Chapitre 6 (partie 1)

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J'étais rentrée chez moi, assise comme à mon habitude face à ma fenêtre, je me trouvais incapable de bouger le moindre muscle, l'entraînement de ce matin avait été très éprouvant même si ça n'avait rien eut de vraiment physique. Employer son corps d'une façon si profonde et intense même dans l'immobilité se révélait être extrêmement difficile, je n'osais pas imaginer ce qu'allait être la suite. Je poussais un long soupire en regardant la pluie tomber et ruisseler sur la vitre, puis je fermais les yeux et essayais de me remémorer les sensations incroyables que j'avais eu ce matin. La sensation de mon corps s'étendant sur toute la surface du sol de la pièce comme si c'était une partie de moi et d'en sentir la moindre vibration, la sensation étrange de voir clairement alors que mes yeux, clos, me plongeaient dans l'obscurité la plus totale. Et que dire de cette sensation de facilité, de légèreté face aux coups de mon mentor dont je ne sentais plus la puissance au bout de quelque essais. Je me sentais enfin capable, j'avais pris confiance en moi et surtout j'avais pris espoir, l'espoir de m'en sortir une fois livrée à moi-même dans un monde inconnu et vraisemblablement impitoyable. Je devais m'accrocher tout autant de mon côté qu'Orlane du siens, si seulement je pouvais lui dire "J'arrive bientôt, accroche toi, je sais que tu le peux car je ne connais personne de plus fort que toi.", oui si seulement. Elle devait se sentir seule et avoir peur là où elle était, savoir mon amie dans cette situation et savoir que je n'allais pas être prête à partir avant encore quelques jours, voire quelques semaines, me remplissait d'un sentiment des plus désagréable, celui de l'impuissance. Le reste de la journée passa tranquillement, la pensée d'Orlane ne m'avait pas quittée, j'étais restée devant la pluie toute l'après-midi, juste là, sans bouger ni pouvoir la quitter des yeux. La nuit était déjà tomber sur Tyem depuis une heure ou deux quand je me laissais tomber sur mon lit, toujours pensive. Il était temps de mettre en application ce que Jack m'avait appris et surtout m'obliger à m'en servir comme il me l'avait demandé ce matin quand nous nous sommes quittés. Je me concentrais et faisais le vide dans mon esprit, j'entendais la pluie taper sur le toit, une main sur le mur à côté de moi, je pouvais sentir le fracas de chaque goutte. En me concentrant encore, je percevais les pulsations de mon cœur, s'en était presque dérangeant. Jack m'avait interdit de sortir de chez moi jusqu'à ce qu'il vienne me chercher avec les siamoises pour aller inspecter le phare sur la colline mythique de Tyem. Les jours à venir s'annonçaient longs et ennuyeux mais je devrais être patiente, et autant mettre le temps que j'avais devant moi à profit. Je devais entraîner mon corps, même si je maîtrisais chaque technique que Jack allait m'enseigner, si mon corps n'était pas capable de suivre le rythme et de tenir dans la durée, je ne voyais pas comment j'allais pouvoir triompher dans un quelconque combat.

Plusieurs jours étaient passés, deux ou trois, je ne sais pas vraiment, plus je me plongeais dans la concentration et dans mon objectif, plus j'avais l'impression de perdre la notion du temps et de vivre presque dans un autre monde. J'avais passé mes journées à faire du sport sans sortir de chez moi, pompes, abdos, tous types de flexions et j'avais répété un à un chaque geste de défense, les yeux fermés. Je visualisais une attaque avec sa puissance, sa vitesse et son angle, puis je me positionnais de la meilleure façon pour la parer. J'ai répété cela des heures durant pour une même attaque en essayant d'y voir toutes les configurations possibles et inimaginables. Je devais me donner à mon maximum que ce soit pendant les entraînements avec Jack ou pendant mon temps libre, je devais être prête le plus rapidement possible et je devais me donner les moyens de réussir, c'était là ma seule certitude. Le jour commençait à décliner, je me posais à mon endroit favori, ma chaise face à la fenêtre donnant sur les toits de Tyem. Peu importe qu'elle soit responsable de la vie que j'ai eue jusqu'à maintenant, difficile et dans laquelle j'ai beaucoup souffert depuis l'abandon de mes parents, peu importe ce qu'on en dit, j'aimais ma ville. Tyem faisait partie de moi. Alors que je pensais à cela, on vint toquer à ma porte, je me rappelais soudainement que je n'avais pas indiquer mon adresse aux siamoises ou au vieux Jack. Je marchais jusqu'à la porte d'entrée et accueillais le tumultueux trio qui était devenu mon meilleur atout.

