14. Le coq

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Assis au fond de la petite salle où on faisait nos TD, je la regardais se remplir et évitais soigneusement le regard assassin de Monsieur Connard. D’après Céleste, Lydia avait porté plainte, mais il était toujours là. Soit les flics en avaient rien à branler, soit la fac cautionnait ce genre de comportement. Je trouvais ça inadmissible. La pauvre s’était recluse dans un coin, les yeux rivés sur sa table. Elle avait pas l’air rassurée, même si, d’un commun accord, un groupe d’étudiants de la promo s’était installé tout autour d’elle, comme pour la protéger. Bon, je trouvais ça un peu ridicule. Moi, personne en avait rien à branler quand il me dézinguait.

Jaloux. En plus, c’est faux. Y a Céleste. C’est toi qui l’envoie chier.

Elle était pas là, de toute façon. J’étais tout seul dans mon coin, comme d’habitude quand elle me tenait pas compagnie. Alex faisait pas partie de notre groupe. Le prof nous regardait tous d’un air mauvais. Je sentais qu’il mourait d’envie d’en tacler l’un de nous (au hasard, moi), mais il restait muet. Il devait sentir qu’il avait pas intérêt à l’ouvrir.

Il commença à parler, à faire cours, comme si de rien était. Mais personne l’écoutait, surtout pas moi. Céleste était pas là. Je comprenais pas pourquoi. Elle ne manquait jamais un seul cours. D’après elle, elle avait une mémoire auditive, elle réussissait moins à réviser en lisant, tandis qu’elle pouvait te réciter à la virgule près ce que quelqu’un avait dit deux semaines plus tôt.

J’arrivais pas à me concentrer, c’était pas faute d’essayer, mais j’y arrivais pas. C’était bientôt les vacances, ma mère tenait absolument à monter à Paris avec mon frangin pour me rendre visite. J’avais négocié pour rentrer dans le sud (vu que je m’étais pas battu depuis un moment, j’étais présentable), mais elle avait refusé. Elle avait réservé un hôtel dans le dix-neuvième et j’espérais qu’une chose : qu’elle veuille pas voir mon père, qu’elle lui demande pas comment ça se passait avec moi, bref qu’elle apprenne pas mes galères.

— Monsieur Castelle ! aboya le prof.

Je relevai les yeux de ma feuille, blanche. J’avais pris aucune note depuis une heure, je m’étais paumé dans mes pensées et y avait pas Céleste pour me rappeler à l’ordre.

— Qu’en pensez-vous ? Pourriez-vous nous éclairer de vos lumières ?

Mes lumières ? Il me trouvait con comme la Lune, je doutais que mon avis l’intéresse vraiment. Je commençais à bredouiller quelques trucs. Je savais même pas de quoi on parlait. Tous les autres me regardaient, certain avec un dédain assumé. J’allais encore me ridiculiser.

Et par miracle, la porte s’ouvrit à la volée et s’éclata contre mur sur un petit bout de femme cachée sous une montagne de livres. Je reconnus juste ses yeux, verts et bleus. Elle avait les cheveux ébouriffés, elle était rouge tomate et complètement essoufflée.

— Excusez-moi.

— Céleste. Ça ne vous réussit pas de trainer avec monsieur Castelle, visiblement.

Ouais, elle était en retard, comme moi je l’étais au moins une fois par semaine. Mais, elle, ça lui ressemblait pas. Honteuse, elle traversa la classe à toute vitesse, sûrement pour être discrète. C’était raté avec son entrée fracassante. Encore plus quand elle se prit les pieds dans le sac d’Adrien, aka le mec au harem de pétasses qui gloussaient, et en fit tomber tous ses livres. Elle piqua un fard et s’empressa de tout ramasser, avant de me fusiller du regard parce que ça m’avait fait sourire.

— Surtout, fous-toi de moi, grogna-t-elle, entre ses dents, quand elle me rejoignit au fond de la classe.

Je pouffai de rire, sans prêter attention au rappel à l’ordre du prof.

— J’ai raté beaucoup de choses ? me demanda-t-elle, à bout de souffle. Tu me fileras tes… T’as rien écrit ? T’abuses ! Je suis pas là une heure et t’en profites pour te la couler douce.

Ça avait le mérite d’être clair. Elle allait m’en parler pendant des jours, c’était sûr.

— Pourquoi t’es en retard ? l’interrogeai-je, curieux.

— J’ai passé la nuit à éponger le vomi de Sirius et ses potes, souffla-t-elle, visiblement exaspérée. Il a rien trouvé de mieux à faire qu’inviter les gars de son école de commerce, ils ont picolé comme des cons… Résultat, je crois que j’ai réussi à fermer l'œil vers cinq heures du mat’. Je n’ai pas entendu mon réveil.

— Sympa.

Sirius, c’était son petit frère. Elle m’avait raconté, un soir où on était allé au jardin des plantes et qu’on regardait le ciel, obstrué par la lumière de la ville, que son père était passionné d’astronomie. C’était pour cette raison qu’il avait appelé ses enfants Céleste et Sirius. Je trouvais ça cool comme signification. J’étais pas sûr que mes parents aient eu un raisonnement aussi poussé à ma naissance. On venait clairement pas du même monde.

