Chapitre 29 

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Le trajet dans le taxi s'est passé dans un silence tendu ponctué de regards directs et froids. Au début un peu impressionnée (je ne sais pour quelle raison), j'ai repris confiance en moi au fur et à mesure finissant par lui lancer des regards aussi glaciaux que les siens. Drôle de situation où une ambiance haineuse d'installe entre deux personnes qui ne se connaissent même pas. Sans se connaître, on s'était jugé sur les apparences, les vêtements, le physique et, je pense même qu'on s'est mutuellement traité de "pute". Quelle ironie !

A l'hotel, l'accueil a été digne du cinq étoiles qu'il était. Cependant, je ne sais si c'était ma conscience qui me faisait devenir paranoïaque mais, le personnel de l'hôtel semblait avoir un regard accusateur, un air qui semblait dire "je sais pourquoi vous êtes là". Ce détail ne m'avait affectée qu'une petite seconde car la vraie catastrophe résidait dans le fait que je devais partager ma chambre avec cette grande boule de haine qui était dans la voiture avec moi.

Dans la chambre, un lit King Size... qu'on allait donc devoir partager pendant deux semaines au moins.Cette perspective ne m'enchantait pas et je commençais sérieusement à me dire qu'il n'était pas encore trop tard pour rentrer, trouver un emploi tranquille et vivre comme tout un chacun. C'est ce moment de remise en question que ma nouvelle colocataire a interrompu en me rejoignant dans la salle de bains. Alors que je la regardais étonnée, elle commença la conversation en anglais d'abord. J'ai donc appris qu'elle s'appelait Ksenia et qu'elle venait effectivement de Russie, la conversation a basculé vers le français lorsqu'elle a su que je venais de Paris. Son français était impeccable empreint d'un joli accent russe dont les hommes raffolent...

Ksenia avait été en contact avec "une fille de l'agence" qui lui avait indiqué qu'on ne verrait le client que le lendemain soir. Le soir, une table nous était réservée au restaurant de l'hôtel afin que nous puissions faire connaissance avec deux autres collègues. Elle m'a dit que nous pouvions disposer du reste de notre temps pour aller visiter la ville. Sa gentillesse soudaine m'a rassurée sur les perspectives de ce séjour. Elle donnait l'impression d'une personne gentille et avenante qui ne me laisserait pas tomber en cas de galère. En plus, elle parlait français ce qui réduisait un peu le dépaysement. L'agence ne m'avait transmis aucune information et Ksenia m'expliqua qu'ils allaient maintenant lui donner toutes les instructions pour nous deux parce qu'il était plus pratique pour eux de communiquer en russe. Toutes deux fatiguées par le voyage, nous avons décidé de dormir avant le diner avec les autres filles.

A 19 heures, la sonnerie du téléphone de l'hôtel nous a réveillées.

"Your reservation for the dinner is at 7:30, is it ok ?"

J'ai balbutié un "ok ok" et raccroché.

Nous sommes arrivées à 19:45, apprêtées et fraiches comme si nous nous étions réveillées à temps. Ksenia m'a montré quelques uns de ses secrets pour avoir bonne mine dans n'importe quelles circonstances ! J'avais l'impression qu'un lien se créait petit à petit entre elle et moi et j'espérais qu'il en soit de même avec les autres filles.

Nous avons été conduites à table où nous attendaient déjà deux filles blondes magnifiques. L'une d'elles avait l'air d'être très jeune... j'aurais parié qu'elle n'avait pas plus de 19 ans et, comme je l'ai appris au cours du repas, je n'avais pas tord... elle avait fêté ses 18 ans deux mois avant ce voyage. Elle se faisait appeler "Stella" et était ukrainienne et elle ne parlait quasiment pas d'elle. Je la comprends... en un sens, c'est comme pour garder un peu d'anonymat, une façon de se dédouaner, de protéger sa "vraie" vie. J'avais le même réflexe à l'époque, le même voile sur les yeux. Ni elle ni moi ne nous rendions compte que notre "vraie" vie, maintenant, c'était cela. On ne peut pas continuer les études, la vie de famille ou la vie de couple alors qu'on est susceptible de traverser le continent inopinément. La deuxième fille était, au contraire, très extravertie. Elle s'appelait Norma et venait d'Allemagne, elle parlait sans cesse de ses expériences précédentes. Son discours était assez rassurant ; en deux ans "de métier" elle n'avait connu qu'un seul client irrespectueux, qui a voulu aller au delà des limites qu'elle avait fixées, et devinez quoi ? Il était français. Elle parlait de cette expérience qui en aurait traumatisé plus d'une avec une telle légèreté et même une note d'humour que cela ressemblait à un petit quiproquo comme on peut en avoir dans la vie quotidienne... Mais, que dis-je ? C'était cela, son quotidien.

Le diner s'est terminé tard par une séance photo dans les escaliers de l'hôtel. Les regards des autres clients me gênaient un peu mais Norma et Ksenia n'y prêtaient aucune attention. A l'époque, je voyais tous les regards, le jugement des femmes, le désir de certains hommes, le regard compatissant de certains employés de l'hôtel... Chacun d'eux me pénétrait et me blessait. Le jugement de ces femmes hypocrites particulièrement. Elles qui étaient venues ici aux frais d'un homme... Qu'est ce que cela change que ce soit "un mari" ? Souvent leur ainé de beaucoup trop d'années. Ces femmes ne sont pas différentes de nous, elles veulent avoir beaucoup d'argent et tout ce qu'elles donnent en retour c'est elles-mêmes, leurs corps. Finalement, c'est un peu comme un "habitué". J'ai vu une jeune fille d'une vingtaine d'années avec un homme qui en avait le double filmer Ksenia se faire prendre en photo dans le hall. J'ai ensuite retrouvé cette vidéo dans un groupe fermé qui passe en revue les escortes pour "en rire". A mon avis, la raison est toute autre, c'est plutôt pour juger, pour rabaisser, pour flatter son égo, se sentir exister... Mais finalement, ces gens qui envoient les vidéos ne sont en aucun point "au-dessus" de nous.

Toute ma vie, j'ai cultivé en moi une certaine haine des gens... Ce n'est pas que je déteste tout le monde, non. J'ai juste trop souvent vu des regards méchants, hautains et je m'entrainais à les blesser davantage qu'eux ne le faisaient. Je forgeais un regard rempli de haine pour me protéger. Drôle d'instinct de protection allez vous me dire. Mais savez-vous ce que c'est, vous, que de sentir la nécessité de se protéger ?

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