Chapitre 27.2

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Cela expliquait pourquoi il avait immédiatement attiré son attention. Et sans doute pourquoi elle avait tout fait, malgré elle, pour attirer la sienne.

— Tu étais destinée à me permettre de le retrouver, car le temps presse. Peut-être même est-il déjà trop tard. Je les sens si proches…

— Trop tard pourquoi ? Qui est proche ?

À peine avait-elle posé les questions qu'elle comprit, autant qu'elle le sentit, qu'elle en avait les réponses.

Mead' ne prit d'ailleurs pas la peine d'y répondre et poursuivit :

— De plus, c’est un miracle si tu as vécu aussi longtemps… Même s’ils n’enfantent pas, mes hôtes finissent toujours par dépérir bien avant la fin de leur cycle. Je ne suis jamais restée plus de trente années terrestres dans le même corps.

Esmelia en avait quelques-unes de plus…

— Pourquoi ?

Elle craignait la réponse, mais elle devait tout de même poser la question.

Cette fois, elle n'eut aucune révélation subite. Ce qui ne l'empêcha pas d'ajouter :

— De nos jours, les humains peuvent vivre jusqu'à 120 ans, et s'ils en ont les moyens, ils peuvent rester en bonne santé jusqu'à 130 ans, voire 140, et mourir à 150 ans. Une femme peut même avoir des enfants après 50 ans sans problème. Après 70, c'est sûr que cela devient problématique.

L’expression de Mead’ changea légèrement, comme si elle se souvenait de quelque chose qui avait auparavant échappé à sa mémoire.

— Avant la tienne, je suis restée plusieurs siècles dans une même lignée, passant de fille en fille dès qu’elles étaient en âge de procréer. À un moment, il s’est passé quelque chose que je n’ai pu contrôler… Un événement extérieur qui m’a isolée de toute interaction me permettant de passer d’une descendance à une autre…

Esmelia frissonna.

Il y avait aussi ce bourdonnement dans ses oreilles.

Elle dut se concentrer pour écouter Mead’

— Mon hôte a commencé à dépérir… Je l'ai maintenue entre la vie et la mort autant que je l'ai pu...Longtemps. Et puis, j’ai dû faire un choix : m'éteindre avec elle ou trouver une autre porteuse avant qu’elle se soit entièrement consumée. Il me fallait un corps… sans âme.

Esmelia regarda autour d’elle.

Tout paraissait si réel… et si vide de toute vie.

— J’ignore combien de temps tout cela a pris… Plus de temps que cela n'aurait dû, je présume…

Lorsque j’ai trouvé une…

Elle se corrigea :

— Lorsque j'ai repris conscience, j’étais dans le corps d’une enfant plus âgée que les êtres que j’avais investis jusqu’alors, et par la suite. Son cœur battait encore, mais son âme n’était plus là. Cela n’a pas été difficile de m’y ancrer. Mais quelques secondes de plus, et je serais passée à côté d’elle sans même la sentir… J’aurais peut-être fini par trouver un autre porteur pour m’accueillir, je l'ignore. À cet instant précis, je n'avais pas d'autres choix. Je ne pouvais pas prendre le risque d'attendre plus.

— Pourquoi ai-je si froid alors que le soleil brille si fort ? l’interrompit Esmelia inquiète.

Une fois encore, Mead’ éluda la réponse et poursuivit son histoire.

— Je n’ai mis que quelques heures à coloniser chaque parcelle de son corps. Il aurait été impossible de la sortir de son tombeau de pierres. J’ai utilisé mes pouvoirs et mes dernières forces pour la ramener sur les lieux de son dernier souvenir heureux… Une chambre de l’hôtel dans laquelle ses parents et elle séjournaient.

— Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Je veux dire : qui êtes-vous vraiment ?

Mead' ne sembla pas l'entendre.

