30. Frustration

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Je tenais bon. Un mois que j’étais rentré de Toulon. Un mois que les cours avaient repris. Un mois que Céleste et moi n’étions qu’amis, parce que JE l’avais décidé. Elle avait l’air de s’en contenter. J’avais noté aucun changement de comportement de son côté. C’était comme avant. Mais pas du mien.

Je tournais comme un lion en cage, j’enrageais, je bouillonnais. J’y arrivais plus. Chaque seconde à ses côtés était une véritable torture. Le moindre effleurement me rendait fou. Son parfum m’ennivrait quand elle s’asseyait près de moi. Ses sourires me faisaient bugger. Je me noyais dans ses yeux. J’étais clairement pas discret en plus, j’en étais sûr. Personne disait rien. Elle encore moins. Elle respectait mon choix. Alors que je savais qu’il ne suffisait que d’un baiser pour qu’on oublie cet accord stupide. Mais j’étais toujours pas prêt à m’engager sur quoi que ce soit, encore moins avec elle.

Pour évacuer ma frustration grandissante, je passais mes soirées à la salle, à m’entraîner. Quand je rentrais, vanné par tant d’efforts, je ne trouvais toujours pas de repos. Je pensais à elle tout le temps. Ça en devenait maladif. Je m’étais remis à écrire aussi. Je grattais le papier jusqu’à pas d’heure. Tout tournait toujours autour d’elle, autour de ce qui m’empêchait d’être avec elle, autour de ma connerie.

Jusqu’au jour où me battre à l’amiable contre Hakim ne suffit plus. De toute façon, je commençais à plus avoir beaucoup de thune, fallait que je me refasse. J’aurais pu me chercher un petit taff tranquille, me gagner sept ou huit cents balles par moi avec un job étudiant, mais c’était pas assez. Et ça me procurerait pas l’adrénaline dont j’avais besoin.

Un soir, alors que je venais de passer la journée en tête à tête avec Céleste et que j’étais encore plus frustré que d’habitude, je me rendis à l’usine. J’y avais pas mis les pieds depuis presque deux mois. Les beuglements des parieurs, le bruit sourd des coups des combattants, les néons qui clignotaient et l’atmosphère saturée de violence m’avait manqués. Aussitôt, je me sentis dans mon élément. Et j’eus envie de cogner à mon tour. Sauf que j’étais pas prévu au programme aujourd’hui.

Dire qu’à l’époque où j’avais commencé à me battre, je faisais ça pour survivre. Cette fois, c’était juste par envie. C’était malsain. Je le savais. Mais, là, j’en avais vraiment besoin si je voulais tenir la promesse que je m’étais fait : ne pas craquer. Me tenir à bonne distance de Céleste, de son lit et de ses gémissements. Je sentais des fourmillements me parcourir tout le corps, comme quand je me retrouvais au cœur de l’arène, face à un adversaire coriace. Fallait que je cogne un truc, putain !

— Qu’est-ce que tu fous là ? m’interpella Vadim, par-dessus les cris.

— Trouve-moi un combat dès que tu peux.

— Je croyais que tu voulais plus te battre tant que t’avais de la thune. T’as déjà tout grillé ? ricana-t-il.

Nan. En soi, il me restait trois mille balles. J’avais largement de quoi tenir encore au moins un mois et demi. Là n’était pas la question. Le visage de Céleste s’imposa encore à moi. Bordel.

— J’en ai pas pour ce soir. Tout est booké. Mais demain… Par contre, t’as intérêt à gagner. Tu me fais pas comme l’autre fois quand tu m’as supplié de t’en filer un pour ensuite te faire éclater deux fois de suite. T’es pas venu depuis longtemps, ta côte va être énorme. T’as pas intérêt à me faire perdre de thune.

J’hochai la tête et lui serrai la main. Il me donna une grande tape dans le dos. Apparemment, il était content de me revoir. Tu m’étonnes ! J’étais celui qui lui rapportait le plus, quand je me faisais pas buter par le géant.

J’en dormis pas de la nuit tellement je trépignais d’impatience. Enfin, quelqu’un allait pouvoir morfler pour canaliser mon trop plein d’énergie, de colère contre moi, contre Céleste et ses sourires en coin, si charmeurs. J’allais pouvoir me défouler. Et avec un peu de chance, après je serais tranquille quelque temps. Ou alors fallait juste que je me trouve une autre meuf à baiser. Pour me passer l’envie de me retrouver au pieux avec Céleste.

— Oh Mika, t’es avec moi ?

Je clignais des yeux. J’étais crevé. Les premières heures de cours avaient été plus dures à suivre que jamais. Heureusement, Céleste m’avait foutu la paix, j’avais pu somnoler. Mais là, on était assis sur les quais de Seine et j’étais toujours à moitié dans le coma.

— Qu’est-ce que t’as aujourd’hui ? T’es bizarre, me fit-elle remarquer.

Toujours le mot pour plaire, Céleste.

Adossé au grand mur en pierres, j’avais baissé mes lunettes de soleil sur mon nez. Elle devait même pas avoir remarqué que je dormais à moitié. Sa voix fluette, qui ne cessait de bavarder, m’avait bercé. Appuyée contre moi, mon bras sur ses épaules, elle me secouait de temps en temps en riant. C’était elle qui s’était installée là. J’avais pas eu envie de la repousser, même si ça bouillonnait en moi. Ça faisait longtemps que je l’avais pas eue dans mes bras.

— Qu’est-ce que t’as ? m’interrogea-t-elle.

Je croisai le regard d’Alex’ qui nous matait comme si on était le couple de l’année. J’avais envie de le buter, lui.

— Rien, marmonnai-je, je suis juste fatigué.

— T’es sûr ? Je te trouve vraiment… étrange, en ce moment.

Sans blague. Et toi, tu me rends pas la tâchefacile à être si mignonne.

Comme d’habitude quand elle était blottie contre moi, elle tripotait ma gourmette sans y faire gaffe, c’était machinal. Si elle savait ce que ce simple geste avait comme effet sur moi… Mais elle continuait. Elle s’en foutait, Céleste. Elle était passée à autre chose. Ou du moins, elle faisait bien semblant.

Arriver à l’usine à la tombée de la nuit fut un véritable soulagement. Toute la journée, Céleste m’avait fait les yeux doux, dans l’espoir que je lui dise ce qui n’allait pas. Je pouvais pas lui dire que c’était elle, le problème. Alors elle avait insisté, mais j’avais pas cédé.

Je tendis mon portable et mes clés à Vadim et bousculai tous les autres gars sur mon passage pour rejoindre le centre du cercle. Mon adversaire était hyper baraqué. Enfin, pas plus que moi non plus. On avait à peu près le même gabarit. C’était un nouveau, je l’avais jamais vu avant. Il avait l’air aussi vénère que moi. Et il me sembla que ce fut le combat le plus difficile de ma vie. Je me faisais pas laminer comme avec le géant, nan c’était juste hyper serré. Chaque coup que je lui mettais, il me le rendait et inversement. Ça n’en finissait pas.

Et, tout à coup, il recula, tituba et tomba. J’avais gagné. De peu, parce que je tenais à peine debout. Mais j’avais gagné. L’adrénaline inondait mes veines. Plus une seconde je ne pensais à Céleste. J’avais la rage dans le sang.

Pourtant, à peine arrivé à l’hôtel, je croisai mon reflet dans le miroir de l’ascenseur et je compris que j’avais été sacrément con. Sur le moment, ça m’avait fait du bien. Mais demain, j’allais douiller… Et Céleste allait comprendre. Elle serait en colère. Ou triste.

T’étais censé plus penser à elle.

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