- VII -

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L'horreur qui le submergea, il n'aurait su la décrire. Un Avatar les avait attaqués : qu'est-ce que cela signifiait ? De quel maléfice venaient-ils d'être frappés, pour que la colère divine s'abatte sur eux ? Dans le besoin, Zyr voulut s'adresser à la chasseresse, toujours occupée à surveiller l'état du Rokh. Mais il ne put formuler sa question que Sünghya le prit de vitesse :

  • Ne dérange pas Irya pour le moment ; je peux répondre à sa place.

Déconcerté que le monstre puisse prendre parole, l'érudit le fut davantage en constatant que jamais il ne bougea ses lèvres. Pourtant, la voix du Karan semblait si proche, si humaine... Cela ne ressemblait en rien à de la télépathie et, malgré Zyr, l'impression que cela offrait le dérangea.

À peine il acheva cette pensée que le monstre leva les yeux au ciel, montrant qu'il avait lu en lui.

  • Depuis le début, je parle ainsi. C'est plutôt rassurant que mon leurre marche si bien ; après tout, nous, Paàrgas, sommes interdit de nous exprimer dans votre monde.
  • Oh ! Eh-Eh bien, non, bredouilla l'ancien, anxieux de s'être montré impoli. Je... je sais que les créatures des ténèbres ne peuvent communiquer dans ce plan. Mais... la veille, je vous voyais intéragir si aisément...
  • À la place de votre Régent, Irya m'y autorise. En ce moment même, elle m'offre sa permission pour parler avec toi.

Avant de poursuivre, Sünghya changea sa posture, à la recherche de confort. Il se reposa sur son côté gauche, pattes croisées. Involontairement, il mit à la pleine vue de Zyr les dessins d'ivoire qui les gâchaient.

  • Une longue histoire, et là n'est pas le sujet. Quoiqu'il en soit, cela ne me rend pas la capacité d'interagir réellement. Même dans mon état d'Asura, je ne fais que donner l'impression de parler, c'est tout. Il ne me faut pas beaucoup de magie pour créer l'illusion d'une voix. Ensuite, avec un peu de concentration, remuer la bouche en rythme n'est pas si difficile, et l'habitude prend racine. Mais bon, cette astuce fonctionne moins bien sous ma forme actuelle...

oOo

Le monstre continua de parler, et parler encore, de ce qui l'aidait à maintenir le sort, ou au contraire à le rendre plus instable... pleins de petits détails semblant assez superflus et hors du contexte. N'osant pas l'interrompre, Zyr s'obligea d'écouter, sans comprendre la raison derrière son bavardage, lui qui était il y a peu silencieux. Toutefois, le point positif était qu'à force de l'entendre, le Dryun se faisait progressivement à ce moyen de communication ; mieux, tout en apprenant, le vieil homme se sentait moins bouleversé par les récents événements.

Il en vint à se demander si c'était là le véritable but du Karan, distillant un sort invisible à travers son discours. À croire que oui car, en vérifiant à tout hasard le moral des siens, il les surprit à suivre également le cours improvisé que tenait celui qui les terrifiait autrefois.

Ce n'était au début que quelques uns, poussés par la curiosité. Puis une dizaine, et enfin, la quasie totalité des villageois présents s'accrocha à son monologue. La plupart ne comprenait pas totalement ce qu'il se racontait ; qu'importe. Le ton seul que Sünghya possédait leur suffisait. Envoûtant, il agissait comme un baume apaisant les plaies de leurs cœurs.

Peu à peu, leur peur diminua ; pas complètement, mais à la fin, suffisament pour qu'elle ne les oppresse plus autant.

C'est là, et seulement là, que Sünghya décida de s'arrêter.

Dans un souffle rauque, il se releva de toute sa hauteur, dominant le village. Cependant, il ne déclencha aucune panique. Même les gardiens ne réagirent pas, leurs armes abandonnées à leurs pieds. Tous le considéraient avec le respect que l'on attribuait qu'à ceux du Grand Panthéon. Baigné dans les Dernières Flammes qui paraissaient embraser sa crinière et sa fourrure toute entière, Sünghya était entouré d'un halo royal.

Il contempla longuement son auditoire captivé, avec une douceur que nul ne pouvait nier, et profita du charme qui s'exerçait sur eux pour s'exprimer :

  • J'espère ne pas vous avoir trop ennuyé, et que je n'ai pas donné l'impression d'être indifférent à votre sort, mais je devais faire cesser vos pleurs et votre misère. Apprenez que jamais rien de bon ne sort d'un amas de sentiments négatifs, surtout dans un lieu récement souillé. Vous, humains, malgré votre faiblesse, n'imaginez pas la force de vos émotions. Tristesse, ressentiment, colère ; tout cela attirent inexorablement le mauvais sort. Alors, bien que plongés dans un piège vous semblant inextricable, essayez plutôt l'espoir. Peut-être qu'ainsi, le soleil percera les nuages de malheur, et vous guidera à travers la noirceur.

Il prit une pause, laissant chacun peser l'importance de son conseil. Le fauve glissa une œillade vers Irya, qui venait de sortir une flèche qu'elle tenait avec hésitation. Il sut aussitôt ce qu'elle s'apprêtait à faire, pour l'avoir vu des centaines de fois, et qu'elle répugnait d'en arriver là.

