans cette galaxie.

L’idée des artefacts lui avait été inspirée par les accessoires du musée personnel de Baal. Dans deux ou trois endroits de cette planète, il existait des entrepôts où l’on soustrayait à l’Humanité des objets propres à la détruire. La Boite de Pandore, la Clef Fée, ou les Monolithes noirs, relevaient des légendes urbaines, mais il existait souvent un fond de vérité, un artéfact source.

Carnaham l’avait d’abord regardée bizarrement, se demandant si elle se fichait de lui ou si elle était folle. Qu’il le suppose lui était égal. Puis, elle se rendit compte qu’il se demandait plutôt comment elle connaissait l’existence de tous ces objets dont personne n’avait jamais fait officiellement mention. Il comptait le savoir après s’être occupé de ceux qui avaient tenté de lui faire la peau.

Elle songea que, d’ici à ce qu’il le découvre, les poules auront des dents. L’essentiel était que Carnaham leur laisse assez de temps avant de prévenir l’AMSEVE au sujet de Will, et ses contacts au sein de l’armée américaine en leur enjoignant de renforcer la sécurité sur l’ensemble de la Zone 51. Il n’hésiterait certainement pas à leur parler de la femme qui se télétransportait dans une fumée noire.

Bradley Carnaham réalisa soudain à qui il avait vraiment affaire dans cette chambre d’hôpital : des personnes qui cherchaient quelque chose ou quelqu’un… et qui avaient sûrement plus besoin de lui, que lui d'elles.

Si Esmelia le trouvait moins intelligent que Will, elle savait aussi qu'il était très loin d’être stupide. Son esprit s’était alors refermé comme une huître sur sa perle. Toujours, en exploration dans l’esprit de l’ancien collègue de Will, elle eut l’impression d’entrer en collision avec un bloc de granite : dur et froid, rugueux et sans la moindre émotion. Elle détestait ce genre de personnage capable de faire abstraction de tout sentiment avec une facilité déconcertante. Elle les jugeait particulièrement imprévisibles et, par conséquent, dangereux.

Ce qu’elle appréciait chez Will, c’était son incapacité à cacher ses émotions. Elles le guidaient.

Quant à Baal, il ne prenait même pas souvent la peine de cacher ce qu’il pensait surtout lorsque cela les concernait. S'il le faisait, alors il s'arrangeait pour que personne ne s'en aperçoive. Sauf lorsqu'il souhaitait montrer qui était le dominant. Avec ces deux-là, elle savait où elle allait.

Avec Carnaham, c’était comme sauter d’une falaise : le vide absolu. Elle avait compris que ses trois millions de dollars venaient de passer au dernier rang de ses priorités, et qu’ils avaient perdu leur seul et unique levier sur lui. Ils s'étaient retirés en lui promettant de revenir l'interroger à nouveau le lendemain. Nul doute qu'ils seraient attendus et arrêtés s'ils osaient se présenter à nouveau à l'hôpital.

Ils avaient donc repris la route et tracé en direction du Nevada. Heureusement, les deux voyageurs avaient pu obtenir quelques informations qu’ils sauraient fort bien utiliser, et Grama leur avait fourni une nouvelle, qui avait son importance, même s'il était persuadé qu'il ne s'agissait que d'une rumeur. Il tenait de l'un de ses informateurs qu'un ancien dieu avait été capturé quelques années plus tôt sur un territoire alors occupé par les Américains, et ceux-ci l'avaient secrètement rapatrié aux Etats-Unis, et le gardaient prisonnier sur la zone 51 où il était soumis à diverses expérimentations.

Elle voyait difficilement Baal se faire charcuter par des humains, mais lui laissait-on le choix ?

*

***

La chaleur et l’odeur du sable du désert… Les bâtiments en tôle blanche droit devant eux, en contrebas...

Elle était lasse de les voir. Il était temps de passer à l'action et d'en finir.

Will tourna la tête pour lui rappeler sa présence :

« Tu penses à tout ce qui nous est arrivé ces dernières semaines ? »

Elle acquiesça d’un signe de tête.

Il l’observait comme s’il cherchait à lire le fond de sa pensée.

Ses yeux azur, aussi pénétrants soient-ils, ne pourraient jamais aller jusqu’aux tréfonds de son âme. Ils ne parviendraient jamais à voir les douleurs qui la hantaient.

— Moi aussi, dit-il. Je n’arrête pas d’y penser en ce moment. Il faut dire que notre situation actuelle s’y prête : l’attente, les longues heures de surveillance, une activité inexistante, en termes d’action du moins. Presque trois mois sans montée d’adrénaline, c’est long. Nous ne sommes plus habitués à cela.

— Je me demande si nous serons capables de reprendre le cours normal de nos vies, pour autant qu’on le puisse, si nous sommes obligés de rester ici.

— Je me le demande aussi, mentit-elle.

En réalité, la question ne lui était même pas venue à l'esprit. Elle sentit un frémissement dans son âme, un regret…

Pour lui, la réponse était clairement non. Il était mort. Il ne pourrait plus jamais vivre normalement. Il devrait toujours être en fuite.

— As-tu essayé de voir ta famille sur les réseaux ? se hasarda-t-elle.

Sa question lui sembla un peu gauche. Elle l’avait déjà poussé une fois dans cette direction, mais il avait refusé de la prendre. Peut-être avait-il changé d’avis depuis. Il ne s’agissait pas d’entrer directement en contact. Mais il pouvait observer ses proches, sans qu’ils le remarquent, grâce aux traces qu'ils laissaient sur les réseaux.

Elle avait appris que le Will de cette vie avait eu une fiancée qu’il devait épouser après son départ de l’AMSEVE. Elle se demandait si le Will qu’elle connaissait avait essayé de voir qui elle était, et comment elle était. Elle en avait même ressenti une petite pointe de jalousie qu’elle avait essayé de chasser, en vain.

— J’ai… (Il hésita) Mon double a… Avait huit frères et sœurs plus âgés que lui, et trois plus jeunes, élevé par leur père, et leur grand-mère paternelle. J’ignore si ma mère… Si sa mère est encore existante.

— Tu n’es pas le Will qu’ils ont connu, mais tu n’en es pas moins lui, ayant eu des expériences et une vie différente. Comme tu l’as dit… Entre vous, c’est comme une très longue absence.

Elle se tut un instant avant de reprendre :

— Cette famille, elle te manque ?

— D’une certaine manière.

— D’une certaine manière ?

— J’ai beau être étranger à ce monde, et à la famille de mon alter ego, je n’arrive pas à me dire que je ne les reconnaîtrai pas comme s’ils étaient vraiment mes parents. Et quand il m’arrive de me persuader du contraire, quelques minutes seulement, je me demande jusqu’à quel point, ils sont…

Il n’acheva pas sa phrase.

Elle le fit pour lui :

— Différents de ceux que tu as connus ?

Il acquiesça silencieusement.

Elle comprit qu’il serait inutile de le questionner plus. Elle reporta son attention sur le hangar et évalua, une énième fois, la situation.

— Je ne sais pas si c’est notre ami qu’ils gardent, mais quoi qu’il y ait là-dedans, ils le protègent bien.

Will ne répondit pas.

Elle le regarda à nouveau. Quelque chose le tracassait.

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