Chapitre 27

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67 heures et 35 minutes plus tard, je recevais un appel de mon agence. Un visa serait prêt dès le lendemain, les billets d'avion me seraient envoyés dans l'heure qui suit et deux jours plus tard, je devrais décoller direction Dubaï. Un cheikh m'avait "choisie" avec d'autres filles pour passer une semaine avec lui (ce qui n'excluait pas qu'il y ait d'autres hommes). La date de retour n'était pas encore fixée car mon séjour était susceptible d'être prolongé. Toutes les modalités me seraient communiquées sur place. Une voiture de l'hôtel viendrait me chercher à l'aéroport. 

C'est drôle car, jusqu'à cet appel, j'étais impatiente de rencontrer mon premier client.. Je fantasmais sur cet inconnu. Le site était plutôt (très) élitiste et je m'imaginais souvent à califourchon sur un oligarque dans un lit aux draps de soie. Cela ne me faisait pas peur, bien au contraire, je le désirais. 

Cela virait désormais vers la concrétisation et, paniquée, je voulais tout arrêter. Effrayée par la nouveauté. Un nouveau pays. Une toute autre culture. L'idée de partir dans deux jours m'angoissait. Ai-je des choses à faire avant de partir ? Quelles sont leurs pratiques sexuelles ? Leurs préférences ? Que faire et comment ? Tant de questions se bousculaient dans ma tête et me bouleversaient au plus haut point. 

Un moment plus tard, après deux cafés et les idées claires, j'ai réussi à programmer quelques rendez-vous qui me paraissaient essentiels. Cela me donner l'impression que je contrôlais. Epilation, soin du visage, manucure, pédicure s'enchainaient. C'est d'une banalité, n'est-ce pas ? Finalement, cela donne l'impression de se préparer pour un "date" avec un homme à qui l'on voudrait plaire à tout prix. 

Maintenant que tout cela est derrière moi, je réalise à quel point j'étais superficielle, obsédée par le physique. Je me souviens même qu'à un moment j'ai songé que si ils voulaient pratiquer le BDSM, je serais (très) partante puis j'ai été effrayée par l'idée qu'ils pourraient abîmer mon corps, y laisser des traces... Je ne me souciais que de mon corps, de mon apparence, le physique était primordial. A aucun moment je ne m'étais posée la question de savoir quelle trace cela laisserait sur mon âme. Le coté psychologique ne m'intéressait pas comme s'il n'existait pas. 

La jeunesse et l'insouciance se marient si bien. C'est ce qui permet d'acquérir l'expérience dit-on. Mais sait-on seulement ce que c'est "l'expérience" ? S'il s'agissait pour moi de répondre à cette question, je dirais que ce sont les traces indélébiles que la vie, nos choix, les rencontres laissent sur notre âme. Ce sont les souvenirs que l'on ne pourra jamais oublier, ces images qui repassent parfois dans notre tête lorsqu'on ferme les yeux. Ce sont nos cauchemars, nos rêves, qui reviennent en boucle tout le long de notre vie. Nos peurs, notre fierté, nos regrets, notre courage. La réalité est telle qu'aujourd'hui, mon âme est parsemée d'empreintes dont la noirceur me sert aujourd'hui d'encre. 

Notification "vous avez reçu un e-mail". Mes billets. Paris - Dubaï 6h 40 en première classe dans une suite privée. Dans le mail, il y avait aussi des recommandations de l'agence :

"Vous avez l'honneur d'avoir été choisir par l'un de nos plus prestigieux clients et vous nous représenterez ainsi auprès de sa personne. Nous sommes certains que vous mesurez l'ampleur de votre responsabilité et de la discrétion dont il vous faudra faire preuve. Il va sans dire qu'une apparence soignée est nécessaire tout au long de la semaine et ce, dès votre arrivée et, bien que vos photos ne laissent aucun doute quant à votre forme physique, nous vous recommandons de bien dormir et vous hydrater ainsi que de rentre une visite à votre esthéticienne si nécessaire. En ce qui concerne la prise de photos en ce lieu pour vos réseaux sociaux, elles sont autorisées et fortement encouragées. Inutile de préciser que les Emirats Arabes Unis ont des moeurs autres que celles que nous connaissons en occident et aucune photo trop dénudée ou suggestive ne pourra être publiée. Modestie est maître mot. Vous n'aurez pas la possibilité de sortir de l'hôtel mais celui-ci regorge d'activités plaisantes. Nous vous souhaitons un bon séjour."

Ne pas sortir de l'hôtel ? C'est la chose la plus choquante du mail. Je m'étais motivée, en partie, par des visites de la ville avec notamment la visite de la célèbre mosquée. Voilà mes plans tombés à l'eau... Au moins, c'est clair, si j'y vais, c'est pour travail. La chose la plus rassurante dans tout cela était que d'autres filles seraient présentes, elles sauront peut-être me guider. 

C'est drôle mais pas une fois ce jour là l'idée de concurrence ne m'avait effleurée. Pour cause, je ne savais pas pourquoi ces filles là étaient là. Besoin d'argent ? Amour du sexe ? Les deux ? Ou bien recherche désespérée d'un mari fortuné qui, comme dans les contes, viendrait les sauver de cette vie de voyages et d'hôtel de luxe pour les amener dans une maison avec un chien dans le jardin et un monospace dans le garage. Nous oublions trop souvent que les contes ont aussi été créés pour montrer l'atrocité de la vie. Savez-vous ce que c'est, vous, que l'atrocité ?

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