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J’y avais longuement réfléchi. Le seul moyen de m’émanciper de mon père, c’était de me construire un avenir. Je pouvais pas finir simple serveur dans un MacDo, ma mère aurait pas compris. J’étais parti faire des études, il fallait que je les fasse. Alors, je m’étais bougé le cul, après une énième défaite. Si j’échouais même dans le truc que je savais le mieux faire… De toute façon, foutu pour foutu, autant essayer. J’avais tout perdu dans tous les cas.

Contre toute attente, ma candidature avait été acceptée. J’allais en fac d’histoire. Je savais pas trop ce que j’allais y foutre, mais j’apprendrai des trucs et au moins, je serais loin de chez moi toute la journée.

— Mikaël ! gronda mon père, en rentrant du taff.

Combien de fois j’avais eu envie de fermer à clé pendant son absence et plus jamais lui ouvrir ? Mais je le connaissais, il aurait été capable d’enfoncer la porte et j’aurais pris cher. Je m’y étais même pas risqué.

— Amène-toi ! cria-t-il.

Je soupirai. J’avais passé la journée à agoniser dans mon lit, épuisé par la raclée que je m’étais pris la veille. Je me demandais même si l’autre gars m’avait pas pété une côte, ou un truc dans le genre. Quand j’avais croisé le miroir de la salle de bain, je m’étais fait peur. Je ressemblais plus à rien. Si ma daronne me voyait…

— C’est quoi, ça ? s’énerva-t-il, en brandissant un courrier.

Merde. La fac. À tous les coups.

Ça avait pas loupé. On m’envoyait ma carte étudiant et mon certificat de scolarité. J’avais oublié de checker la boite aux lettres. De toute façon j’avais déjà du mal à traverser l’appartement alors descendre les six étages sans ascenseur, ça me paraissait insurmontable.

— Je me suis inscrit à la Sorbonne.

Il éclata de rire.

Connard.

D’après lui, j’étais qu’une merde tout juste bon à ramasser d’autres merdes de clébards dans les rues. Et c’était mon père. Vraiment, je me demandais ce que j’avais pu faire pour mériter ça. Comment ma mère avait pu se mettre avec un mec pareil ? Elle avait vécu longtemps avec lui en plus, avant de finalement se rendre compte qu’il était con. Pas assez pour comprendre qu’il était violent avec ses enfants, apparemment, sinon elle m’aurait pas envoyé chez lui.

— En fac d’histoire ? se marra-t-il. Mais mon pauvre gars, t’as rien compris à la vie, toi.

Je serrai les poings. Putain que j’avais envie de lui péter la gueule. Mais rien que ce petit mouvement me fit grimacer de douleur. Il en profitait. Il savait que j’étais trop faible après un combat, alors il faisait tout pour me mettre en rogne. Et il attendait qu'une chose, que je réplique, pour lui servir de punching ball. Sauf que lui il était pas du genre à se battre à la loyale. Les rares fois où je me rebellais, il me finissait à coups de batte. Alors je la fermais. De toute façon il avait pas besoin de raison pour me foutre une raclée. C'était la honte, non ? Un mec de vingt ans qui peut prendre tous les mecs les plus tarés de Paname et qui flippe devant un mec de cinquante piges. Sauf que le mec de cinquante balais, c'était mon daron, qu'il était champion de boxe, qu'il me détestait et qu'il pouvait me briser en un claquement de doigt. J'avais trop peur pour me défendre. Trop peur pour me barrer. J'étais pris au piège.

— C'est bon, t'as fini ? maugréai-je.

— Tu t'es encore fait péter la gueule hier, remarqua-t-il, un rictus narquois aux lèvres.

Il jubilait de me voir souffrir comme ça. Putain, mais qu'est-ce que ma mère avait bien pu lui trouver ? Y avait une autre raison pour laquelle je pouvais pas rentrer à Marseille : avec ma sale gueule amochée, elle comprendrait que je me battais. Elle penserait que j’étais comme lui. Je pouvais pas en parler à mon frère non plus, il aurait tout cafté.

— Avec tes coups de fillette, aussi, se marra-t-il.

Putain, tu veux y goûter aux coups de fillette ?

Je serrai les dents.

Aïe.

Fallait pas que je me laisse tenter. Je me souvenais de ma mère qui me disait qu'il fallait ignorer les cons, que ça servait à rien de leur taper dessus, quand j'étais au collège. Mais putain, c'était tentant !

Il continua à me casser les couilles comme ça pendant encore bien trente minutes. Puis il se cassa. On était mardi. Le mardi, il allait voir sa pute. J'étais tranquille. Alors je retournai me coucher, agoniser dans mon lit, plus vénère que jamais.

Faut que je me barre d'ici.

Mon téléphone sonna. C'était Vadim, le mec qui me trouvait mes combats. On pourrait dire que c'était mon mac'. J'avais pas trop le choix, quand il m'appelait, je devais rappliquer. Que je sois en forme ou non. Et vu mon état s'il me faisait bouger ce soir, j'allais me faire démonter. Mais en même temps, vu ma cote, si je gagnais, j'allais me faire un paquet de fric.

Alors j'enfilai les premières fringues que je trouvai par terre. Je grimaçai de douleur. C'était mal barré. Je me traînai dans la salle de bain. Y avait du Voltaren quelque part. Je m'en badigeonneai les épaules. Ça me calmerait au moins le temps que j'envoie quelques droites, l'adrénaline se chargerait du reste après.

Durant tout le trajet, je fus tenté de faire demi-tour. J'avais pas envie, putain. Dire que j'avais commencé à me battre parce que ça me faisait me sentir fort, pas comme la merde que j'étais face à mon père. Maintenant même pour ça, j'étais une fiotte.

Quand j'arrivai à la vieille usine, l'ambiance était électrique. Y avait un gringalet qui avait réussi à battre le géant de la dernière fois. Mon ego en prit un coup. Et du coup, Vadim voulait que je me le fasse. Enfin s'il avait réussi à avoir l'armoire à glace, moi je ferais pas le poids. Mais j'avais pas le choix.

Je me retrouvai propulsé au milieu des connards surexcités. On se foutait de moi. Vu ma gueule. , les traces laissées par le géant, je faisais peur à voir. J’avais déjà du mal à tenir debout alors me battre. Puis, le gars en face avait quasi aucune séquelle du combat d’avant. Il était en pleine forme. Et super vif. J’étais dans la merde. J’allais me faire baiser. C’était foutu.

Le mec me tournait autour, il lançait quelques coups, mais je les esquivai facilement. Lui aussi, quand je l’attaquais. Sauf que moi, je commençais à fatiguer, pas lui. Il était en train de m’épuiser. C’était sûrement comme ça qu’il avait eu le colosse. Vu mon état, j’allais pas tarder à m’en manger une, je le sentais gros comme une maison.

Sauf que par je ne sais quel miracle, quand il lança son poing contre mon menton, je décalai sur la gauche, attrapai son bras et lui envoyai un coup de genou dans le bide. Il tomba, raide. Bah ouais, il était enflé comme une allumette, il avait rien pour amortir. Moi toujours debout, lui plié en deux par terre, je le regardai, effaré. Qui aurait cru que je gagnerais ce soir. J’avais rien pour. Mais… je venais de me faire six-cent balles. Ça me mettait à l’abri pour deux semaines. Jusqu’à la rentrée universitaire.

J’avais gagné, bordel !

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