Tyem 7h

Le réveille sonne chez Sierra Obensky. La jeune femme commence sa journée comme à son habitude, un chocolat chaud dans une tasse ornée de fleurs et une tartine de beurre et de confiture face à sa fenêtre donnant sur les ruelles de Tyem. Puis elle se rend dans la salle de bain, elle passe du savon sur son visage, coiffe ses cheveux bruns et maquille légèrement ses yeux noisette. Elle enfile un vieux jean bleu et un t-shirt ocre ample. Une fois lavée et habillée, elle se rend dans le salon, allume son poste radio et au rythme de la musique passe l'aspirateur dans son appartement. Ce midi elle doit recevoir sa meilleure amie ; au programme un repas entre filles et une après-midi séries et potins. Pendant qu'elle continue assidûment son nettoyage, la sonnerie du téléphone retenti, Sierra éteint l'aspirateur et baisse le son de la radio en vitesse avant de décrocher.

Elle porte le téléphone à son oreille, ne dit rien, son expression se fige et le sourire chaleureux sur son visage se dissipe peu à peu. Elle reste silencieuse jusqu'au bout de l'appel. Le téléphone toujours à la main, Sierra se laisse tomber à genoux et reste figée les yeux dans le vide, posée sur le sol comme si on l'avait mise là sans qu'elle ait voulu y être. Seule la tonalité du téléphone et la radio en sourdine se font entendre. Des larmes se mettent alors à couler sur les joues de la jeune fille mais ses yeux restent vides et fixes comme si l'information qu'on lui avait transmise au téléphone n'était comprise par son esprit que maintenant. Sa meilleure amie ne viendra pas ce midi, et elle ne reviendra jamais, elle a disparu après avoir fini son service dans le restaurant où elle travaille à mi-temps. Du sang lui appartenant a été retrouvé dans la ruelle à l'arrière du restaurant. Dans l'esprit de Sierra tout se bousculait à ce moment-là, pourquoi avait-elle disparue ? Était-elle morte ? Que lui était-il arrivé ?

Mais parmi toutes ces questions qui chamboulaient la tête de la jeune fille, une certitude la transperçait, le fléau avait frappé et emmené son amie, ça ne pouvait être que cela.

Certains dans la ville comparent Saigai à une divinité ou un phénomène du même ordre qui punirait les habitants lorsqu'ils réalisent une mauvaise action, d'autres le compare à la mort qui viendrait chercher les âmes en fin de vie. Sierra quant à elle, ne croit en rien de cela, pour elle Saigai emmène les habitants quelque part, dans un lieu bien réel et n'est qu'une mise en scène réalisée par des êtres stupides et malfaisants. La jeune femme se relevant enfin, tremblante, après un long moment d'immobilité, était bien déterminée à trouver où et pourquoi les habitants de Tyem étaient emmenés. Cela faisait maintenant quatre jours qu'Orlane avait disparue, Sierra n'était pas sortie de chez elle depuis qu'elle avait appris la triste nouvelle. Mangeant à peine et ne fermant pas l'œil, elle ressassait les souvenirs qu'elle avait avec son amie, qu'elle connaissait depuis ses cinq ans, devant un album photo dédié à leur amitié. Lorsque Tyem fut isolée du reste de la civilisation, les parents de Sierra la déposèrent chez sa grand-mère vivant elle aussi à Tyem et ne revinrent jamais la chercher. Ils avaient quitté Tyem avant qu'elle ne soit complètement fermée et avaient abandonné leur enfant. Il ne restait à Sierra que sa grand-mère et Orlane et sa famille qui au fil du temps étaient devenus la deuxième famille de la jeune fille. Après ces quatre jours de chagrin, Sierra à la fois prise d'une grande tristesse et de colère, décida d'aller elle-même mener l'enquête sur ce qui était arrivée à son amie qui était comme une sœur pour elle. Cette forte conviction de découvrir la vérité sur ce qui planait sur Tyem depuis maintenant trop longtemps la poussa à prendre ses affaires et quitter son appartement immédiatement, la rage brûlant dans ses yeux.

Sierra se mit en route pour le poste de police dans un premier temps. Arrivée sur place elle questionna les agents sur la disparition de son amie mais aussi sur tout ce qui concerne Saigai. On lui répondit qu'on ne pouvait rien y faire et que toutes les personnes enlevées par le fléau ne sont jamais réapparues et on servit à nouveau à la jeune femme le discours sur les théories de l'appartenance divine de Saigai. On lui conseilla de se rendre aux archives de la ville. Elle n'en revenait pas, comment des agents sensés assurer la protection de la ville et avoir un sens poussé de la justice pouvaient oser dire qu'on ne pouvait rien y faire sans essayer quoique ce soit. La jeune femme était tellement outrée qu'en sortant de l'établissement elle fut prise d'une forte nausée la forçant à s'arrêter quelque temps sur un banc se trouvant face à une des anciennes fontaines de la ville.

Après de longues minutes où elle retrouva son calme, apaisée par le bruit de l'eau coulant de la fontaine. Elle reprit son chemin vers les archives de la ville comme lui avait conseillé les agents de police, peut-être que là-bas elle trouverait des informations sur le mystérieux phénomène. Personne avant elle et quelques chercheurs n'avaient cherché à comprendre et en savoir plus sur le phénomène qui faisait de Tyem une ville isolée. Les habitants préférant vivre dans la peur plutôt que de chercher la nature de leurs problèmes. Arrivée dans la salle des archives, Sierra se mit à chercher dans les moindres recoins des étagères tout ce qui relatait de près ou de loin du fléau. Après plusieurs heures de recherche elle ne put mettre la main que sur trois livres qui referaient à Saigai, mais tout était bon à prendre, ainsi que deux études réalisées sur ce sujet par un ingénieur et chercheur de la ville qui avait une très bonne réputation. Il s'agissait de Mr. Thomas Herneim, ce brillant chercheur vivait dans les hauteurs de la ville dans l'ancien phare qu'il avait totalement réaménagé. Il était notamment connu pour ses recherches sur de nombreux phénomènes dits paranormaux qu'il avait brillamment étudiés et résolus en en donnant une explication totalement rationnelle et plausible. Avant qu'il ne puisse achever ses travaux sur Saigai, le démon l'avait enlevé. Sierra se disait en se remémorant son histoire que Saigai quelle que soit sa nature n'aimait pas qu'on s'intéresse de trop à lui. La certitude de la jeune femme que Saigai était tout sauf divin mais bel et bien contrôlé par quelqu'un grandissait. Le soleil commençait à descendre dans le ciel, il était aux environ de dix-huit heures quand Sierra s’assit à la table de la salle et commença à éplucher les données qu'elle avait entre les mains.