Zoya

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Et Jésus les appela, et dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent.

Le sommeil fondait sur Zoya, puissant et inflexible. Une miette de doute lui interdisait pourtant de sombrer, lève-toi, va vérifier. Voilà, elle était debout, épuisée, mais relevée. Elle tituba jusqu’à la chambre d’Olga, les barreaux du lit étaient bloqués et verrouillés. La gamine dormait avec une drôle de poupée en chiffons que sa grand-mère lui avait cousue quelques années auparavant. Le vieux plancher craqua sous ses pieds nus. Maman ? Oui, c’est moi, chérie. Maman, je dois faire pipi. Elle ne devait pas hésiter, mais son cœur tremblait. Tu as ton lange ma puce, tu peux pas sortir, tu le sais, à demain, ma toute belle, je t’aime. La petite ne rechigna pas, habituée, elle soupira, se tourna contre le mur et se rendormit sans plus répondre.

Zoya vérifia aussi le lit de Boris, le cadenas était fixé, son fils avait les yeux ouverts et la fixait. Dors poussin. T’inquiète pas, ça va s’arranger... Dieu qu’il avait grandi !

Les portes en bas étaient verrouillées, inutile d’y aller, elle avait déjà contrôlé deux fois.

Elle marcha jusqu’à la chambre de Bébé, il était étendu sur le ventre, il se tournait seul depuis quelques jours, elle le remit sur le dos et le coinça avec un oreiller. Il poussa un long soupir de nourrisson détendu. Dire qu’ils voulaient imposer les lits sécurisés à partir de dix mois, quel cauchemar. Le Cauchemar.

Zoya rejoignit leur chambre, Hector ronflait, un bras sur son oreiller à elle, il prenait des cachets chaque soir, elle lui en voulait pour cela aussi. Elle lui donna une petite tape dans le dos, un peu brusque, comme ça, pour se défouler, il grogna à peine et se mit à respirer plus doucement.

***

Petit déjeuner, Hector slurpe son café tandis qu’Olga pose son coude dans le lait qu’elle vient de renverser. Heureusement qu’il n’y a plus de couteau à lécher… Boris rechigne à s'éveiller, il est toujours en haut, son lit est débloqué. Zoya est bien installée dans le grand fauteuil, Bébé coincé contre elle, le coude sur le large coussin, elle lui donne sa tétée du matin. Bébé lève les yeux entre deux goulées, il lui sourit. Qu’il est beau, qu’il est doux. Si ça pouvait l’aider à résister.

La télévision est allumée. Publicités pour des cadenas musicaux, des menottes Pocahontas à bordure en fourrure rose et en promo le nouveau gilet de sécurité pour moins de dix-huit mois avec Winnie l’Ourson. Flash info. Un chercheur propose l’avancée obligatoire de la puberté chimique à neuf ans. Un autre répond que c’est dangereux. Le premier hurle le danger est maintenant, ajoute abruti. La journaliste reprend l’antenne, souriante, mais son foulard laisse voir des griffes sur son cou.

Hector éteint sans demander l’avis de personne. Zoya lui dit sèchement rallume, moi je veux entendre les infos. Hector obéit et quitte la pièce, elle l’entend appeler Boris. Boooooris lève-toi, si tu n’es pas debout et habillé dans une minute, je te balance un seau d’eau sur ta sale gueule de gros babouin paresseux. Elle pouffe, la grossièreté du père de ses enfants la détend, comme l’illusion d'une normalité.

Un nouveau flash info, carnage à Seraing, les parents ivres avaient mal fermé le lit de leur aînée de dix ans, elle a libéré ses deux frères, les petits n’ont pas été rattrapés. Un lancement, ce soir grand débat sur les centres de rétention, faut-il désormais les imposer à toutes les familles ? Nous attendons vos avis au 0478/787878

Quatorze mois que le Cauchemar avait commencé. Au début, personne ne voulait y croire, trop loin, trop fou, trop… mais les massacres se rapprochaient, les évidences s’écrasaient. Les enfants, nos enfants, étaient devenus des tueurs. Méthodiques et précis.

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