Chapitre 40.3

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De temps à autre, ses délires avaient du sens. Ainsi, entre deux regrets sur une vie gâchée, la promesse – qu’il ne tiendrait pas – de reprendre sa vie en main, et la déception causée par un père dont il n’avait jamais eu la confiance, il avait divagué sur la politique gouvernementale, les coupes budgétaires dans les administrations publiques, et les rivalités entre les agences gouvernementales, les services secrets.

Entre autres choses. Il avait aussi évoqué sa rencontre avec des agents du gouvernement, des hommes en noir, nommés, Doyle et Bowman, un « faux vrai » médecin légiste trop jolie pour être ce qu’elle prétendait, et surtout pour être la compagne de ce Doyle. Une histoire qu’il avait certainement lu dans le dernier roman à succès de Padington, un auteur de romans fantastiques.

Là où il avait atteint des sommets, toujours selon le chirurgien, c’était lorsqu’il s’était mis à parler d’une explosion en Alaska qui aurait détruit des artefacts extraterrestres, de la zone 51, d’un vaisseau spatial stationné derrière la Lune ou au fond du Golfe d’Aden, et surtout d’un endroit où le gouvernement avaient fait enfermer un extraterrestre poète qui lisait dans les pensées.

En l’écoutant, Will avait adopté l’attitude digne de celui auquel on annonce que son frère pourrait bien se retrouver en psychiatrie s’il s’entêtait dans ses divagations à propos des extraterrestres amateurs de versification.

Heymus avait conclu, sur le ton de la fausse plaisanterie, en disant que le jour où les extraterrestres avaient débarqué sur la Terre, cela n’avait pas été pour chanter la paix, encore moins pour déclamer de la poésie.

Will croisa le regard d’Esmelia et retint tous les commentaires qui lui vinrent à l’esprit. Ils ne rirent pas non plus.

Le chirurgien avait soudain eu une curieuse manière de les regarder. Comme s’il avait deviné qu’ils n’étaient pas ce qu’ils disaient être. En tous les cas, qu’ils lui cachaient des éléments concernant son patient.

Lorsqu’ils entrèrent enfin dans la chambre de Bradley Carnaham, celui-ci faisait mine de dormir.

Elle attendit que Will ait refermé la porte pour se téléporter de la porte jusqu’au lit sur lequel elle s’assit.

Un tout petit saut bien intentionnel qui devait son effet sur Carnaham.

Elle sentit le cœur de celui-ci faire un bond. Sa respiration se troubla. Il savait manifestement à qui il avait affaire.

Comprenant que cela ne servait à rien, il cessa de jouer la comédie et ouvrit les yeux qu’il avait encore vitreux de fièvre. Cela, au moins, ce n’était pas de la comédie.

Will l’aida à se redresser sur son lit d’hôpital. En le reconnaissant, le cœur de Carnaham s’affola encore plus.

— Eh, oui, c’est bien moi, fit simplement Will.

Ce qui ne le rassura pas plus.

Il fallait qu’elle trouve quelque chose pour le rassurer.

— Quelqu’un a… Quelqu’un a essayé de le tuer lui aussi, mentit-elle avec la plus grande conviction.

Elle sentit le regard de Will sur elle.

— Nous avons dû faire croire à sa mort. Je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant.

La croyait-il ? Elle n’en était pas certaine. Mais c’était la meilleure explication qu’elle avait pu trouver. La plus évidente aussi par rapport à ce que venait de vivre Carnaham.

Elle lui répéta tout ce qu’il avait raconté au personnel médical.

Évidemment, il nia en bloc, prétendant que la fièvre l’avait fait délirer.

Esmelia lui fit alors comprendre qu’il ne reverrait ses trois millions de dollars que dans ses pires cauchemars. Cette perspective le mit hors de lui durant quelques minutes avant de le rendre plus malléable et réceptif au marché qu’ils lui proposèrent : il retrouverait son argent s’il leur donnait tous les renseignements qu’il possédait sur la fameuse zone 51. Ce qui comprenait un plan détaillé de la base, la superficie et la topographie des lieux, le système de sécurité, la fréquence de rotation des gardes, le nombre exact de ces derniers.

Des informations qu’un policier ou un agent du FBI lambda ne pouvait pas connaître. Esmelia se doutait que le niveau d’accréditation de Carnaham était supérieur à ce qu’il laissait supposer. Un privilège qu’il tenait de ses actions à l’AMSEVE. Un homme aussi précieux que lui, l'AMSEVE ne pouvait sûrement pas s'en séparer. Pas plus que le gouvernement américain. Un fait qui d'un présent à un autre devait être constant.

Will l’interrogea sur ses anciens collègues, en particulier Carl Bowman, Neil Doyle et Wendie Jones, puisqu’il les avait cités dans ses délires et les avait liés à la zone 51.

Carnaham prétendit qu’il n’avait rencontré ces personnes qu’une seule fois, lorsqu’elles étaient venues l’interroger au cours d’une enquête.

Will ne le crut pas plus qu’elle. Il lui demanda s’il avait des nouvelles du Général Foster Doherty, de Jenna Benedict, de Jaimini Latchoumaya, de Kilani-Stah-Et, de Matthew Heaven, de Castil Tenso’Me ou encore d’Earlin Xiphonto.

Si l’évocation de tous ces noms parvint à le convaincre que Will était bien celui qu’il disait être, Carnaham n’en avait pas moins renâclé.

— Tu as oublié quelqu’un…

Il avait des difficultés à parler.

Esmelia le força à boire un peu d’eau.

— Jor ? Elle va très bien. Nous nous sommes croisés, il y a quelque temps.

Il se rendit compte trop tard qu’il n’aurait jamais dû dire cela. Dans ce temps alternatif, il n’avait pu la croiser, car c’était un évènement du futur.

— Alors, tu sais très bien ce qui est arrivé à Kilani…

Will l'ignorait. Il lui retourna la question :

— Tu le sais, toi ?

— Personne ne le sais, soupira Carnaham.

Ne pas savoir lui était visiblement pénible.

— Écoute, tu peux nous aider, insista Will. Tu nous dois bien cela.

— Je ne vous dois rien, ni à toi, ni à elle. En plus, je ne la connais pas.

Will avait balayé son refus d’un revers de main avant de lui faire remarquer que l’AMSEVE, ou Bowman et Doyle n’avaient rien fait pour le sauver, tandis qu’Esmelia avait mis sa vie en danger pour l’amener jusqu’ici alors qu’elle ne le connaissait pas. Sans elle, il serait mort.

— Et sans les premiers soins que Will vous a apportés sur le site de l’explosion, c’est un cadavre que j’aurais dû ramener, lui fit-elle remarquer plus sèchement qu’elle ne l’aurait souhaité.

Elle ajouta aussi le contrat tacite établi entre eux, quelques minutes plus tôt, lui permettant de récupérer sa fortune deviendrait caduc s’il ne coopérait pas ou s'il les trahissait d’une manière ou d’une autre.

De quoi l’encourager à les aider un minimum.

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