2. Rentrée universitaire

5 minutes de lecture

J’avais profité de ma première semaine loin de mon géniteur pour me retaper un peu. J’avais réussi à négocier avec Vadim. Enfin, me retaper… J’avais passé mon temps à la salle de sport, à bouffer et à dormir, en fait. Mes bleus tournaient lentement au vert. Je passais du grand Schtroumpf au bonhomme Cételem. Cool. J’allais bientôt les remplacer par de nouveaux, de toute façon. J’avais jamais le temps de guérir complètement. Fallait vraiment que je me bouge le cul, parce qu’à ce rythme-là j’en étais sûr, je passerais pas les quarante ans.

Ce soir, j’avais plus le choix, Vadim m’avait mis en cote. J’avais quand même retrouvé la forme. J’étais chaud. Le premier gus qui tenta de me battre repartit avec deux dents en moins. Le deuxième avec le nez pété. Boum, quatre cents balles de plus.

Toute la semaine, je ne fis que ça. Combat la nuit, entrainement le jour. Je devais gagner et esquiver un max les coups, pour pas avoir une sale gueule à la fac. Arrivé à deux jours de la rentrée, j’avais réussi à me faire presque deux-mille balles. J’en avais claqué un peu dans un ordi et des fringues, histoire de pas avoir l’air d’un cassos, et le reste me permettait d’être à l’abri un mois et demi. J’osai même pas imaginer comment mon daron serait furax le jour où je reviendrais parce que j’avais plus de thunes. Il me dirait encore que, chez lui, c’est pas un hôtel. Sans blague ! Dans les hôtels, on te massacre pas à coups de batte pour une fourchette mal rangée.

Quand je m’effondrai dans mon lit, après mon dernier combat, je grimaçai. J’avais gagné, mais le mec m’avait bien amoché. Je m’attendais à voir mon dos se parsemer de bleu, de violet et de rouge d’ici le lendemain. Mon œil droit avait mangé aussi, j’étais reparti quasi borgne.

J’allais faire le plus bel effet à la fac… Moi qui voulais être discret. J’avais qu’une peur, en fait, c’était qu’on découvre que je me battais illégalement, qu’on découvre que mon père me mettait la misère, bref qu’on se rende compte à quel point j’avais pas ma place dans une université, à quel point je valais rien. Si j’arrivais à la rentrée avec cette tronche, ça partait mal.

Mes derniers jours de tranquillité, je les passai affalé dans mon lit, dans cette chambre miteuse où j’étais sûr d’avoir vu un cafard, mais c’était l’hôtel le moins cher que j’avais trouvé. J’avais dormi, beaucoup, pour rattraper mon manque de sommeil, et j’avais passé mon temps à mettre de la glace sur mes “blessures”. Enfin, j’étais pas sûr de pouvoir appeler ça comme ça. Parce que tant que je pissais pas le sang et que je tenais debout, c’était que j’étais pas blessé. Un hématome, c’était rien.

Enfin, rien… Quand je me réveillai, le lundi matin à six heures pour être à la fac à l’heure, je le sentis tout de même passer. Surtout quand, dans le RER B bondé de monde, je me fis bousculer par une vieille conne avec une énorme poussette qui prenait toute la place. Et à cause d’elle, le café que je m’étais offert à la boulangerie du coin de la rue avait fini sa course sur mon t-shirt blanc.

Génial. En plus d’avoir une sale gueule, t’es un crasseux.

Pas même une excuse. Mais quelle salope ! En plus son gamin arrêtait pas de hurler et de me donner des coups de pieds dans le tibia, sans compter sur le deuxième, qui était debout à côté de la poussette et me marchait sur les pieds à la moindre secousse. Ça avait de quoi mettre de bonne humeur, un lundi matin.

Résultat, quand j'arrivai devant le grand bâtiment de la Sorbonne, j'étais encore furax. Y avait des centaines d'étudiants qui se pressaient dans la cour d'honneur, qui se saluaient, discutaient, riaient. Et puis y avait moi et ma sale gueule, qui connaissait personne. Remarque je devais pas être le seul. Y en avait bien quelques uns qui venaient pas de Paris et qui avaient aucun potes là.

Je regardai mon portable. Je devais aller dans l'amphi je sais pas quoi. J'avais aucune idée de l'endroit où c'était. Elle était immense cette fac. Je parcourus les couloirs de long en large, mais au bout d'une heure, toujours impossible de trouver ma salle.

En plus d'être une petite merde, je suis pas foutu de me repérer dans un bâtiment. Quelle honte !

Heureusement que j'étais arrivé en avance. Enfin du coup, j'étais quand même en retard. Ça la foutait mal pour un premier jour. Désespéré, je demandai de l'aide au premier mec que je croisai. J'avais essayé de demander à deux meufs avant lui, mais elles avaient baissé la tête et tracé leur chemin comme si j'étais pas là. Je croyais même les avoir entendues glousser après. Elles se foutaient de moi et se demandait ce qu'une racaille dans mon genre faisait là. Ça commençait bien, vraiment. J'avais déjà envie de me casser. Mais entre supporter les remarques de ces connes et celles de mon père, le choix était vite fait.

— Là, tu vas au bout du couloir, tu tournes à droite, puis à gauche et c'est en haut de l'escalier, m'indiqua-t-il.

— Merci, marmonnai-je, alors qu'il me dévisageait.

J'attendis rien de plus et me taillais en trottinant. Ça faisait putain de mal. Mais j'arrivai enfin. L'amphi était blindé et tout le monde se tourna vers moi quand la porte grinça. Le prof me fixa d’un œil plein de mépris. Il cherchait à faire de la concurrence à mon daron, ou quoi ? Y avait plus un bruit dans la pièce. J’osais même plus bouger. Et le mec en rajouta une couche en me gratifiant d'une remarque cinglante.

— En retard le premier jour, bravo monsieur…

— Castelle, marmonnai-je.

Je serrai les poings. La mâchoire contractée, je me retins de lui rétorquer qu’ils avaient qu’à faire des plans dans leur fac de merde. De toute façon, il devait pas avoir besoin d’aide pour s’y retrouver, vu sa gueule, il devait être là depuis la fondation de la Sorbonne.

— Je n’ai pas entendu, insista-t-il.

Je levai les yeux au ciel. Il se foutait de moi ! Moi je voulais juste rentrer et m’asseoir, discrètement, mais lui, il faisait perdre du temps à tout le monde.

— Castelle, répétai-je, plus fort. Mikaël.

— Eh bien, Monsieur Castelle, si vous voulez bien nous faire le plaisir de vous joindre à nous. À moins que vous préfériez aller vous battre avec...

Mais ta gueule !

Quelques étudiants ricanèrent, d'autres me regardaient ou fixaient le prof avec curiosité. Alors je me fis pas plus remarquer et m'assis tout au fond, solo. Et le prof reprit son blabla. Il expliquait comment se passerait la journée. Au début j'écoutais à fond, mais au bout d'un moment c'était long. Très long. J'avais besoin d'une clope. Et d'un café. Mais le prof s'en foutait de ça, même si ça commençait à s'agiter sévère dans l'amphi. Il continuait. Alors, moi, je décrochai et regardai tout autour de moi. La plupart des gens ici sortaient à peine du lycée, ils avaient l'air hyper jeune. Devant y avait un petit groupe qui semblait un peu plus âgé, mais ils dégageaient pas vraiment de sympathie. J'allais être bien seul cette année.

Annotations

Vous aimez lire Elora Nipova ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0