Boris

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Boris s’échinait sur la fermeture latérale de son jean. La tirette se coinçait et la chaîne attachée au pied du lit le gênait. C’était énervant. Ses parents étaient fous. D’ailleurs tous les adultes l’étaient ! Tarés et cruels. Tellement bêtes. Il avait besoin de grimper aux arbres, de rouler à vélo et jouer au foot. Au foot ! Il leur en voulait. Il avait peur aussi. Il ne comprenait plus rien.

Soudain il entendit sa mère gueuler dans la cuisine, son père cavaler dans les escaliers. Quoi encore !!? Une brusque inquiétude, mêlée à une curiosité amusée, le poussa à accélérer. Il souleva la chaîne et fit glisser son mousqueton le long du rail de sécurité fixé au mur, descendit prudemment les escaliers, pas de rampe à dévaler.

Sur l’écran, des images de Baulà, leur ville, de l’école, leur école.

— Quoi ? Quoi ! Que s’est-il passé ?

Boris restait debout sur la dernière marche. Personne ne lui répondit. Bébé Simon dormait dans son parc. Olga jouait avec du lait renversé sur la table et lui tira la langue. Ses parents étaient figés face à la télévision. La grosse journaliste rousse parlait avec sa voix de tragédienne. En ces temps terribles où les scènes d’horreur se répètent jour après jour, où chaque minute des policiers désespérés désertent leur épouvantable devoir pour lui préférer un nœud coulant ou une balle de revolver dans la tête, le carnage de Baulà nous force à oser certaines questions. POURQUOI ? Jusqu’à quand ? Que faut-il faire ? Allons-nous rejoindre les groupes de prière Pénitence et Réconciliation ? Non ! Chers amis téléspectateurs, allons-nous raison garder ? Comment ? Dites-moi COMMENT ! (Elle hurlait.)

La journaliste s’interrompit, elle sanglotait, la morve coulait sur le gros micro phallique qu’elle serrait toujours contre sa bouche. La chaîne d’info cadra sur son visage en gros plan avant d’interrompre au bout de quelques longues secondes. Une voix off reprit avec en arrière-fond l'image fixe d’une vue aérienne de Baulà.

La petite ville de Baulà dans la Province de Luxembourg a été victime d’un drame d’une ampleur jusqu’ici inégalée dans notre pays. L’école de la petite cité avait été transformée en internat sécurisé pour les enfants dont les familles avaient fait le choix n° 1 de mise à distance, choix, nous vous le rappelons, préconisé par le gouvernement wallon. A ce propos nous attendons une intervention en direct du ministre de l’Éducation d’ici quelques instants, nous interromprons alors momentanément notre transmission. Sachez que l’Ecole de la Grâce, anciennement tenue par les Frères de la Charité chrétienne, était souvent citée comme modèle. La mise en place des consignes de sécurité y était appliquée dans un souci du respect de chacun, les enfants étaient entendus lors de réunions évaluatives quotidiennes, la pédagogie participative avait été maintenue en ménageant une large place à la créativité et à l’autonomie, ceci tout en respectant les règles de protection imposées. Que s’est-il donc passé à l’Internat la nuit passée ? Comment tous les élèves ont-ils pu se libérer ? Nous vous rappelons qu’aucun membre de l’équipe éducative n’a survécu à cette nuit sanglante. Quant aux enfants, ils ont tété récupérés à l’aube.

Boris faisait partie des rares enfants dont les parents avaient opté pour le Choix n° 2 de maintien au domicile en sécurité contrôlée. Il pensait aux copains de sa classe, Sacha, Ilyas et Marco, ils l’avaient fait ! Et le grand Tom ? Le grand Tom aurait tué ? Et Monsieur Jean, Monsieur Jean serait mort ? Et Rita l’infirmière aux gros nénés avec ses pansements en dinosaures ? Boris voulait hurler, que se passait-il ? Il avait besoin d'éclater en sanglots, mais se retenait, il émit un hoquet bizarre. Son père le regarda avec un mélange de peur et de colère dans les yeux. Olga du lait plein le nez intervint :

— Maman, on va être en retard à l’école ?

— L’école est fermée, ma chérie.

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