26. Baiser

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Elle pouvait pas me faire ça ! Bordel ! Elle pouvait pas m’embrasser alors que je luttais de tout mon corps pour ne pas le faire moi-même. Mais ses lèvres sur les miennes m’électrisaient. J’oubliais tout. Je profitais juste de cette sensation grisante qu’elle réveillait en moi. Ses doigts noués sur ma nuque, elle s’était retrouvée assise à califourchon sur mes genoux. Je savais plus quoi penser. Un soupir lui échappa. Puis tout à coup, elle recula, les joues rouge écarlate. Enfin, je retrouvais mes esprits.

Je la poussai doucement pour la faire retomber sur le canapé, non sans ressentir un pincement au cœur. Fallait que je lui dise que c’était pas possible, nous deux, même si j’en mourais d’envie. Mais j’avais la gorge sèche. Et j’avais encore la sensation de sa bouche pulpeuse pressée contre la mienne, de ses doigts dans mes cheveux.

— Pardon, je…

— On peut pas faire ça, m’étranglai-je. S’te plait, Céleste… On peut pas.

Elle détourna les yeux, referma nerveusement son gilet sur sa poitrine, qui se soulevait encore à toute vitesse sous le coup de l’émotion, et hocha la tête. Elle était pas d’accord, j’en étais certain. Moi non plus. Mais c’était la meilleure chose à faire. Je me connaissais, j’allais merder, j’allais lui faire du mal. Elle méritait largement mieux que moi. Elle avait pas besoin d’une petite fiotte comme moi.

On resta comme ça, assis côte à côte sans oser nous regarder, pendant ce qui me parut être une éternité. J’étais trop con, j’aurais dû aller à l’hôtel plutôt qu’ici. Ça ne serait jamais arrivé si je lui avais pas fait cette surprise stupide, si on s’était revu le trois, comme prévu, avec Alex’.

Elle bougea près de moi. Sa main frôla la mienne. Je déglutis.

Bordel. Merde. Putain. Arrête ça !

Puis elle se leva, posa son verre sur la table basse et s’éloigna dans la cuisine. Elle tremblait, enfin j’en eus l’impression. Je la suivis du regard. Comment je pouvais lui résister quand elle était là, si belle devant moi.

De longues minutes, je restai seul dans le salon. Elle ne revenait pas. Et le manque commençait à se faire sentir au creux de mon estomac. Je me sentais mal. J’avais l’impression d’être bourré alors que j’avais à peine eut le temps de boire deux gorgées de bière. C’était Céleste qui me faisait cet effet, elle m’embrouillait le cerveau et sa réaction me perturbait d’autant plus.

— Cél…

Pas de réponse. Je me levai et la rejoignit dans la cuisine, enfumée par la cigarette qu’elle tenait entre ses doigts. Accoudée à la fenêtre, elle m’avait même pas vu arriver. À la lumière des réverbères, je crus voir les traces d’une larme sur sa joue. Non, non, non. Elle pouvait pas faire ça. Elle pouvait pas être tombée amoureuse d’un connard comme moi. Elle valait mieux que ça.

— Qu’est-ce qu’il y a ? me demanda-t-elle, sans vraiment me voir.

J’en savais rien. Je savais pas quoi dire. Alors, j’attrapai une clope dans son paquet et m’installai près d’elle, prenant soin de ne pas la toucher non plus. Il faisait hyper froid dehors, le vent s’engouffrait dans la cuisine et faisait virevolter les cheveux lâches de ma Céleste. Non, pas “ma”.

— Pourquoi on ne peut pas ? m’interrogea-t-elle, à voix basse.

Une voiture passa à ce moment dans la rue. Je crus avoir pas bien entendu. Mais elle tourna la tête vers moi et planta ses yeux perçants dans les miens. Pris en flagrant délit. J’arrivais pas à la quitter du regard. Sa tenue m’aidait pas.

— Mika, m’interpela-t-elle.

Deux secondes, laisse-moi le temps de réfléchir. Tiens, en voilà une raison, je suis long à la détente, trop con pour toi.

— Je croyais que…

— T’as mal cru, lâchai-je.

Mais quel con !

Elle resta muette, écrasa son mégot dans la jardinière et quitta la pièce. J’avais merdé sur toute la ligne. Tout ça parce que j’avais peur de pas être à la hauteur. J’étais pas à la hauteur. La preuve, elle avait pleuré à cause de moi. Et je restais là, accoudé à la fenêtre, sans savoir quoi faire. J’avais tout fait foirer.

Tout à coup, elle débarqua avec la bouteille de vin et son verre, qu’elle jeta dans l’évier avec une brutalité que je ne lui connaissais pas. Il éclata en morceaux. Elle jura et s’empressa de tout ramasser, mais elle s’énerva encore plus quand un tesson s’enfonça dans son pouce.

— Céleste, arrête. Tu vas te faire mal, lui ordonnai-je, quand je la trouvai en train de suçoter son doigt pour stopper le saignement.

— T’as pas à me dire ce que je dois faire, répliqua-t-elle, non sans hargne.

Elle me poussa pour jeter les morceaux qu’elle tenait au creux de sa paume. Je me cognai dans un placard et grimaçai. Elle s’arrêta face à moi et m’adressa un rictus moqueur. C’était mérité.

— Pourquoi tu m’as embrassé ? lui demandai-je, sans réfléchir.

— Parce que j’en avais envie et je pensais que toi aussi, me répondit-elle du tac au tac. Je croyais bêtement qu’il y avait un truc entre nous, au-delà de l’amitié. Je me suis trompée, visiblement.

Elle était en colère contre moi. Ou contre elle. La connaissant, c’était contre elle. Elle avait raison, il y avait un truc. Il y avait toujours eu un truc. Mais j’avais peur et ça, elle l’avait bien compris aussi. C’était sûrement pour ça qu’elle m’avait pas encore mis à la porte. Parce que Céleste était profondément humaine, profondément gentille et incroyable. Et qu’elle croyait que j’avais nulle part où aller.

Elle me toisa de ses yeux assombris par l’obscurité, par l’énervement aussi, son pouce toujours coincé entre ses lèvres. Une goutte rouge perla sur son menton. Elle semblait me défier. J’avais aucune idée de ce qu’elle attendait de moi. À sa place, je me serais mis dehors.

— Laisse tomber. J’aurais jamais dû faire ça. Oublie, soupira-t-elle. Je ne veux pas briser notre amitié.

Quelle amitié ? Il n’y avait jamais eu de ça entre nous. On avait toujours été plus que ça. On se tournait autour depuis le premier jour. Putain que j’étais con.

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