Chapitre 34.2

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Grama avait eu la confirmation qu’elle n’était pas la Terrienne qu’elle prétendait être. Pas totalement Il s’était demandé si Will avait remarqué ces changements ? Effectivement, l'aurait-il remarqué si elle ne le lui avait pas dit ? Il y a ce vieux proverbe terrien qui dit que l'amour rendait aveugle...

Et Baal ? Cela n’avait pu lui échapper. Le second craignait que son maître coure un danger. Il s'interrogeait et se trouvait face à un dilemme sans solution, même s'il savait envers qui allait sa fidélité. Il ne voulait pas non plus donner à croire que l'ancien dieu ignorait la moindre des choses qui se passaient à bord. Il n’en avait encore parlé à personne.

Une vague de tristesse plongea la jeune femme dans la perplexité. Si elle l’avait désiré, Mead’ aurait pu l’éliminer pour sauvegarder son secret, mais elle ne l’avait pas fait. Pourquoi ? Non que ce fut un regret. Au contraire.

Esmelia considérait Grama comme un homme bon et bien, intègre et fidèle envers Baal, doué d’un sens moral aussi droit qu’une flèche. Seulement Mead’ ne s’embarrassait pas de ce genre de considération. Quel rôle Grama aurait-il à jouer dans cet immense puzzle que l'Entité avait mis des siècles à agencer ?

Y avait-il une raison à ce qu'il soit encore en vie, en dehors du fait que Baal n’apprécierait pas qu’elle tue l’un de ses protégés ? Sans doute considérerait-il un tel acte comme une déclaration de guerre. Ce n’était pas dans leur intérêt, ni à l’un ni à l’autre.

Avec Will, c’était une autre histoire. Grama appréciait sa compagnie. Le scientifique était de bonne composition, toujours disposé à aider sans qu’on le lui demande et curieux des choses qu’il ne pouvait connaître en tant que Terrien, notamment sur la structure du vaisseau, les voyages spatiaux, les Drægans, les Sumériens et toutes les civilisations de la galaxie.

Ils avaient sympathisé, dans une certaine mesure. Grama ne le considérait pas comme un ami, mais comme quelqu’un qui pouvait le devenir, peut-être… S’il reconnaissait Baal comme son protecteur et maître et s’il était prêt à donner sa vie pour ce dernier. Mais il se doutait que c’était trop en demander à un étranger qui n’avait jamais eu foi dans les anciennes divinités, ou dans tout autres dieux.

Il acceptait donc les deux Terriens comme n’importe lequel des très rares invités de son maître à bord. Mais il ne comprenait pas pourquoi Baal les avait tolérés aussi longtemps, lui qui n’admettait la présence d’étrangers sur son vaisseau que le temps d’une visite de courtoisie, même ceux de sa propre espèce.

Esmelia plongea plus profondément dans la mémoire de l'humain.

Avant leur arrivée, à Will et elle, il avait été le seul Terrien au milieu d’humanoïdes natifs de Sumer, planète d’un petit système solaire. Tellement petit qu’il était difficile de le trouver, même sur une carte stellaire. Baal avait choisi le bon endroit pour se réfugier et se cacher. Les Sumériens y avaient développé leur civilisation à partir de celle de leurs lointains ancêtres nés sur la Terre.

Ces derniers avaient vécu sur la Terre avant qu’une ancienne divinité, antérieure aux Primaires, les exporte à son service sur une planète dont le nom était oublié aujourd’hui.

Les premiers labirés lui avaient donné le nom de Sumer, et c’était celui sous lequel elle était désormais connue. Leur civilisation avait évolué, et leur génétique avait suivi ses propres variations en rapport à leur environnement.

Dès leur installation, ils avaient adopté un mode de vie nomade et se déplaçaient sur l’unique continent du globe au gré des saisons. De ce point de vue, Sumer n’était pas ce que l’on pouvait appeler un monde hospitalier. La planète était la plus grosse de son système solaire. Et des trois satellites qui orbitaient autour d’un soleil proche de son extinction, que les Sumériens appelaient Ethnos, elle était aussi celle qui en était la plus éloignée. Les températures, en été, y excédaient rarement plus de quarante degrés. En hiver, elles pouvaient descendre jusqu’à moins quatre-vingts.

