Chapitre 5 — À la guerre comme à la guerre

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Devant nous, la ligne des parapluies préparée par Ghislain regorgeait de couleurs. Tous avaient été confectionnés avec les dessous et les collants de ma femme. Ainsi, lorsque j’en observais un, j’essayais de me rappeler de quel sous-vêtement il s’agissait.

Hector se confia pendant que le reste de la troupe se préparait à sortir de l’appartement.

« Je suis désolé pour ce dérangement, précisa-t-il en me coupant de mes pensées. Nous nous sommes réfugiés chez toi, car nous avions peur des grosses bêtes qui nous pourchassaient dehors. Nous avons été faibles. Notre magicien, Roger, était censé nous conduire facilement vers l'objet que nous cherchions. Malheureusement, il semblerait que son pouvoir de détection ait flanché dès que nous sommes entrés dans l'atmosphère terrestre. Un coup dur, pour nous qui avons l'habitude de nous reposer sur ses talents soi-disant hors-pair. Mais, aujourd’hui, c’est décidé, nous allons nous battre ! L’enjeu est de taille. Nous bataillerons jusqu’au bout, comme nous l’avons toujours fait pour préserver notre race !  Une Hypotheasea Luminis se cache près d'ici, et nous allons la trouver. »

Son ton sévère tranchait avec sa décontraction habituelle. Je me méfiais toutefois de lui. En un clin d’œil, il aurait été capable du pire. Je me demandais même s'il ne préparait pas un mauvais tour, avec tous ces vêtements traficotés.

Alors qu'il attendait une réponse de ma part, j’énumérais les différentes matières trônant sur les parapluies : satin rouge, légèrement transparent — l’ensemble des grands soirs — ; dentelle jaune, rembourrée — un soutien-gorge que je n’aimais pas trop — ; polyester tout froissé — un haut de mauvais goût transformé en chiffon.

« Est-ce que tu m’écoutes, au moins ? » vérifia Hector, impatient.

Lin noir, délavé — un pyjama tellement vieux que je l’avais presque oublié — ; soie rose, éblouissante — sa chemise de nuit préférée — ; nylon, noir et craqué — probablement un collant usé.

« Hey ho ! » s’exclama Hector, après m’avoir sauté au visage.

Il tenait ma paupière dans sa petite main pour être certain que je le regarde. Il semblait furieux.

« Tu m’écoutes quand je te parle ? ronchonna-t-il. Pourquoi tu regardes les parapluies ? Ta femme est partie, maintenant, alors tu n’auras plus besoin de tout ce qui traîne ici. On s’en est servi pour la préparation du matériel adéquat à notre grande épopée.

— Le matériel adéquat…, répétai-je, bien que plongé dans mes souvenirs. Mais de quel matériel parles-tu ? »

Je prenai enfin le train de la conversation.

« Bah, de l’attirail nécessaire à tout bon chevalier, tel le Vénérable César ! » lança-t-il avec aplomb.

Il mima un salut militaire, avec un air grave mal maîtrisé, laissant transparaître un sourire difficilement retenu. Il se retint d’éclater de rire. Quelle drôle de bestiole, celui-là !

Les minis apportèrent, au fur et à mesure, un ensemble d’armures et d’équipement qu’était vraisemblablement en train de traficoter Ghislain avec une rapidité déconcertante. Pourtant, nous n’étions rentrés chez moi que depuis une heure, tout au plus, et je venais à peine de le quitter des yeux.

Des lances et épées colorées à la pointe effilée, taillées dans des bouts de plastique ou d’armatures de soutien-gorge, rejoignaient les parapluies sur la table de la salle à manger. Des arcs en bois, dont les flèches ressemblaient à de simples cure-dents, s’empilaient de-ci, de-là, tout comme de minuscules gants confectionnés avec… je dirais... des préservatifs. Je me demandais où il avaient trouvé ça...

Pour couronner le tout, Ghislain amena seize casques colorés qui provenaient, à coup sûr, des anciens jouets de Paul ; moi-même, je ne me souvenais pas les avoir conservés ici.

Mes objets anodins du quotidien devenaient une panoplie de guerre. C’en était à la fois amusant et déconcertant.

