Chapitre 22.3

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Elle le remarqua et lui rendit son sourire qu’il jugea rempli de perspectives alléchantes. Au moins, si l’ennui le prenait au cours de ce conseil, il aurait de quoi faire travailler son imagination en attendant des heures meilleures.

Pour apprécier les effluves de la liqueur, il porta son verre à son nez aquilin qui ne déparait en rien l’harmonie de son visage et le huma les senteurs fruitées un long moment avant de se décider à le boire.

Il le vida en deux gorgées et fit signe au serviteur qui attendait près de lui de le remplir à nouveau.

Horus le remercia poliment, mais sans réelle attention. Le labiré disparut aussitôt dans l’ombre.

Comme tous les Drægans présents, Horus n’appréciait pas se trouver là. Toutefois, il était conscient de sa chance. D’un autre côté, sa charge ne lui permettait pas d’éviter ce genre d’assemblée. Encore moins les endroits dans lesquels elles avaient lieu.

Ces derniers siècles, le Conseil avait connu de "grandes valses" de Chanceliers. Entre les Chanceliers qui disparaissaient et réapparaissaient, ceux qui mourraient, définitivement, et ceux qui ressuscitaient, ceux qui perdaient leurs domaines et ceux qui parvenaient à en conquérir un nouveau, ceux qui étaient bannis… Quoi que ceux-là, on ne les réintégrait pas et, jusqu’ici, il n’y avait pas eu d’exception. Si le Conseil avait été un palais, il aurait été celui des courants d’air.

— Si ça se trouve, ils ne viendront pas, alors on pourrait peut-être commencer, suggéra Divona qui regardait tour à tour les deux sièges vides depuis qu'elle avait pris place sur le sien. Je n’ai pas que ça à faire, si vous voyez ce que je veux dire.

— Non, pas vraiment, railla Métis d’une voix tout juste audible.

— Hors de question, les prévint Taranis d’une voix grave qui correspondait à un physique hérité des Nordhales. Cela pourrait être considéré comme inéquitable. Et puis, rien ne nous presse, n’est-ce pas ?

C’était un « n’est-ce pas ? » qui signifiait : s'il y en a d’autres qui pensent avoir quelque chose de plus important à faire, qu'ils se taisent.

Personne n’osa lui avouer préférer être ailleurs, à deux exceptions.

Taranis ne cessait de passer ses doigts fins dans sa barbe rousse mêlée de gris qui cachait le bas d’un visage dur. Celui d’un homme qui avait toujours eu des dispositions pour le commandement et les batailles sanglantes, claires et nettes, mais pas celles des intrigues de Conseil.

— Rien… en dehors de notre vie et de notre temps, murmura finalement Erra suffisamment fort pour être entendu de tous, mais pas assez pour que cela soit relevé au point de devenir un motif de discussion.

Contrairement à Taranis, Divona, elle, ne recherchait pas la diplomatie. C’était plutôt le contraire. Elle était connue pour dire clairement le fond de sa pensée, et pour cela, elle avait un langage qui lui était propre.

Traduit du Drægan, cela donnait quelque chose comme :

— C’est vrai après tout, il ne pleut pas des éléphants. Et si la labirée de Circé voulait bien cesser de remuer des maxillaires toutes les dix secondes ! On dirait une chèvre avec un trouble du comportement.

Sa remarque n’eut aucun effet sur Calliope qui posa sur elle son regard absent sans cesser ses mastications.

Divona dût se contenter de soupirer en songeant qu’avec un tel comportement ses propres labirés mâcheraient déjà leur langue.

L’ancienne déesse était une femme sèche au profil grec et aux pommettes saillantes. Malgré ses longs cheveux bruns parcourus de fils blancs, son visage accusait ses nombreuses années de règne despotique.

Ce n’était pas qu’elle tenait à être un tyran, mais elle souhaitait encore moins se faire expulser de ses terres. Elle considérait les Drægans déchus, en particulier ceux qui avaient été déposés par leurs peuples, comme ayant été trop laxistes avec leurs sujets.

La Dræganne tenait à son confort personnel. L’idée d’être une déesse sans lieu de culte fixe lui semblait tellement incongrue qu’elle l’avait repoussée de toutes ses forces dans les tréfonds les plus oubliés de son esprit et y avait posé une chape de plomb par-dessus.

L’idée, mal remisée, préférait attendre des jours meilleurs pour pointer ses lumières là où ça écorcherait l’âme de la Dræganne.

Moccus s’impatientait lui aussi. Il savait, comme les autres, qu’il ne pouvait pas quitter l’assemblée sans se compromettre.

Un bruit de pas les fit tous regarder dans la même direction.

Sortant de l’obscurité comme ils l’avaient fait un peu plus tôt, Dercéto apparut soudain plus lumineuse que jamais. Ses cheveux blond platine étaient tirés en arrière, noués très serrés dans un chignon planté au sommet de sa tête. Elle avait visiblement trop forcé sur le bistre autour de ses yeux et sur la longueur de ses cils, ce qui faisait ressortir la couleur bleu-gris de ses iris de manière singulière.

Une combinaison blanche aux reflets irisés moulait étroitement son corps aux formes parfaites. Chose dont elle avait consciente et qu’elle savait utiliser à son avantage.

Elle portait des bottes à talons compensés si hauts qu’ils la grandissaient d’au moins une dizaine de centimètres.

Elle passa devant Lara et Scáthach en leur adressant le plus large sourire de sa gamme, et les gratifia simultanément d’un :

Saluton malbela malbonodora fiŝo!*

Elle ajouta aussitôt, pour ne pas seulement enfoncer le clou, mais bel et bien l’enterrer :

Mi ne volas iel kritiki, sed vi devas rigardi vin en la spegulo de tempo al tempo kaj revidi viajn normojn pri delogo, knabinoj. Nur ĉar la maro estas oleo, tio ne signifas, ke vi devas ellasi. Ho! Prave, nur la haringo interesiĝas pri vi ... aŭ la kadavraĵo.**

En guise de réponse, Scáthach émit un sifflement digne d’un crotale tandis que Lara la toisa de haut en bas. Si Dercéto avait été un papillon, ou un autre insecte, ce regard l’aurait épinglé de part et d’autre, sur la colonne la plus proche, avant de la congeler.

Sans plus s’occuper d’elles, la tête haute, Dercéto alla s’installer entre le divin Horus et le sage Rhadamanthe. Plus satisfaite qu’elle, en cet instant, cela n’existait pas.

* Salut les thons !

Ou son équivalent en langue dræganne. (Littéralement : Bonjour les vilains poissons malodorants).

** Loin de moi l’idée d’émettre une quelconque critique, mais vous devriez vous regarder dans une glace de temps en temps et revoir vos critères de séduction, les filles. Ce n’est pas parce que la mer est d’huile qu’il faut vous laisser aller. Oh ! C’est vrai, il n’y a que le hareng qui vous intéresse… ou les charognes.

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