- IV -

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À quoi devaient-ils s'attendre ?

Que dissimulaient ce coffre ? Un artefact antique ? Il y avait tellement de possibilités ; bague, dague, bijou, pierre, cristal... Quoique cela puisse être, l'immense valeur que les Dryuns lui attribuait était indiscutable.

Par leurs regards brillants et intenses posés avec obsession sur le coffre, le plus sot des hommes pouvait deviner l'importance qu'accordait les villageois à cette mystérieuse relique. Et qu'importe les efforts déployés pour l'éteindre, Irya décela derrière leurs yeux une lueur de regret. Zyr lui-même l'endura, en partie causé par l'attachement personnel qui l'unissait à leur trésor. Ses mains autour en une ultime caresse, il mêla ses sentiments envers lui en un tendre sourire émouvant.

Un insensible se détournerait devant cela, ou se détacherait de tout sentiment de culpabilité à leur arracher leur bien : pas Irya. Poussée par un élan de compassion, elle décida de refuser leur cadeau. Mais avant que le moindre son ne s'échappe de sa bouche, son larynx se bloqua, plus dur que la pierre. La plainte induite par son choc s'émoussa en un vulgaire souffle ténu.

  • Qu... Tu fais quoi ?!

Prudente, mais ferme, l'étreinte invisible du Karan se raffermit brièvement autour de son cou et tira l'énergie de ses muscles. L'atonie d'Irya l'empêcha d'alerter ses semblables, et sa fausse sérénité n'éveilla aucun soupçon. Elle couvrit efficacement son mécontentement et, ensuite, sa fureur. Par la force de sa volonté, la chasseresse s'évertua de recouvrer sa motricité et, après plusieurs tentatives infructueuses, insulta copieusement le fautif. Tellement distraite et acharnée, qu'elle manqua l'agitation et la méfiance qui le rendaient sourd à ses injures. En un sens, tant mieux ; il aurait blêmi à l'écoute de tous les noms d'oiseaux qu'elle lui donnait.

  • Tu vas me lâcher, espèce de tàrgan ?! tempêta Irya, consternée et proche de sa limite. Lâche-moi !

En parallèle, le chef des Dryuns dépassa sa mélancolie et ressortit un récipient, recouvert d'un chiffon rendu rugeux par l'usure et l'isolement. Des cordelettes effilochées nouées entre elles fermaient l'emballage ; l'érudit contourna la table et s'approcha d'Irya, placée au bout de la rangée.

Avant de la libérer de l'envoûtement, Sünghya marmonna à son oreille :

  • Repousser leur présent reviendrait à leur cracher dessus : n'oublie pas tes leçons. Et rappelle-toi qu'ils n'ont toujours rien dit pour la traduction. Tant que l'on n'est sûr de rien, reste tranquille.

Tout ça pour ça...

La chasseresse endigua le désir de le frapper. De toute façon, la dimension dans laquelle il évoluait le rendait immatériel (donc insensible aux coups), et Zyr l'avait presque rejointe.

  • Je reviens vite, ajouta-t-il à la hâte.
  • Une seconde, tu t'en vas ?!
  • Ne fais pas de bêtise.

Sur cette ultime recommandation, Sünghya relâcha son sort, laissant Irya libre de ses mouvements et incroyablement perdue. Quelle tsä l'avait piqué ? La jeune fille dut mettre de côté son interrogation ; le vieux chef lui présentait l'offrande. Complètement ignorant de la scène qui s'était produite juste sous leur nez. Par politesse, la voyageuse se redressa - elle évita de tituber à cause du contre-coup - et récupéra leur présent. Il ne pesait pas grand-chose entre ses mains ; ses doigts effleurèrent le tissu usé et jouèrent avec la ficelle. Seulement par la forme, elle ne devinait pas ce qu'il cachait.

Le silence se prolongea...

Irya avisa le manque de bruit et se détourna du baluchon léger, gratifiant les membres de l'assemblée d'un sourire sincère. Elle rangea le paquet dans ses vêtements, près de sa sacoche qu'elle avait pensé à emporter. Comme le voulait la coutume syrhkànienne, la voyageuse attendrait l'heure des adieux avant de découvrir la nature de leur don.

  • Votre cadeau me touche ; je saurais m'en montrer digne, chers amis Dryuns.
  • Et nous sommes ravis que vous l'acceptiez, til Irya, affirma Arakas. Nous espérons qu'il saura mener vos pas dans la bonne direction.

