Ce jour s'est effacé très rapidement de ma mémoire. Je ne saurais dire si c'est une preuve de force ou de faiblesse... tout n'est pas blanc ou noir. Il m'a fallu de la force pour oublier cet « incident » mais c'est la faiblesse qui m'a poussé à le faire. Nous voilà donc avec un joli gris. 

Dès le lendemain, nous sommes allés chez Cartier « comme promis » (compromis ?). Je me souviens que c'était très étrange. Ce jour-là, quelque chose n'allait pas avec mes sentiments. Ils étaient absents. Je ne ressentais rien. Peut-être que cela ne vous choque pas mais, je sais qu'un tel événement aurait dû m'amener directement au septième ciel... ça n'a pas eu cet effet, ça n'en a eu aucun.  Je ne voyais plus l'intérêt d'acheter ces belles choses, de les porter. Effrayée, je me suis forcée à ressentir, à pousser des petits cris de joie et me jeter au coup du sponsor de ce « bonheur ». La simulation n'a rien éveillé de réel...

J'avais décidé de continuer à vivre comme je l'avais fait jusqu'à présent. De la seule manière que je connaissais, en fait.

Pendant une manucure, mon téléphone a sonné. Le numéro n'était pas enregistré. J'ai tout de même décidé de répondre. 

- Allô ? 

- Oh c'est trop cool ! T'as pas changé de numéro ! Qu'est ce que tu deviens ?

- ... qui est-ce ? 

- Tu me reconnais pas ? Ornella.

- Cela fait longtemps,  je ne m'attendais pas à un appel de ta part !

- On peut se voir ? Aujourd'hui, dans un café ? 

- Bien sûr, je serai disponible dans environ une heure.

- Retrouve moi dans une heure en bas de notre ancien appart'. A toute.

- Ok !

Je regrettais d'avoir décroché. C'était un appel du passé et je ne voulais pas le voir resurgir.

Ni elle ni les autres ne m'ont appelée depuis que j'ai abandonné appartement et études. Ils n'ont cherché à me joindre qu'une fois pour me demander si ils pouvaient prendre quelqu'un d'autre pour me remplacer dans la collocation. Les gens sont si décevants. 

Je ne raconterai pas le déroulement de notre rencontre : c'est long et inutile. Le fait marquant est qu'Ornella a commencé à se droguer. Elle a essayé de me voir uniquement pour voir si je n'étais pas morte et me demander de l'argent. Je lui ai donné l'argent, elle a dit qu'elle rembourserait tout « jusqu'au dernier centime » . J'en doutais. De toute façon, je ne voulais plus la revoir. 

Elle n'a fait que parler du passé : toutes ses phrases commençaient par « tu te souviens quand... » comme si elle voulait revenir à cette époque... Non. Je ne m'en souviens pas. Je ne veux pas m'en souvenir. « Qui aurait pu penser que tu t'en sortirais mieux que nous tous, hein, haha ?! »  lancé par une fille qui avait l'air de ne pas avoir dormi depuis plusieurs semaines, sans logement ni argent, c'était assez amusant.

Je m'étais toujours doutée qu'ils me considéraient comme la ratée du groupe et j'ai éprouvé une certaine fierté à arriver à notre lieu de rendez-vous en taxi, à payer son repas et lui filer ce fric. Ce n'est pas grand chose, j'en conviens. Mais je pense les tiens en partie responsables de mon déficit de confiance et ce moment a été pour moi une petite revanche. 

Je m'en sortais mieux qu'eux, en effet. Mieux qu'elle en tous cas. Je n'avais pas pris de nouvelles des autres, je n'en voulais pas. Qu'ils soient sous un pont ou à la fac... Je m'en fichais. Comme eux se fichaient de moi quand je suis partie. Ce n'est pas cruel de dire ça, non. Je ne fais que leur rendre la pareille. L'indifférence. 

« Tu vois, ce n'est pas moi qui ai mal fini » avais-je envie de lui dire. Mais étais-je vraiment en meilleure position qu'elle ? J'en étais certaine à l'époque, je ne le suis plus autant maintenant. Savez-vous ce que c'est, vous, que de mal finir ?