- III -

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  • Avec l'autorisation de notre patchas, moi, Arakas, me porte parole pour mes confrères et consœurs en cette réunion.

Irya dévisagea l'orateur émacié, coiffé d'un turban mauve décoré de plumes aux couleurs chatoyantes. Sa dégaine longue, asséchée, et sa peau ébène craquelée par le soleil lui rappelaient les momies ancestrales qui reposaient dans leurs tombeaux. Dans ses souvenirs, il n'avait participé qu'au banquet, et non à la réunion tenue peu après. Mais son regard bleu délavé portait la crainte et la curiosité qu'exprimèrent à son égard son chef et ses camarades. Tout autour, les autres fixaient la jeune fille avec ces mêmes émotions, et celle-ci déduisit que certains faits leur avaient été divulgués, sûrement en lien avec la carte et ses origines...

En revanche, concernant les détails plus pointilleux, Irya ne craignait rien. En plus d'être réputés pour leur capacité intellectuelle, les Dryuns possédaient une honnêteté à toute épreuve et méprisaient farouchement la traîtrise et le mensonge. Zyr n'ébruiterait pas leur secret.

Confiante, elle laissa l'ancien poursuivre :

  • Nous avons beaucoup discuté de votre cas et, je dois le reconnaître, nous avons durement réfléchit quant à votre requête. Sachez, til Irya, que nous vous sommes redevables, à la fois pour vos actes délibérés en terrassant ce Kroâkoar, et du fait de votre appartenance à une haute lignée de chasseurs exorcistes ; nobles guerriers qui, chaque jour, combattent et protègent nos terres et nos vies.

La jeune fille se tortilla sur son siège, trouvant cette apologie un peu exagérée : elle n'avait fait que son devoir. Rien d'extraordinaire comparé aux exploits d'honorables chasseurs pourfendeurs de démons et Béhémoths. Mais leurs louanges empourpraient ses joues indisciplinées ; la pigmentation contrastait bien avec son teint pâle. Elle se ratatina de honte.

Arakas ne fut pas aveugle à ses tentatives, et s'empressa de renchérir :

  • Ne soyez gênée, je vous prie. Vous méritez ces éloges, croyez-moi. Et c'est pourquoi, en dépit des règles qui régissent nos peuples, nous avons décidé à l'unanimité de mettre sous silence votre passage dans notre village. Vous n'avez donc pas à craindre l'intervention des autorités supérieures dans votre entreprise.

Ce choix, Irya l'avait plus ou moins prédit, mais cette annonce souffla de ses épaules un poids immense. Elle quitta sa chaise pour rendre grâce à leur gentillesse ; son regard printanier se posa sur l'entière assemblée.

  • Votre confiance m'honore, noble Conseil. Je saurai m'en montrer digne.
  • Nous n'en doutons pas, mon enfant, lui assura une femme ridée aux tresses serties de perles. Les chasseurs ne portent que vérité, et nous savons votre volonté animée par une juste cause. Il est donc naturel de vous soutenir.

Débordante de gratitude, la voyageuse s'inclina à plusieurs reprises, n'oubliant aucun de ses bienfaiteurs. Suite à ces formalités, les conseillers décidèrent de passer la consigne aux leurs, et évoquèrent d'autres projets qui échappèrent à Irya. Pour cause, elle n'écoutait plus que d'une oreille.

Ses peurs futiles, comme la saleté sous la pluie, se dissolvaient de son esprit agréablement allégé.

Les Dryuns l'ignoraient, mais les savoir pour alliés la soulageait grandement. Sa mission, plus importante qu'ils ne pourraient concevoir, ne devait pas être compromise par des organisations religieuses ou les politiciens influents. Au sein de sa propre caste, quelques-uns avaient pris des mesures dès son départ ; elle ne pouvait pas se permettre plus de problèmes.

  • Détends-toi, idiote, intervint tout à coup Sünghya, à l'étonnement d'Irya. Tu te doutais bien que nous ne courions aucun risque.

Elle ne l'avait pas du tout senti sortir de sa cachette... Depuis quand les écoutait-il ?