Je les invitais à entrer, aussitôt fait Jack ne tarda pas à prendre la parole pendant que les siamoises fouillaient dans mes affaires afin de satisfaire leur curiosité.

- Cela fait quelques jours maintenant Sierra, t'es-tu bien exercée ?

Il me prenait vraiment pour une enfant à laquelle on demande si elle a fait ses devoirs correctement, ça m'agaçait un peu je dois l'avouer mais en même temps c'était plaisant de savoir que Jack était autant investi dans mon entraînement et cherchait surtout à me protéger en s'assurant que je sois capable de me défendre convenablement.

- Oui, je n'ai pas arrêté à vrai dire.

Le vieil homme avait l'air satisfait, il frottait sa barbe comme à son habitude en jetant un regard insistant à Migi et Hidari.

- Vous voyez, je vous avais dit qu'elle serait parfaite cette petite et apte à suivre mon entraînement spécial.

Les siamoises échangèrent un regard avant de lui répondre dans une parfaite synchronisation :

- Tu disais qu'elle en était incapable.

Face à mon air probablement choqué, Jack s'empressa de changer de sujet pour dissiper ce malaise.

- Bien, tu sais pourquoi nous sommes venus te chercher aujourd'hui ? C'est le moment d'aller inspecter l'ancien phare où vivait le professeur Thomas Herneim. Prend une bonne paire de chaussures et un manteau, ce ne sera pas une promenade de santé. Il est temps de trouver les derniers indices qui pourraient nous aider, et si il y a bien quelqu'un qui aurait pu trouver des choses extrêmement importantes sur Pandéorans ou même sur le train et le trafic d'êtres humains qui s'est mis en place depuis plusieurs années, c'est sans aucun doute cet homme.

Hidari et Migi ayant enfin terminé de mettre leurs nez dans mes affaires, semblaient revenir dans la conversation et s'y intéresser.

- Ce que tu as trouvé aux archives n'était que les recherches les plus abouties du professeur Sierra, et nous savons que le phare n'a pas été touché depuis la disparition d'Herneim et que personne n'y a mis les pieds. La multitude de travaux inachevés qu'il avait entreprit concernant Saigai doivent logiquement tous s'y trouver encore. Nous ne serons pas de trop de quatre têtes pour lire tout ça et trouver ce qui nous intéresse.

Migi grommelait dans son coin depuis que nous parlions du phare, ce qui ne manqua pas d'énerver Hidari assez rapidement.

- Peut-on savoir ce qui t'arrive ? Encore.

- On va devoir gravir toute la colline à pied… C'est long ! C'est fatiguant ! Je déteste marcher ! Et pu...

- Bien quelqu'un d'autre a une question ou une remarque à faire avant que nous ne nous mettions en route ? Non ? Bien parfait allons-y dans ce cas.

