Chapitre 18

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En allant à l'hôtel, j'observais les gens, scrutais leurs visages, cherchais leurs regards. J'avais l'impression que je pourrais leur transmettre toute ma peine intérieure et qu'ils pourraient m'aider, m'apporter du réconfort, un peu de chaleur humaine... Quoi de plus normal que de chercher de la solidarité parmi les êtres de son espèce ?

Je me trompais. Ils n'étaient pas comme moi. Je n'étais pas comme eux. C'est moi qui étais différente. Ils étaient employés, cadres, propriétaires, parents... Moi, j'étais une pute. Oui, j'en étais une. C'est comme cela qu'on appelle les femmes qui viennent de coucher avec un homme pour une certaine somme d'argent. Je ne peux qu'être d'accord avec ce grec des temps anciens qui une fois a dit "l'argent, fléau des humains".

J'étais presque arrivée à l'hôtel quand une idée traversa mon esprit. Et si Karl leur avait dit de ne plus me laisser entrer ? Cette idée m'a stressée pendant la traversée du hall mais le réceptionniste m'a jeté un coup d'oeil rapide sans rien dire. Soulagement.

Ascenseur. Couloir. Chambre 623. Je cherche la carte pour ouvrir la chambre. Mes mains tremblent. Je ne l'avais pas remarqué mais j'étais dans un état d'anxiété très avancé. Mes mains tremblotaient. J'ai laissé tomber mon sac et tout son contenu s'est répandu sur le sol. Je suis restée debout, rigide, fixant les objets au sol. J'avais perdu l'usage de tous mes membres, comme paralysée. J'examinais les détails : il y avait une rayure sur le rouge à lèvres, le parfum avait perdu son capuchon en tombant, le bloc-notes avait de nombreuses pages pliées.

J'étais tellement occupée à contempler ce microcosme que je n'ai pas remarqué l'homme venu m'aider en perturbant ce microcosme : d'abord, il l'a privé du parfum puis de toutes les autres entités. Peu à peu, je revenais à moi. J'ai pris conscience de l'endroit où j'étais et de l'identité de l'homme : Karl. J'entendais des mots sortir de la bouche de ce manipulateur. Je n'arrivais pas à bien les distinguer mais le dégout m'envahissait.

- Tu as l'air toute chamboulée... ça ne va pas ? Que t'a-t-il fait ? ... Je savais que je n'aurais pas dû accepter, j'aurais dû me débrouiller autrement. Ça va ? Il m'a appelé il y a une heure. Tu as mis beaucoup de temps pour rentrer ! Ça va ?

Je l'ai regardé dans les yeux. Je ne cherchais plus de chaleur humaine. Nous ne sommes pas de la même espèce. Ici et maintenant, il est le prédateur et je suis la proie. Il est le maître et moi l'esclave. Il ne peut y avoir ni compassion ni solidarité. Dans ses yeux, je cherchais à percevoir des émotions pour savoir si il était au courant ou non. Je n'ai rien vu. Déçue, je suis rentrée dans la chambre.

- J'ai besoin de prendre une douche.

Je me suis dirigée vers la salle de bains alors qu'il était toujours en train de récupérer les affaires tombées de mon sac. Toute habillée, je suis rentrée dans la douche, j'ai allumé l'eau et je me suis assise. Non pas parce que je n'étais pas bien mais parce que j'étais une bonne actrice. Je savais que Karl viendrait me rejoindre et jouer l'amoureux concerné (j'avais décidé de faire confiance à Alain ; il ne me trahirait pas).

Il fallait que j'ai l'air détruit pour qu'il puisse jouer le rôle du mâle protecteur. Je me suis dit que je pourrais lui faire réaliser ce qu'il m'avait fait, le faire regretter, se repentir. Le faire changer. Je pensais pourvoir le changer... Comment appelle-t-on ça déjà ? Espoir ? Non non, naïveté... ou sottise.

Comme je l'avais imaginé, Karl m'a rejoint dans la douche quelques minutes plus tard. « Mais tu es toute habillée » dit-il en éteignant l'eau. Il s'accroupit devant moi et prit mon menton pour faire en sorte que je le regarde dans les yeux.

Je vous laisse imaginer la scène : une femme assise sur le sol d'une salle de bains, trempée, des larmes noires sur les joues et un homme, accroupi devant elle, tenant son menton et la regardant dans les yeux feignant la compassion.

Je ne sais pas ce qu'il avait vu dans mes yeux à ce moment là mais cela lui avait donné l'envie de me prendre dans ses bras. « Ne t'inquiète pas, cela ne se reproduira plus... Tu as faim ? As-tu mangé ? Tu veux sortir ? Plutôt rester ici et regarder un DVD ? Dormir ? » me questionnait-il.

Inutile torrent de paroles. Je ne pouvais admettre qu'il se sente concerné. J'avais envie de le croire pourtant et que ses mots soient vrais. Qu'il soit tel que je le connaissais, tel que je me l'étais imaginé. Que notre amour soit réel.

Savez-vous ce que c'est, vous, la « réalité » ?

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