Lui offrait-il un indice quant à l'objet ? Irya envisagea une boussole, ou quelque chose qui s'en rapprochait, mais jugea sa propre réflexion peu convaincante ; trop évidente. Non, ça ne pouvait pas être ça...

  • Til Irya, il nous faut parler de la carte, maintenant.

Ce fut Zyr qui reprit la conversation, son humeur assombrie et projetant une expression anxieuse. La chasseresse, en le découvrant ainsi, sentit son ventre se serrer d'appréhension.

  • Il... est gênant de le dire... alors que vous nous estimiez le talent nécessaire pour déchiffrer ces écrits, commença Zyr avec lenteur, mais... je crains que vous n'ayiez un peu trop surestimé nos capacités. Hélas, aucun de nous ne serait capable de traduire le vràr ancien, en tout cas non sans erreurs. Et, nous le savons, les mots mal interprétés perdraient leur sens initial. Je puis parler bien des idiomes, vivants et délaissés, mais je dois vous avertir que la langue d'Avant les Premières Lueurs m'échappe. Jamais nous ne pourrions vous fournir un assez bon travail, faute d'être l'un des Grands Prêtres d'Anagkē. Je suis navré que nous ne soyons ceux qu'il vous faut.

La pure sincérité de son aveu plongea Irya dans une froide vague de déception ; sur le coup, sa poitrine se comprima et bloqua sa respiration. Incapable de réagir, elle se mura dans le silence, mais s'efforça de reprendre courage. Après tout, l'adolescente avait redouté ce scénario.

  • Vous n'avez pas à l'être. Je peux toujours essayer de trouver un érudit d'un milieu proche qui accepterait de proposer ses services, et... (Irya se figea, réalisant soudainement que ses propres propos démentaient ceux de la nuit dernière). Enfin, non, je veux dire...
  • Un instant, je vous prie, la coupa Zyr qui, par son ton étrangement gai, stoppa sa panique montante. Pardonnez-moi de proférer ceci, mais je doute que cela soit bien prudent de confier votre bien aux soins d'un étranger. Mon erreur de vous avoir affolé, car à notre place, je puis envisager une alternative qui satisferait éventuellement votre requête, sans que cela n'aille, je pense, à l'encontre de vos obligations.

La chasseresse, tout d'abord abasourdie que Zyr n'ait pas relevé sa faute, regagna espoir grâce à sa révélation. Le vieux chef se permit d'apprécier l'impact que celle-ci avait sur leur hôte, si lumineuse à ce moment. Il s'apprêta à partager son idée, persuadé qu'elle serait acceptée.

On ne lui en laissa pas l'occasion.

Un son résonna dans les airs, sinistre, et saigna les tympans fragiles des humains sur terre et sous la pierre. Leurs gémissements et hurlements ne purent même pas le surpasser. Le glatissement strident de l'oiseau, amplifié des millions de fois, plus atroce et assourdissant que le crissement du métal, força la centaine d'hommes et femmes à se couvrir les oreilles.

Le verre se brisa : les projectiles tranchèrent parfois la chair et virèrent carmin. Certains animaux affolés et hommes malchanceux ne purent supporter une telle violence et s'évanouirent, leurs yeux fous révulsés et bavant une salive blanche.

L'attaque sonore perdura et conserva la même intensité une éternité, produisant à chaque seconde écoulée dégâts et douleurs. Sitôt que le cri hostile faibli, un autre lui fit écho.

Plus terrible et puissant que le grondement du tonnerre dans le ciel. Plus profond et menaçant qu'un troupeau de tyranours en furie, que le souffle d'une armée de cors et les barissements de dix mastodontes ; tout ça à la fois. Le rugissement ébranla le sol ; par endroit, la roche se fendit.

Tout le monde l'entendit, aussi bien par l'ouïe que par le corps, malmené de l'intérieur par une constante pression.

Couchée dans la poussière avec les autres membres du cabanon, la vision brumeuse, crispée par l'angoisse et ses dents proches d'exploser, Irya se tendit à l'écoute de cette seconde clameur. Et bien que la situation ne prêtait à rire, elle commenta sarcastiquement :

  • « Je reviens vite », qu'il dit...

Un voile d'obscurité les engloutit.


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