Chapitre 36.4

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Restait à savoir comment quitter le bar sans passer par la porte d’entrée. Elle regarda autour d’elle et trouva la solution.

— Je vais aller faire un tour chez les dames, dit-elle simplement à son compagnon.

Will comprit son intention de se téléporter. Il se demandait si c’était une bonne chose. Apparemment, elle ne supportait pas très bien ce pouvoir. Cependant, ils ne pouvaient quitter les lieux sans payer. Mieux valait qu'ils restent discrets pour ne pas alerter les autorités locales.

— Je nous commande un café canuck.

Sans lui demander de quelle boisson caféinée il s’agissait exactement, elle se leva et se dirigea vers les toilettes pour femmes. Elle y entra et se retrouva devant une rangée de portes en bois, chacune d'une couleur différente. L'endroit était parfaitement entretenu. Elle choisit d'entrer dans la cabine à porte bleu marine et s'y enferma à double tour.

Elle mémorisa rapidement les lieux .

Ce n’était que des toilettes sans fenêtres – au cas où une cliente serait tentée de quitter l’établissement sans payer – mais pratiques du fait de leur intimité, au moins pour un aller-retour rapide.

Elle sourit en voyant un journal, posé sur le réservoir d’eau. Il était daté du jour où elle avait décidé de rejoindre l’AMSEVE, il y avait plus d’un an de cela. Ce qui lui fit penser qu’elle n’avait aucune idée exacte du jour actuel. Elle s’en informerait plus tard.

Esmelia songea au hall de la grande maison et s’y retrouva instantanément. Elle n’eut pas de mal à trouver le sac de Will. Elle s’agenouilla pour le fouiller et trouva immédiatement la tablette. Il lui fallait maintenant trouver un objet précieux à mettre en gage, mais il ne fallait pas qu’il attire trop l’attention sur...

Un mouvement au-dessus d’elle lui fit relever la tête. Elle faillit avoir la peur de sa vie.

— Grama…

Sans le vouloir, elle repensa à son précédent point de départ et se retrouva à nouveau dans la cabine de toilettes. Elle eut à peine le temps de penser à son estomac, chargé cette fois-ci, qui se rebellait de nouveau, et à Grama qui se tenait devant elle avec la tête de celui qui vient de voir un fantôme. À moins que cette petite ville ressemble fortuitement à une petite ville de Sumer, il n’y avait aucune raison pour qu’elle se soit retrouvée en présence de Grama. Il était à des années-lumière de la Terre avec le reste de l’équipage du vaisseau de Baal. Elle avait dû halluciner. En plus, il était vêtu comme un Terrien.

Elle chassa son image de son esprit. Il fallait vraiment qu’elle prenne du repos. Devait-elle en parler à Will. Il risquait de s’inquiéter pour elle, et il n’avait pas besoin de cela Devait-elle retourner à la maison-musée pour s’assurer qu’elle n’aurait pas une nouvelle hallucination ? Elle sortit de la cabine.

Un miroir holographique 3D qu’elle n’avait pas remarqué avant d’entrer dans la cabine lui faisait face et lui renvoyait sa propre image au beau milieu de la pièce. Il se trouvait face à la porte. Trop près de la porte pour qu'elle ait pu le manquer en entrant...

Non, pas un miroir…

Elle-même… Encore une fois…

Mais il y avait une différence qu’elle remarqua immédiatement. Ses yeux. Ses yeux étaient normaux. Ils n'avaient pas cette teinte mordorée. Puis, soudain, ce fut comme un flot d’informations qui se déversa soudainement en elle avec force, sans discontinuer.

Elle n’était pas face à un miroir, mais face à une autre version d’elle-même. Une variante qui n’avait pas voyagé récemment dans l’espace, rencontré d’anciens dieux et traversé les portails… Encore moins côtoyé Will et en être tombé amoureuse.

Elle vivait sur la Terre depuis des centaines d’années… Une Terre dont les événements récents, disons des cents dernières années, étaient éloignés de ceux qu’elle avait connu… Elles avaient même été la même Mead’, les mêmes incarnations… jusqu’à ce que les évènements commencent à diverger, environ cent ans plus tôt. Les informations se déversaient en elle, éparses, cherchant des correspondances dans son esprit.

Qu’est-ce qui les avait fait diverger ?

Pas Will et elle. Cela ne faisait qu’une seule année qu’ils étaient partis. Cela remontait à beaucoup plus loin ? Baal ? L’un de ses poursuivants ? Ou un autre voyageur temporel qui n’avait pu s’empêcher d’écraser un papillon ? Qui que ce fut, il avait mis un sacré bordel dans la trame du temps. Ou bien, il l’avait remise en ordre. Qui savait ?

Son double la regardait comme si elle lisait ses pensées. En réalité, c’était tout le contraire. Maintenant, c’était elle qui lui envoyait ces nouvelles informations, tout ce que Will et elle avaient vécu durant une année…

Qui était-elle ? Une version alternative ? Pas exactement. Une version d’elle, dominée par Mead’ ? Sans aucun doute.

Pourtant, elle ne ressentait pas la trace d'une seconde individualité qui aurait dû être l'autre Esmelia. Elle avait le sentiment qu'il n'y avait que la Mead' alternative. C’était tellement incroyable. Elle aurait dû en être effrayée, mais ce n'était pas le cas.

Elle était Mead' et Mead' était elle.

Une nouvelle information percuta son esprit : le journal qu'elle avait vu en entrant dans la cabine. Il ne datait pas d’un an. Il était du jour même.

Elle n’eut pas besoin de L’Autre pour comprendre. Will et elle avaient remonté le temps d’un peu plus d’une année. Elle aurait aussi pu le déduire d’après ce que lui avait expliqué Baal lors de leur retour du système de Tur’in… Ce séjour qui avait duré plus de jours pour elle que pour Will, resté dans le vaisseau… Mais une année, cela lui parut à la fois impossible et extraordinaire.

Les bouches… Elles permettaient de voyager plus rapidement que la lumière…

C’était à cause d’elles… Forcément, s’ils avaient voyagé plus vite que la lumière, il y avait des chances qu’ils soient revenus sur la Terre avant d’en être partis… Normalement, c'était techniquement impossible.

— C'est possible pour Mead' pensa-t-elle.

Une autre pensée lui vont aussitôt :

— Nous ne pouvons pas nous trouver ensemble dans le même espace… Elle et moi, nous ne pouvons…

Le double eut un sourire vague, sans expressivité.

— Faux… répondit-elle. Ce n’est pas impossible… Du moins, tant que nous ne nous rencontrons pas. Mais je savais où te trouver, et je suis plus forte que toi.

Avant qu’elle ait pu revenir de sa surprise et esquisser le moindre geste, son double posa sa main sur sa joue, avec douceur, et toujours ces absences d’expression et d’émotion sur son visage.

Esmelia voulut reculer, fuir le plus loin possible de cet endroit, échapper à cette Autre sur laquelle Mead’ avait pris l’ascendant. Elle n’y parvint pas.

Le flux d’information s’inversa soudain à une vitesse exponentielle. Ce n’était plus elle qui les recevait mais son double qui absorbait ses souvenirs. Et pas seulement… Son enveloppe charnelle se dissolvait littéralement. Elle s’évaporait dans des volutes sombres comme de l’encre diluée dans l’eau. Elle songea juste que c’était la plus belle chose qu’elle avait vue de sa vie… De sa vie qui prenait fin. Sa dernière pensée fut pour Will. Elle l’aimait tant. Pourquoi avait-il fallu qu'elle soit si distante de lui depuis qu'ils avaient quitté Baal et son vaisseau en perdition ?

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