— T’as écouté ce qu’il a dit, au…

— Mademoiselle Devin ! gronda le prof.

Elle se tut aussitôt, ses joues rougirent. Elle aimait pas faire mauvaise impression sur les profs. Moi non plus, mais je faisais comme si j’en avais rien à foutre. Je voulais pas passer pour un con. Enfin… Pas sûr que ce soit non plus la meilleur stratégie. Mais c’était plus fort que moi. J’avais toujours été comme ça, à jouer les ptits cons insolents. Mon père m’avait quand même vite fait passer cette sale habitude, à grands coups de lattes.

— Bon, dix minutes de pause, s’exclama le prof.

Céleste soupira, elle venait à peine d’allumer son ordinateur. J’attrapai mon portable sur ma table, prêt à foncer dans l’ascenseur pour descendre me prendre un café et fumer une clope. Je pensais qu’elle me suivrait, mais elle rejoignit Lydia et s’assit près d’elle, en lui offrant ce sourire bienveillant qui mettait tout le monde en confiance.

— Je vais le convaincre, lui dit-elle.

Et merde.

Elle allait revenir à la charge avec cette histoire de plainte. Je m’empressai alors de filer à l’anglaise, mais y avait tout un attroupement devant l’ascenseur, alors je choisis les escaliers. Quinze étages, ça me ferait faire un peu de sport, j’étais pas allé à la salle depuis une semaine.

— T’es sérieux ? s’exclama-t-elle, depuis le palier. Tu vas les remonter aussi ?

— Ouais ! criai-je, par pur esprit de contradiction.

— J’attends de voir ça avec impatience, rit-elle, avant de disparaitre.

J’accélérai le pas. Elle me cherchait. Sauf qu’elle avait pas l’air d’avoir encore compris que j’étais une vraie tête de mule. J’aurais été capable de faire à peu près n’importe quoi rien que pour lui montrer que j’étais pas une fiotte et pour avoir le dernier mot. Même si je savais déjà qu’après avoir monté quinze étages, je serai mort. Elle allait devoir me ranimer, même.

Quand j’arrivai en bas, elle m’attendait avec deux cafés dans les mains et un sourire narquois aux lèvres. J’étais essoufflé. Quelle honte !

— Je t’ai mis du sucre, tu vas en avoir besoin si tu veux pas faire de l'hypoglycémie, arrivé au huitième étage, se moqua-t-elle.

Je serrai les dents pour ne pas rire. J’aimais bien quand elle me taquinait comme ça. Elle avait de la répartie.

— Dépêche-toi, j’ai besoin de feu.

— Tu crois pas que tu pourrais te racheter un briquet, depuis le temps ?

— J’en ai un, me répondit-elle, sans oser me regarder.

Je crus même la voir rougir.

— On se met ensemble pour l’exposé ? me proposa-t-elle.

Quel exposé ? De quoi elle parle ?

— Je rêve, t’as pas entendu ? Le prof vient de le dire ! s’indigna Céleste, quand elle remarqua que je réagissais pas. On a un exposé à faire en binôme, sur un événement de notre choix. Alors, on se met ensemble ?

Je haussai les épaules. Genre, ça m’importait peu avec qui j’étais. Quel menteur ! Elle sourit, me tendit la main pour que je tape dedans, enfin ce fut ce que je fis. Elle replaça la bague qu’elle portait à l’annulaire gauche. Je l’avais oubliée, elle. Ça me faisait chier. Non pas que j’envisage quoi que ce soit avec elle, mais ça me faisait chier.

— T’es vraiment mariée ? lui demandai-je, sans même réfléchir.

— Hein ? s’écria-t-elle. T’es malade ? Qu’est-ce qui te… Ah ! La bague ? C’est qu’elle est trop petite pour un autre doigt. Je vais pas me marier à vingt ans, t’es fou !

Je hochai la tête, rassuré.

— Bon, t’es prêt à te taper tes quinze étages ? Tu devrais partir maintenant, si tu veux pas arriver en retard.

— Ça te va bien de dire ça, lui lançai, plein de sarcasme.

Sauf qu’elle avait raison. Quand j’arrivai là-haut, je crus que j’avais perdu mes poumons et la porte de la classe était fermée, à clés. Non mais ! Il se foutait de ma gueule ! Si je frappais, le prof me louperait pas. Alors je décidai de m’asseoir dans le couloir, histoire de retrouver ma respiration. Tant pis, j’aurais une absence.

— Rassure-moi, tu ne viens pas d’arriver ? railla Céleste, quand elle sortit enfin de là, avec mes affaires à la main.

— Non, mais je pouvais pas rentrer…

— Ça t’apprendra à vouloir jouer les coqs, me tacla-t-elle.

J’esquissai un sourire amusé. Vraiment, j’aimais quand elle était comme ça. Deux mois qu’on se connaissait. J’avais l’impression que c’était des années.

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