Chapitre 10 — Avancer

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Assis devant la tombe de Paul, Lydie et moi semblaient immergés dans nos pensées. Je lui pris la main le plus tendrement possible.

« Le brouillard s’est levé, annonça-t-elle d'un ton monotone, comme pour tromper le silence.

— Oui, confirmai-je. Le brouillard s’est levé… ou alors, une fusée a décollé.

— Une fusée ? s’étonna-t-elle. Tu as encore perdu la tête ?

— Non, rétorquai-je. Je crois que je viens de la retrouver. »

Nous nous tûmes un instant. Plus soudés que nous ne l’avions jamais été. Je la regardais longuement, alors qu’elle ne bougeait pas. Elle n’avait pas vraiment changé depuis qu’elle avait quitté la maison, l’année dernière. Même si la tristesse marquait toujours son visage. C’était comme ça depuis la mort de Paul, après tout.

« Ça a fait sept ans hier, sanglota-t-elle. Et j’ai l’impression qu’on en est toujours au même point, tous les deux. »

Elle s’agrippa fermement à ma main lorsqu’elle me confia cela. Elle avait raison. Nous n'avions pas évolué. Nous avions même reculé. J’avais cependant l’impression que j’étais enfin prêt à faire face à cette situation.

« Où dors-tu ? lui demandai-je.

— Chez ma sœur. Depuis un an. »

Chaque silence semblait m’apporter mon lot de réflexion. Nous restions muets face à Paul. Tous deux vides à l’intérieur. Incapables de répondre au sourire qu’il affichait sur sa photo funéraire. Un sourire passé face à une tristesse présente.

Nous n'étions que deux fantômes contemplant le souvenir de la vie.

Il était temps de réagir. Je voulais changer la donne.

« Et si on avançait ? osai-je, un sourire au coin des lèvres.

— Avancer ? »

Me regardant droit dans les yeux, elle reprit.

« Ton visage, René…

— Quoi, je n’ai pas le droit de sourire de temps en temps ? la questionnai-je, amusé.

— Mais non, voyons ! Ton visage, il est tout sale ! »

Elle le nettoya, avec un mouchoir, puis éclata de rire.

« Je n'y arrive pas, sourit-elle. J'ai étalé toute la boue sur ta joue. Qu’est-ce que t’es encore parti faire, et depuis quand tu traînes dehors ? »

Nous nous esclaffâmes. C’était comme si la vie avait repris ses droits.

Dans le ciel, la fusée des minis s’élevait à travers les nuages.

Une nouvelle pluie tomba abruptement. Je sortis les parapluies de Ghislain, faute de mieux.

« Il pleut des gouttes grosses comme des smarties », commentai-je en lui tendant l’objet minuscule.

Elle le prit entre deux doigts, incompréhensive. Elle l’ausculta.

« Ce ne serait pas ma culotte ? s’écria-t-elle.

— Oh, ça… c’est une longue histoire », conclus-je.

Nous nous couvrîmes sous deux petits parapluies avec amusement. Trempés une nouvelle fois.

« Paul me manque, sanglotai-je. Je me souviens du jour où l'on m'a annoncé son décès. Le téléphone, je jurerais qu'il avait une tonalité étrange. C'est comme si j'avais compris que quelque chose de terrible était arrivé avant même de décrocher. Et puis, d'un coup, mon monde s'est effondré. Je n'ai pas su affronter la vérité. Je n'ai pas été facile à vivre, après ça. Je comprends que tu sois partie...

— Qu'est-ce que tu racontes, René ? C'est toi qui m'as demandé de partir. Tu m'as pratiquement mise à la porte...!
— Je sais, je sais... Je suis désolé, Lydie. J'espère que tu me pardonneras. J'ai préféré tout rejeter. Tout oublier. J'ai préféré vivre dans le mensonge. J'ai eu tort. J'ai cessé de marcher, de lever la tête. Aujourd'hui, je ne veux plus que cela se reproduise. »

Avancer, avais-je dit. Je ne me lamenterai plus.

Je répondis au sourire de Paul, sur la photo que je n'avais pas quittée des yeux. Puis nous quittâmes cet endroit. Nous retournâmes chez nous pour avancer.

Les minis avaient disparu, ils laissaient un vide en moi, mais ils m'avaient appris à apprécier l'existence que je menais.

Avec Lydie à mes côtés, et avec le souvenir bien vivant de Paul, je n'étais plus seul.

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