Lui aussi aurait souhaité une fin différente. Mais pour le Rokh, elle restait son unique chance de salut. Quitte à s'attirer les foudres de son maître, autant que ce soit pour une bonne raison.

  • Irya, tu n'as plus le choix, soutint-il. Tu as fait tout ce que tu as pu pour le sauver.
  • Je sais, Sün... Je le sais bien.

Bien qu'elle le reconnaisse, la chasseresse ne s'exécuta pas, toujours plongée dans le doute et l'appréhension.

La bête du Soleil étudia le Rokh, seulement pour constater que ce qu'il craignait venait de commencer. Le plumage de l'oiseau partait en fumée, dévoilant une chair nécrosée et suintante, pourtant dénuée d'odeur malgré l'état avancé de décomposition. Les râles qui s'échappaient de lui s'étaient tus ; le rapace ne remuait presque plus, à l'exception de quelques soubressauts.

Sünghya inspira profondément et ferma les yeux, récitant dans sa tête une prière aux puissants. Quand il les rouvrit, une résolution neuve brillait dans ses prunelles. Elle était si intense que les réserves personnelles d'Irya s'effritèrent.

  • Regarde, c'est trop tard pour son corps. Désormais, il n'y a plus qu'un moyen de préserver son âme, et aussi...

Il laissa sa phrase en suspens, choisissant scrupuleusement ses prochaines paroles, puis continua :

  • Je ne peux pas le garantir, mais j'ai eu le temps de l'observer, de très près et... il y a une possibilité, infime, pour que ceux qu'il ait enlevé soit vivants.

Cette dernière précision eut l'effet d'une détonnation, qui atteignit sucessivement Irya, Zyr, et le reste du village.

Nydia, en particulier, fut comme frappée par la foudre à cette déclaration. Regagnée par l'énergie du désespoir, elle alla à sa rencontre.

  • Est-ce vrai ?!

Nul ne put prévoir que la jeune femme s'élancerait dans une course folle, alarmant chaque personne qu'elle dépassait. Sa brusquerie eut ses conséquences : dans les secondes qui suivirent, elle réveilla ses blessures malgré les pansements, la privant de sa force éphémère.

Elle s'écroula dans un cri douloureux, mais Sünghya fut plus rapide. L'instant précédent la chute, le Karan bondissait sur elle, devenu une brume cendrée lui ressemblant vaguement. Et dans le présent, la Dryun se retrouva dans les bras d'un garçon d'une douzaine d'année à peine vêtu, agenouillé au sol pour la retenir.

Contre lui, il sentit la bâtisseuse se figer. Par sa réaction, qui était tout à fait naturelle, Sünghya s'attendait à ce qu'elle s'échappe. Non pas qu'au contraire, elle rafermisse sa prise et s'accroche à sa cape.

  • Je vous en prie... sanglotta-t-elle contre sa poitrine. Dîtes moi... Dîtes moi que je pourrais revoir Fiin ! Que je ne l'ai pas perdu pour toujours... je vous en prie ! Je vous en supplie ! Dîtes-le moi !

Le Karan rajeunie, tout aussi immobile qu'elle, ne lui répondit pas.

Le voulait-il, ou non ?

Le pouvait-il, ou non ?

Zyr, fixant le monstre devenu enfant, l'ignorait.

Mais il n'ignora pas les mains que le faux-homme gardait prudemment hors de Nydia, ses doigts griffus tremblant nerveusement, le nez frémissant.

Son expression était inhabituellement troublée.

Le vieil homme remarqua un mouvement derrière lui ; Irya se rapprochait lentement, tendue et inquiète. En dépit du calme immédiat, qui n'interloquait personnes d'autres qu'eux, le doyen sut que la situation basculait dangereusement. Et en découvrant la mâchoire crispée de l'Asura, il n'eut pas besoin davantage d'explications.

Heureusement, aucune intervention ne fut nécessaire.

Sünghya se détacha par lui-même et s'écarta de Nydia, refoulant au mieux son chamboulement avant qu'on s'en aperçoive.

  • Nous ferons ce que nous pourrons, lui promit-il avec un semblant de son ancienne assurance. S'il existe la moindre chance de récupérer les vôtres, nous la saisirons. Tu as ma parole.

Ses sens dérangés le prévinrent d'une prochaine rechute. Pour l'éviter, il mordit sa langue avec ses crocs, formant une plaie conséquente ; le sang libéré glissa directement dans sa gorge, qu'il but par petites gorgées. À chacune, l'Asura s'apaisa et parvint à recouvrer sa lucidité.

Ce moyen était douloureux, certes, mais nettement plus discret que de mutiler son bras. Une fois son esprit rafraîchit, il vérifia qu'on se charge de reprendre la Dryun blessée. À son grand soulagement, un homme s'était avancé de sa propre initiative et attendait non loin. Après un hochement de tête de sa part, le villageois la ramena en sécurité. Libre, Sünghya passa une main sur son front, qu'il trouva moite sous sa peau, et pourtant tellement glacé.

Sachant Irya revenue auprès de l'incarnation d'Ivahl, le Karan dirigea son appel uniquement à elle, poussé par une sensation qu'il combattit.

S'il te plaît Irya, fais-le. Récupère son joyau ; il faut que je parte d'ici.

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