Je rassemblais mes affaires en me retenant de rire, la tête de Migi à ce moment-là valait vraiment le détour. Mais je la rejoignais dans sa plainte sans oser le dire, nous allions devoir monter toute la colline de Tyem à l'unique force de nos jambes. Nous nous sommes mis en route sans plus attendre, il n'était pas si tard mais déjà plus personne ne semblait être dehors. Nous avons traversé les rues désertes de la ville silencieusement, l'odeur de la pluie fraîchement tomber sur les pavés était encore présente et quelques flaques d'eau parsemaient notre chemin. Je ne pouvais m'empêcher d'avoir des souvenirs de mon enfance, du temps où les rues et la ville étaient encore vivantes, j'étais toujours avec Orlane alors je n'avais jamais remarqué à quel point la ville était devenue vide et sans âme, le sentiment de joie que j'avais auparavant en parcourant les rues de Tyem laissait désormais place à une saveur amère. Nous nous sommes petit à petit éloignés du centre de la ville et nous passions des rues pavées aux chemins de terre humides serpentant entre les immenses arbres du bois de Tyem. J'avançais toujours, regardant mes pieds et suivant Jack devant moi sans prêter une grande attention à ce qui nous entourait, je ressassais encore les mêmes craintes et les mêmes doutes et sans que je ne m'en rende compte, nous étions déjà au pied de l'antique colline de la ville. Je pouvais apercevoir le phare à son sommet et également les centaines de marches qui y menait. Je me tournais vers Jack qui entreprit la montée des marches sans hésitation, Hidari le suivi, Migi quant à elle n'avait pas vraiment d'autre choix que de suivre le mouvement malgré son expression dépitée à la vue de l'imposant nombre de marches. Cela me fit sourire et après avoir jeté un dernier regard vers le sommet de la colline j'entrepris à mon tour le début de l'ascension. Arrivée à cent marches j'avais arrêté de les compter, je commençais à peiner mes jambes se faisaient douloureuses et lourdes tout comme mon dos, j'avais l'impression de déplacer une tonne à chacun de mes pas. Plus nous montions plus le vent glacial venait nous frapper de face comme si il voulait nous empêcher de rejoindre le phare et nous repousser en arrière. Hidari et Migi devant moi marquèrent un temps d'arrêt et quand j'arrivais à leur niveau, mirent une main dans mon dos et me poussèrent vers l'avant pour m'aider à gravir les longues marches. Elles n'étaient pas essoufflées comme moi et ne semblaient pas avoir la moindre difficulté à avancer contrairement à moi. Hidari, dans mon dos, murmura quelque chose.

- Fichue Eloa, nous repousser de la sorte, son rôle est de protéger cette colline et ce qui s'y trouve encore sous terre, elle te teste Sierra, avance droit devant.

Eloa déesses des vents savait donc que nous étions là, elle voulait nous empêcher d'atteindre notre objectif ce qui veut dire qu'il y a sur cette colline des choses que mêmes les dieux n'aimeraient pas que l'on trouve. Elle désirait me tester, et bien j'allais lui prouver moi Sierra l'habitante de la Terre, qu'il n'y a pas que les personnes originaires du Persian qui peuvent gravir sans problèmes ces cruelles marches. Déterminée je fixais le sommet de la colline et je continuais d'avancer et la main d'Hidari dans mon dos m'avait permis de retrouver un élan et de me sentir soutenue. Monter ces marches était une véritable épreuve mais je ne la traversais pas seule. Nous arrivions en haut de ces interminables escaliers, je soufflais enfin, une étape venait d'être franchie. Je me tournais et pouvais admirer Tyem tout entière, c'était un panorama exceptionnel qui s'offrait à nous, se donner tant de peine pour arriver au sommet était amplement justifié avec cette vue en récompense. Si le mur qui entourait la ville n'était pas lui aussi visible, cette vue aurait pu être encore plus réjouissante, je songeais à la ville de mon enfance et à la prison qui m'avait vue grandir. Mais le temps n'était pas aux regrets, je devais me concentrer sur mon objectif, nous étions devant le phare où vivait le professeur Herneim et une quantité d'informations précieuses nous y attendait probablement, je fis volte-face vers le bâtiment.



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