4. Accident de métro

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Le lendemain, on avait plus cours dans les beaux locaux de la Sorbonne, dans le quartier latin, on se retrouvait dans une espèce de vieille tour dégueulasse au milieu du XVIIIème. Ah ça faisait rêver la Sorbonne. Ça avait plus rien à voir avec les bâtiments historiques qu’on se représentait tous quand on pensait à la fac parisienne. C’était donc là, Tolbiac, l’endroit dont Céleste m’avait parlé la veille. Au moins, le seul avantage, c’était que c’était facile de s’y retrouver. Les salles portaient des numéros correspondant à leurs étages, on y accédait par les ascenseurs, tous au même endroit et les étages étaient pas si grands.

De ce que j’avais compris, on allait vite être répartis en groupes de TD. Je savais pas trop ce que c’était, un TD, mais bon. Mais en attendant, on continuait les cours en amphi, à deux-cent. Dans les couloirs, les gens me regardaient tous d’un air bizarre. Je détestais ça. J’avais juste l’impression de pas être à ma place, alors que bordel, je la méritais.

— Eh ! Tu t’es trompé, hein, ricana un espèce de ptit con qui faisait le fier devant les pétasses.

Je haussai un sourcil. De quoi il me causait, lui ?

— C’est pas un ring, ici, se marra-t-il.

Très drôle. Dis-moi, t’as fait l’école du rire, toi ?

Je serrai les poings sous la table. Lui, il allait pas falloir qu’il me cherche trop non plus. Parce qu’autant j’avais décidé de pas spécialement m’intéresser aux gens qu’il pouvait y avoir dans la promo, parce que j’avais pas besoin de distraction, autant s’il me faisait chier il pouvait se manger une droite. Enfin fallait pas que je commence à me battre à la fac, ça me foutrait dans la merde.

Toute la journée, je cherchai des yeux la petite meuf aux yeux bizarres, mais je la trouvai jamais quand je sortais fumer sur le parvis. Et je ne l’aperçus dans l’amphi qu’en fin de journée, alors que tout le monde se précipitai dehors. Moi, je trainai les pieds. J’avais pas spécialement envie de rentrer dans mon hôtel miteux dans lequel je m’ennuyais sévère.

Mon casque vissé sur les oreilles, je suivis la masse d’étudiant jusqu’au métro le plus proche. Je devais être le seul con à être tout seul, isolé dans ma bulle, alors que les autres étaient entre potes et se marraient. Perdu dans les méandres de mon téléphone, à la recherche d’un vieux texte que j’avais écrit huit mois plus tôt, et que j’avais soudain envie de rebosser, je faisais pas vraiment attention à ce qu’il se passait autour de moi. J’aurais peut-être dû.

Un rire aigü retentit à côté de moi. Et boum. Je vacillai sous l’impact. La meuf, elle, se retrouva le cul par terre. Je lui prêtai même pas attention, à cause d’elle, mon téléphone venait de faire un vol plané sur les rails. Et le métro arrivait.

Putain ! Mais elle est conne ! Elle peut pas regarder où elle marche ?

— Pardon, s’exclama-t-elle, d’une voix désolée.

Ouais bah c’était pas ses excuses qui allaient faire revenir mon portable, qui connut une mort certaine à l’instant où le métro s’arrêta devant nous. Je fermai les yeux une seconde et pris une profonde inspiration.

Reste calme.

Je serrai les poings à m’en faire mal. J’avais un sérieux problème de colère. Fallait que j’apprenne à gérer ça, parce que je sentais que j’avais envie de tout péter autour de moi, là. Fallait que j’aille taper sur un truc. Mais j’avais pas de combat ce soir. Tant pis j’irais à la salle.

— Je suis vraiment désolée… Je…

— C’est bon, laisse tomber, maugréai-je.

J’entrai dans la rame sans faire gaffe à elle. J’avais même pas envie de la regarder ou de lui parler. Seulement, elle me suivit et attrapa mon bras. J’avais même plus de musique pour faire comme si je l’entendais pas. Alors, je me retournai, prêt à lui dire d’aller se faire foutre.

Et je tombai sur un œil vert émeraude et un autre noisette. Céleste. Elle grimaçait de honte. Putain, fallait que ce soit elle. La main toujours posé sur mon bras, elle resserra sa prise au premier virage un peu brutal.

— Je peux t’en repayer un, si tu veux. C’est de ma faute, j’aurais dû…

— Nan. Merci.

Plus sec, tu meurs.

J’avais pas besoin de sa pitié. Et j’étais saoulé, c’était pas le moment de me chercher, j’allais démarrer au quart de tour. Fallait vraiment que j’aille taper sur un truc. Si j’avais encore mon téléphone, j’aurais peut-être même appelé Vadim pour qu’il me fasse rentrer à l’usine ce soir. Mais j’en avais plus, alors un sac de frappe ferait l’affaire. Et, au moins, lui me mettrait pas KO.

— Désolée, répéta-t-elle, en baissant les yeux.

Peut-être que j’avais été trop froid, mais elle faisait chier aussi ! Sa main avait quitté mon bras. Pourquoi il avait fallu que ce soit elle ? Fallait bien avouer qu’elle m’avait tapé dans l'œil au premier regard, mais si j’avais été un tombeur quand j’étais plus jeune, mon père m’avait fait perdre toute confiance en moi. J’aurais dû engager la conversation hier, mais je l’avais pas fait, parce que je savais pas quoi lui dire. Toute la journée, j’avais essayé de la croiser, mais elle avait été introuvable. Et il avait fallu qu’elle me rentre dedans et éclate mon portable. Maintenant, j’arrivais plus à savoir si j’avais envie de lui encastrer la tête dans un mur ou de lui rouler une pelle, juste pour voir ce que ça faisait.

— C’est bon, il était mort, de toute façon, mentis-je.

En vrai, je venais de l’acheter. Mais il me restait encore un peu de thune de côté pour m’en payer un autre. Ça allait juste empiéter sur mon budget hôtel et précipiter mon retour chez mon daron. Bordel, je la détestais de m’avoir fait ce coup-là Mais elle avait l’air de tellement s’en vouloir que j’abdiquais.

Elle resta silencieuse, ses yeux chelous fixés sur ses chaussures, en équilibre pour ne pas tomber à la moindre secousse. Seulement, quand il y en eut une plus forte que les autres, elle se raccrocha à moi à l’instant où j’attrapai son bras pour la retenir alors que je la voyais vaciller vers l’arrière.

— Je descends là, me dit-elle, en arrivant à Laumière. À demain. Et encore désolée… je t’assure. Je trouverai un moyen de me faire pardonner.

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