  • Que "je" ne courais aucun risque, rectifia l'adolescente. Tant que j'y pense, pourquoi tu m'as rejointe ? Je pensais que tu ne me supportais plus.

Son commentaire sonnait cru, soit. Mais honnêtement... avait-il besoin de l'insulter de façon si dédaigneuse ? Voulait-il se venger pour son comportement de l'heure précédente ? Elle avait eu tort et s'en voulait ; inutile d'en rajouter une couche. Un bambin de six ans réagirait plus maturément.

Fait troublant, son partenaire ne sembla pas s'agacer de sa remarque, ni y prêter une réelle attention. Au contraire, l'adolescente nota l'intérêt général qu'il éprouvait à ce qui se passait dans cette salle. Néanmoins, le monstre renifla un rire et se moqua :

  • Ne te donne pas tant d'importance, petite fille : tes crises ont autant d'impact qu'une piqûre d'insecte, et je ne comptais pas rater la réunion. Je me suis donc baladé dans les couloirs avant que tu n'arrives.

Il n'en démordait pas. Plus étonnant, Irya perçut à travers l'écho de ses propos une once de sournoiserie, ce qui amena sa méfiance. À tous les coups, il lui avait joué là quelques viscieux tours dont il avait le secret. Elle se répéta les mots, attentive, puis se crispa suite au sens qui en ressortait. Cela la rendit amère.

  • Dis donc, toi. Tu...

L'arrivée d'un groupe de quatre hommes coupa sa pensée ; ils transportaient un coffre à bout de bras, lourd en considérant les veines saillantes des muscles sollicités. Elle se força d'abandonner son interrogatoire pour se concentrer sur cette scène, mais se jura de lui faire payer plus tard sa fourberie.

  • Merci beaucoup, mes garçons. Vous pouvez partir, les congédia Zyr lorsqu'ils déposèrent lourdement leur fardeau sur la table.

Les porteurs, en sueur après l'effort, saluèrent l'assemblée avant de passer la porte. Irya loucha sur la curiosité qu'ils venaient d'apporter, et dut se retenir de se pencher pour mieux l'observer. Avec sa structure polygonale cuivrée, ses nombreuses courbes métalliques au sommet, et l'étrange cadenas cylindrique incroyablement complexe, cette relique l'intriguait au plus haut point.

  • Eh bien... siffla Sünghya. Je ne sais pas ce qu'il y a là-dedans, mais ils doivent pas mal y tenir pour utiliser une protection pareille.

Irya ne répondit pas, mais approuva mentalement. Quoi qu'il y ait à l'intérieur, cette forteresse miniature avait l'air capable de résister aux réveils cataclysmiques des géants de feu.

  • Patchas Zyr, qu'est-ce donc ?

À sa question, le vieil homme ne put réprimer sa fierté. Leur jeune protégée était à mille lieues de deviner le cadeau que s'apprêtait à lui offrir son peuple. Assez dirait que, pour une simple étrangère, ce présent était un incroyable gâchis. Mais par leurs échanges de la veille, et sa propre intuition, Zyr soupçonnait que la descendante de Thÿr-Nog tiendrait un rôle crucial dans le futur.

En bien ou en mal, il préférait croire que si la Lumière l'avait menée pour défaire à temps le Kroâkoar, il s'agissait d'un signe divin. Le doyen suivrait donc ses propres règles et accepterait le résultat qui en découlerait.

  • Un gage de notre reconnaissance, éluda-t-il.

Le doyen dévissa le cadenas de son socle puis s'occupa de le déverrouiller. Ses doigts, recroquevillés par les ans, manœuvrèrent agilement sur les lignes codifiées. Les cliquetis du mécanisme accompagnaient ses gestes ; les symboles inconnus défilaient et s'alignaient dans un ordreconnu de son seul propriétaire. Bientôt, Zyr arrangea la clé sophistiquée et la replaça sur le coffre.

Derrière la solide armure, les engrenages gémirent et résistèrent, mais la serrure s'inclina pour permettre au vieil homme de l'ouvrir.

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