Les minis furent prêts en quelques secondes. Une détermination sans faille se lisait dans leurs regards. Bien que leur arsenal fût plutôt comique, une certaine tension chargeait l'atmosphère. Tels des gladiateurs, ils se préparaient à entrer fièrement dans l’arène.

Je fus épaté, une fois de plus.

Ils établirent un itinéraire sur un plan des environs qu’ils avaient chapardé Dieu sait où, chuchotant entre eux, tels des enfants préparant une mauvaise plaisanterie. Moi, je détestais les blagues d’enfant. Paul m’en avait assez fait voir comme ça. Sa dernière en date : me demander si j'avais un jour entendu parler d’une certaine maison de repos nommée Le clos des Libellules. Je lui en aurais foutu, moi, des Libellules…

En ce qui concernait cette recherche de plante, j’avais bien une idée en tête sur une méthode plus simple et efficace de procéder, mais je ne voulais pas déranger les minis en pleine réflexion.

« On va ratisser les lieux selon ce plan ! cria Hector en brandissant une lance (celle-ci heurta son casque par inadvertance).

— Une Hypotheasea Luminis se cache près d’ici, clama Ghislain, qui accourait vers nous en sautillant. Je le sens !

— Ghislain le sent ! ajouta Hector, soulevant son casque qui lui recouvrait la moitié du visage. Et tout le monde sait que Ghislain a un bon odorat !

— Oui, le meilleur d’entre tous ! confirma Luma.

— Alors, nous suivrons Ghislain et trouverons la fleur qui sauvera Carole ! » termina Hector.

Sa lance tomba sur les parapluies, les éparpillant et s'effondrant sur les armes posées sur la table. Elles roulèrent puis tombèrent à terre, causant un boucan d'enfer.

Un horrible mal de crâne s’immisça en moi instantanément. Ou alors, un mini tambourinait l'intérieur de celui-ci et je ne m'en étais pas rendu compte.

« Ça suffit ! beuglai-je, intensifiant ma migraine naissante de ma propre voix. Pas besoin d’autant de cérémonies et de discours pour retrouver une simple fleur ! Des fleurs, ici, on en a plein. De toutes les sortes, de toutes les couleurs. Y a qu'à piquer une tête dehors pour s'en rendre compte. En plus, ma femme étant une experte en la matière, j'en connais un rayon ! Et si vous voulez trouver votre foutue Hypothes... votre Hypothéasia…. votre…

Hypotheasea Luminis ! » souffla Luma avec dédain.

Elle secoua en même temps un parapluie pour le débarrasser d'une fine couche de poussière. Après avoir étouffé un rire moqueur, elle toussa. Bien fait pour elle, pensai-je. Je poursuivis en haussant le ton :

« Peu importe le nom de votre satanée fleur ! Sur Terre, quand on cherche une plante, il existe un moyen très simple de la trouver. Pas besoin de trafiquer toute cette ribambelle de culottes et soutien-gorge ! »

Les minis s’attroupèrent, tout oreilles. Ils manifestaient néanmoins une sorte de pessimisme dans leur regard ; comme s’ils plissaient les yeux pour mieux vérifier la véracité de ce que j’allais leur raconter.

« Sur Terre, quand on cherche une fleur… », repris-je.

Roulements de tambours dans ma boîte crânienne. Silence. Visages incrédules.

« Quand on cherche une fleur, on va voir un fleuriste ! »

Voilà, c’était dit. La fanfaronnade prenait fin. Tout redevenait presque normal.

Enfin, je l’espérais…

À terre, je remarquai un bouclier translucide, en résille ; je me souvenais d'une nuit lointaine et coquine, durant laquelle j'avais peu dormi.

Je consentis un léger sourire. Les minis, par mimétisme, en firent autant.

« Cette fois c'est décidé, conclut Ghislain. À partir d'aujourd'hui, pour sauver Carole et notre bébé qui va naître, nous rechercherons un fleuriste ! »

Je cochai sur le plan l'adresse de la boutique attitrée de ma femme. Elle y avait acheté toutes nos plantes, à l'époque où nous vivions ensemble.

Je priais pour ne pas la croiser sur mon chemin.

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