Une majorité des sumériens avaient donc choisi de se déplacer suivant les circonvolutions de Sumer. Il existait néanmoins des peuplades qui, au cours des millénaires, avaient choisi différents moyens de survie en construisant des dômes, ou en s’installant dans des cavités souterraines, ou bien encore au fond des océans gelés de la surface, sur des kilomètres d’épaisseur. Au fil du temps, ces groupes avaient fini par évoluer en dehors de tout contact. Tant et si bien que les Sumériens de la surface ignoraient s'ils existaient encore.

Les Sumériens possédaient une physiologie humanoïde. Leur taille moyenne se situait autour des deux mètres dix. Ils paraissaient aussi massifs que des géants. Ils étaient particulièrement fort et endurants. Plutôt doux de caractères, ils pouvaient se montrer redoutables en tant que guerriers. Ils pratiquaient un culte du corps et de l'esprit qui pouvait, aux yeux de la majorité des Terriens comme excessif. Will et elle s'en étaient bien aperçu, mais ils s'y étaient rapidement habitués. Si bien qu'il leur semblerait sûrement difficile de retrouver l'hygiène souvent approximative de la plupart de leurs congénères.

Grama était physiquement moins impressionnant qu’eux. Plus petit, moins massif, il arborait une peau plutôt claire, des yeux très bleus dans un visage aux traits délicats et une chevelure châtain clair. Les sumériens avaient des yeux sombres, légèrement bridés, des cheveux noirs, et leur peau était cuivrée. Il leur enviait leur force autant que leur beauté. Plus encore, il les admirait. Il se sentait fier d’avoir été accepté par ces hommes et ces femmes plutôt méfiants de nature envers les étrangers.

Lorsque Grama vivait sur la Terre, le sport n’avait jamais été sa matière préférée à l’école. Il n’en avait vraiment compris l’une des utilités que le jour où il avait été pourchassé par des chiens monstrueux.

Les Sumériens, quant à eux, étaient des coureurs à pied infatigables, des grimpeurs alertes, et des lanceurs de javelots d’une précision absolue. Leur condition physique faisait l’admiration de nombreux dieux drægans qui les avaient toujours enviés à Baal et à ses prédécesseurs. Tout leur corps, jusqu’à leur visage, était scarifié et tatoué de signes se rapportant à leur famille, et à leur tribu d’origine. Ces marques évoquaient aussi les évènements importants qui avaient jalonné leur existence.

Elle n’avait remarqué aucune scarification sur le corps de Grama, et juste un tatouage en haut du bras droit ressemblant à une série de symboles cunéiformes. Rien, dans les replis de son esprit, n'indiquait le contraire.

Si, au cours des siècles, ils avaient parfois changé de maîtres, les Sumériens avaient toujours été fidèles aux Baal. Cependant, aucun des labirés à bord du vaisseau n’avait connu Baal L’Ancien, le père de l'actuel Baal. Elle le regrettait, car elle aurait peut-être pu glaner auprès d’eux des informations sur ce vaisseau fabuleux que l'ancien dieu phénicien recherchait, ou sur l’usage de L’Occulteur de Mondes.

Il était de coutume pour les Sumériens, enfants comme adultes, hommes comme femmes, d’être rasés de la tête aux pieds. Grama s’était plié à cette règle jusqu’à ce qu’il entre au service de Baal Le Jeune, comme les labirés l’appelaient entre eux, bien qu’il ait atteint l’âge de deux mille ans, voire deux mille cinq cents ans.

Une remarque de Baal sur le fait qu’il ne servait à rien de gommer ses différences avait obligé Grama à comprendre qu’il ne serait jamais un sumérien malgré ses efforts et le respect qu’il avait pour ce peuple et ses traditions. Il avait alors fini par être ce qu’il était vraiment, un terrien qui n’avait aucune intention de retourner vivre parmi ceux de son espèce. Il avait le sentiment d’être exactement là où il devait être : dans l’espace, parmi des hommes et des femmes qui ne se plaignaient pas à la moindre contrariété, ou qui n'enviait rien aux uns ou aux autres. Des individus qui, quoi que l'on en dise, étaient libres.

Ce rêve, d'espace et de liberté, caché durant son enfance était devenu une réalité lorsque Baal l’avait forcé à le suivre. Ce qui, au regard des évènements récents, semblait être une constante chez le Drægan.

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