Chapitre 26.2

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Le vaisseau de Baal venait à peine de sortir du tunnel. Dans son casque, elle entendit l’ancien dieu jurer, mais en dehors de cela il gardait son calme et ses gestes restaient précis. Il gérait parfaitement la conduite de sa navette. Ce qui ne la rassura pas complètement, car tout être divin qu’il avait pu être, tout bon pilote qu'il soit, il restait seul face à une armée de vaisseaux de guerre.

Elle savait qu’il leur restait à franchir le passage une seconde fois pour quitter ce système hostile et retrouver le vaisseau, et Will. Surtout Will. En cet instant précis, elle aurait vraiment apprécié l’avoir à ses côtés pour la rassurer. Bon sang, il lui manquait atrocement. Ce fut comme une révélation : elle ne voulait pas mourir sans le revoir. En même temps, lui non plus, il ne devait pas mourir.

Elle ferma les yeux. Une nouvelle appréhension chassa la précédente.

Will… Elle allait devoir lui parler. Cette fois, elle ne devrait pas reculer.

Esmelia absorba une nouvelle embardée de la part du vaisseau, sans doute due à un tir isolé sur son bouclier. Baal prit les commandes manuelles et louvoya tant bien que mal pour ne pas se trouver dans les lignes de tir calculée par l'IA de la frégate. La manoeuvre fut vaine.

Le premier gros coup de semonce toucha le bouclier de la frégate de part et d’autre. Pas assez pour l’empêcher de se mouvoir ou de procéder à son occultation, mais suffisamment pour affaiblir le bouclier et affoler les ordianteurs de bord. Cependant, l’étanchéité n’avait pas été atteinte.

Le vaisseau, d’apparat et non de guerre, ne possédait aucune arme. Il ne pouvait pas leur répondre et leur rendre coup pour coup. Mais aussi fragile qu'il en eût l’air, il tenait bon. Les attaquants en étaient pour leurs frais s’ils avaient pensé qu’il serait facile à abattre. Mais en attendant, ils les gènaient suffisamment pour retarder leur retour. Et plus les minutes passaient, plus les risques de se faire capturer ou plus certainement abattre grandissait.

Esmelia devinait la frustration de Baal. Il s’efforçait de n’en rien dire, mais elle ressentait la tension qui tenait son corps et son esprit réactifs à toutes les variations des instruments de navigation, à tous les mouvements des vaisseaux ennemis reportés sur les écrans pare-brise avant ou bâbord et tribord. L’ennemi éprouvait sans doute le même sentiment en se demandant où se trouvait le vaisseau, et où il réapparaitrait. Elle était tendue elle aussi. Elle se concentra sur les gestes du pilote. Il pianota quelques instant sur son tableau de bord pour recalibrer le système de détection qui menaçait de s'éteindre.

Elle savait que sans les moniteurs, et en l’absence de toute lumière extérieure, il était impossible de voir les appareils ennemis dans l’espace. Les écrans donnaient l’impression du contraire et fonctionnaient, fort heureusement, en temps réel. Les attaquants bénéficiaient sûrement d’un procédé de vision similaire. Comme eux, ils devaient avoir des appareils de détection capable de repérer n’importe quel vaisseau, et malgré son système d’occultation, la frégate aurait pu ne pas être entièrement masquée.

Elle vit, sur l'un des écrans, la porte d’où la frégate venait de s’extraire. Celle que Baal devait la contourner pour se sortir de ce traquenard et la traverser à nouveau.

Le passage s’était refermé.

Il allait devoir composer un nouveau code et repasser par l’anneau. Un code ou autre chose, car elle ne savait toujours pas comment il arrivait à les faire fonctionner.

À la façon dont les attaquants convergèrent soudainement en direction de la frégate, Esmelia comprit que Baal avait coupé le système d’occultation. Par un miracle qui devait tout à sa dextérité de pilote, et plus encore à son désir tenace de vivre, il parvint à glisser le vaisseau entre ceux de leurs ennemis. Si bien que ceux qui osèrent faire feu sur lui atteignirent les vaisseaux de leurs congénères.

Il filait à travers l'escadron, en évitant la plupart des tirs et, à mesure qu’il avançait, les vaisseaux qui se retrouvaient derrière lui manœuvraient tant bien que mal pour virer de bord sans percuter leurs voisin, et le poursuivre.

Une quinzaine d’entre eux, dont les pilotes étaient sans doute moins réactifs ou inexpérimentés ratèrent leur manœuvre. Leurs vaisseaux semblèrent se vaporiser dans l’obscurité spatiale. Était-ce vraiment le cas, ou était-ce seulement une traduction imagée de la réalité reproduite sur les écrans ? Elle ne pouvait pas le savoir. Elle imaginait néanmoins des appareils disloqués et les corps inertes de leurs pilotes partant pour une dérive éternelle dans l’espace de la galaxie jusqu’à ce qu’ils soient happés par l’attraction d’une étoile et consumés par celle-ci.

Elle avança en direction du poste de pilotage en s’accrochant tant bien que mal à tout ce qu’elle pouvait tandis que la frégate poursuivait sa course en louvoyant. Elle n’avait jamais aimé les montagnes russes. Même si, ici, l’effet n’était pas comparable, car il était largement amorti, donc moins puissant. Mais son oreille interne commençait à lui jouer des tours.

Elle eut un haut-le-cœur et faillit régurgiter tout ce qu’elle avait pu avaler avant le départ. Avec son casque, cela poserait un problème, et pas des moindres. Sans, elle était certaine que Baal n’apprécierait sûrement pas qu’elle macule les beaux fauteuils de sa frégate avec un concentré de leur dernier repas. Quel qu’il fut, car elle ne se souvenait même pas de quoi celui-ci avait été fait.

Elle ne put cependant échapper à la vision qui s’affichait sur les écrans latéraux. Tel un essaim de guêpes pourchassant celui qui aurait piétiné leur nid, la quarantaine de vaisseaux ennemis ayant survécu à la folle stratégie du dieu rebelle avaient continué de les poursuivre. Ils étaient aussi mortels que ces insectes. À la poursuite de la frégate, ils se livrèrent à un ballet dont la chorégraphie ne devait rien au hasard sans pour autant avoir été préparée.

Baal fit décrire un immense arc de cercle à son vaisseau.

Malgré le brouillard psychologique dont elle essayait désespérément de s’extraire, Esmelia comprit sa manœuvre. Il les avait appâtés, et maintenant, il voulait les entraîner aussi loin que possible de la bouche. Elle présuma ensuite qu'il entrait ses coordonnées d’ouverture dans l'ordinateur de bord, ou l'ordre à l'IA de les émettre en direction de la Porte.

Il fallut à peine trois secondes pour que les arêtes d’une pyramide virtuelle illuminent l’écran bâbord.

Elle ne put le fixer longtemps sans avoir mal aux yeux tant l’intensité lumineuse gagna en puissance. Tout l’intérieur du vaisseau fut baigné de cette lumière. D’une voix calme, Baal ordonna à l'IA de l’atténuer. Ce fut du moins ce qu’elle supposa, car le langage qu’il utilisa lui parut étranger. En tous les cas, le résultat fut que l’environnement devint nettement plus supportable.

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