— Personne n’a su comment l'enfant avait pu revenir saine et sauve dans cette… chambre. Pour tout le monde, cela relevait du miracle, mais toi et moi savons ce que je suis capable de faire… Cette illusion en est une preuve… Un endroit sécurisant… Du moins, je trouve. Je suis toi, et tu es moi. Tu sais qui je suis. Tu l’as toujours su.

Elle n’est pas humaine, songea Esmelia. Elle est capable de choses impossibles pour un humain, comme se téléporter. Peut-être n’était-elle pas réelle, comme le fruit d’une schizophrénie passagère due aux trous de vers, ou à un évènement traumatique qu’elle avait pu vivre ces derniers jours et dont elle ne se souvenait plus… ou encore quelque chose de plus exotique. Après tout, aucun terrien n'était allé aussi loin que Will et elle dans l'espace... À part, peut-être quelques membres de l'AMSEVE.

— C’est un pouvoir que vous avez toutes, mais aucune avant toi en a eu la confirmation, poursuivit le double sans s’occuper de ses états d’âme.

Esmelia décida de se laisser porter par le courant et d’abonder dans son sens pour voir où cela allait la conduire.

— J’imagine qu’il aurait été bien utile à certaines, ironisa-t-elle.

— Sans moi, tu ne serais même pas là. Ni celles qui t’ont précédée.

— Avant ma lignée, il n’y en a eu qu’une seule autre ? s’entendit-elle demander.

— Une seule, oui… sur cette planète. Mais bien d’autres avant elle, ailleurs. Je ne viens pas seulement de très loin dans le temps.

Esmelia soupira.

— En gros, si vous n’étiez pas intervenue pour sauver mon ancêtre, je n’existerais pas. Ça, j’ai bien compris. J’imagine que ce que je vous dois est… incommensurable.

— D’une certaine manière, tu n’es pas supposée exister, mais sans toi, il en serait peut-être de même pour moi. Toi et moi ne formons qu'une seule unité.

"Unité". Ce terme la glaça.

— Je suis donc condamnée quoi que je décide de faire, résuma la jeune femme.

Mead’ se contenta de hocher la tête.

— Génial. Au moment où ma vie commence à devenir intéressante, soupira Esmelia.

Elle se tut un court instant, essayant de mettre un peu d’ordre dans ses idées, de voir comment la piéger, avant de reprendre :

— Quelle mission vaut donc plus qu’une vie… ou une impression de vie ?

— C'est un sacrifice qui peut en sauver des millions… et permettre à la vie de poursuivre son chemin, ici, ou ailleurs dans l’univers.

Que répondre à cela ? Que ceux qui avaient un semblant de vie n’en demandaient sûrement pas autant ? Tant pis pour eux. Pouvait-elle refuser de mourir pour laisser vivre des millions ou des milliards d’individus ? Le plus tard possible, ce serait le mieux. Elle ne les connaissait pas tous personnellement après tout. Les êtres humains ? Elle n’avait jamais vraiment eu d’interaction avec eux, à part son père, Kolya, Emmie et maintenant, Will. Les Drægans ?

Son père n’était plus de ce monde, comme Emmie. Kolya avait pris le relais, mais il s’en sortait tout aussi bien sans elle. Le peu qu’elle avait entrevu de sa véritable nature ne risquait pas de redorer le blason d'une humanité bien défaillante.

Le seul qui lui importait vraiment, c’était Will. Mais aux yeux de Will, chaque être vivant était important, et elle aimait Will de toute son âme, ou de ce qui y ressemblait… L’aimerait-il en retour si elle refusait de se sacrifier pour sauver une once de cette précieuse vie, alors que lui, il le ferait sans hésiter ?

Mead’ l’observait avec une expression étrange, mélange d’interrogation et de perplexité.

— Il mourra lui aussi si tu refuses d’accomplir notre destin… Tu le sais… Nous le savons toutes les deux.

Elle n’en démordait pas avec son histoire de fin du monde… ou plutôt de l’univers.

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