12. Un verre

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Lundi matin. Le réveil sonnait. Fallait que je me bouge, mais j’avais mal partout. Rien que m’asseoir sur mon lit fut pénible. Me mettre debout, encore plus. J’avais l’impression d’avoir été piétiné par un troupeau de gnous. Genre remake du Roi Lion. Je repensai à Céleste et son histoire de lion, à cette ride de grincheux qu’elle me trouvait entre les deux yeux. C’était peut-être ça mon destin, en fait, crever comme Mufasa. Sauf que moi, c’était pas mon frère qui orchestrerait ma mort, mais mon père.

Ça avait commencé samedi matin. Il étaitavait débarqué dans ma chambre, m’avait choppé par le bras et forcé à me relever. Il disait que j’étais une lavette, une merde incapable de se battre. Alors, je m’étais défendu. Il m’y avait forcé. Et il m’avait latté. Et durant le week-end, tout était un prétexte pour me mettre un taquet. Il avait quand même épargné mon visage, heureusement. J’avais déjà une sale gueule, s’il en rajoutait…

Debout devant ma porte, j’écoutai ce qu’il se passait dans l’appartement. J’entendais mon daron ronfler, j’étais tranquille. Je pouvais partir sans qu’il me mette la misère à nouveau. Sur la pointe des pieds, j’attrapai mon sac et partis en claquant la porte.

Poser mon sac sur mes épaules fut extrêmement douloureux. Quand un mec me bouscula dans le métro, ce fut pire que tout. Son coude, enfoncé dans mes côtes, m’arracha une grimace. J’imaginais déjà à quel point ma journée serait merdique. Avec Céleste, assise à côté de moi, qui arrêterait pas de gesticuler en s’esclaffant ou de me mettre des petits coups pour attirer mon attention.

— Hello ! s’exclama-t-elle, en claquant deux bises sur mes joues.

Je l’avais pas vue arriver, elle avait surgi devant moi, comme elle le faisait tout le temps. Et j’étais tombé sur ses yeux bizarres qui me souriaient. Moi, je faisais la gueule. J’avais qu’une envie : me coucher et dormir toute la journée, pour essayer de calmer la douleur. Mais le seul lit que j’avais était chez mon père, ça aurait servi à rien.

— Alors, t’as fini le bouquin ?

— Nan, j’ai pas eu le temps, marmonnai-je.

Elle hocha la tête et m’emboita le pas quand je rejoignis les marches du parvis. Elle avait envie de dire un truc, je le sentais à sa démarche et aux coups d’œil qu’elle me lançait. Mais elle osait pas. J’étais sûr que ça avait rapport avec le message qu’elle m’avait envoyé vendredi soir, et auquel j’avais pas répondu.

—Tu sais, je…

— Je t’ai pas répondu parce que je savais pas quoi dire, la devançai-je. Ça s’est pas bien passé, mais j’avais pas envie d’en parler. Parce qu’on se connait pas assez pour ça. Et même si on se connaissait depuis toujours, je ne suis même pas sûr que je t’en parlerais. S’il te plait, j’ai juste pas envie d’en parler.

Ok, j’aurais peut-être pu être un peu moins dur.

Elle hocha la tête et détourna le regard. Et elle n’ouvrit plus la bouche de la journée. Les sourcils froncés, elle avait fumé sa cigarette à côté de moi en silence. Les sourcils froncés, elle avait écouté les cours et pris des notes, sans rire avec Alexis. Les sourcils froncés, elle m’avait suivi jusqu’au métro, sans un mot. Je l’avais bien cherché, il fallait dire.

— T’as raison, me dit-elle tout à coup, alors qu’on s’apprêtait à entrer dans la station. Je suis beaucoup trop envahissante. Je m’en rends pas compte, j’ai jamais su trouver ma place.

Ce fut à mon tour de froncer les sourcils. Qu’est-ce qu’elle racontait ? Elle était pas envahissante du tout, elle était juste… mignonne. Et moi, j’étais un gros con qui assumait pas de l’être. Mais je voulais pas qu’elle croie que je la repoussais. Parce que sa bonne humeur et ses sourires m’étaient devenus nécessaires bien trop rapidement.

— Dis pas n’importe quoi, répliquai-je.

Je passais mon bras sur ses épaules et m’efforçai de sourire. Ses yeux retrouvèrent leur pétillant.

— Tu crois qu’on pourrait retourner au jardin des plantes jusqu’à ce que ça ferme ? balbutiai-je, presque honteux de lui demander ça.

Ça la dérangerait. J’en étais sûr. Elle avait sûrement pas que ça à faire que passer ses débuts de soirées avec moi.

— Tu veux vraiment passer trois heures sous la pluie ? pouffa-t-elle. T’es fou ! On peut aller au bar dont je t’ai parlé. C’est à Laumière. Et me dis pas que t’es en galère ce mois-ci. Je te dis que je peux t’avancer.

— Et moi, je te dis toujours que ça me dérange, répondis-je, en lui adressant un sourire en coin.

— Ça, c’est pas mon problème.

Elle me toisa de son petit mètre soixante-cinq, les mains sur les hanches. Elle croyait quand même pas me faire peur comme ça, non ? Mais elle était sérieuse. Elle n’en démordrait pas. Cette femme était incroyable. Deux minutes plus tôt, elle s’excusait d’être trop envahissante, et, là, elle me forçait la main pour me payer à boire. Et elle semblait s’en moquer. Parce qu’elle était comme ça, Céleste, elle vivait juste l’instant présent. Elle se posait pas de questions, ou elle se les posait trop tard. Elle était insouciante. Je l’enviais. Et quand elle me sourit encore, avant de dévaler les escaliers sur les fesses parce qu’elle ne regardait pas où elle marchait, je me dis qu’il fallait pas que je la fasse fuir de ma vie. J’avais besoin d’elle. En quelques semaines, elle m’avait permis de reprendre un peu espoir dans l’avenir. Et on allait passer trois ans ensemble, si je me démerdais assez bien pour pas retaper.

— Tu t’es pas fait mal ? lui demandai-je, en l’aidant à se relever.

— À ton avis, râla-t-elle.

Elle frotta énergiquement son manteau tâché par l’humidité du sol, ramassa son sac à main et se retourna vers moi, le doigt pointé sur mon nez.

— Ne me déconcentre plus jamais quand je descends des escaliers.

— Mais, j’ai rien fait ! me défendis-je.

— Hmm…

Elle grommela quelques mots inaudibles et reprit son chemin, sans m’attendre. Vraiment, elle était incroyable.

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