- VII -

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De retour à l'habitation principale, Zyr évoluait avec ses ouvrages dans un monde qui n'appartenait qu'à lui seul. Infatiguable, ses doigts fripés effleuraient le papier bien conservé des blessures du temps, et pourtant plus ancien que lui. Quelques arts ésotériques protégeaient de sa morsure les vieux textes marqués par l'encre. Découvrir leurs secrets était le travail de toute une vie, mais le sentiment d'échapper à l'ignorance compensait la longue attente.

La couverture retomba, sa lecture achevée. Le vieil homme venait de terminer un livret décrivant les coutumes et usages des Yr'gis. Très détaillé et documenté, l'auteur anonyme partageait ses observations lors de son séjour chez ce peuple nomade accablé par des préjugés. Il y décrivait leur quotidien et démentait de nombreuses idées reçues, tout en conservant un ton neutre dans ses propos.

  • Absolument splendide...

Fondée dans un esprit purement objectif, épargnée par les critiques personnelles, l'œuvre méritait bien sa place dans ses archives ; le vieil homme reconnaissait la passion que l'écrivain avait employée durant sa confection.

Presque à la hauteur de celle qu'il s'apprêtait à lire.

Après avoir rangé le carnet, Zyr retira ses grimoires et parchemins, puis déplaça les planches grinçantes de son étagère, révélant un double-fond. Ses mains se glissèrent à l'intérieur et agrippèrent le livre qu'il renfermait.

Son bien le plus précieux, le leg adoré de l'ami et frère parti suivre son propre chemin. La compilation unique de poèmes, contes et de faits historiques datant d'avant la Lumière et au-delà. Des documents inconnus du public collectés par un homme dont la soif de savoir aveugla la morale.

Regroupé, l'ensemble formait un véritable puits de connaissance. Un bien qui condamnerait son détenteur à la peine capitale, sinon pire, si les autorités à la solde de l'Ordre le découvrait. Mais Zyr n'avait pas à s'en faire. Son secret était bien gardé. Nul, à part eux deux, n'avait eu vent de son existence. Et ceux qui le découvrirait ne pourraient même pas s'en souvenir, grâce aux mesures prises par son créateur.

C'est donc sans crainte que Zyr ouvrit le livre si souvent parcouru. Et en cinquante ans, il préservait encore la majeure partie de son essence. Après une décennie, son ancien propriétaire traduisit les dix de ses pages ; les années suivantes, le chef des Dryuns n'en décrypta que six.

La cause d'une telle lenteur ? L'infinité de langues qui provenaient d'une époque révolue, pour la plupart oubliée ou dépassée.

Ce recueil ne facilitait pas sa compréhension. Et si les encarts gardaient leur robustesse, il n'en était hélas de même pour l'encre bien éprouvée. Ainsi, des caractères et paragraphes entiers avaient disparu. Par chance, les illustrations qui garnissaient l'ouvrage suggéraient clairement le thème abordé.

L'une d'elle, perdue dans l'océan de lignes, ne quittait plus ses pensées depuis la soirée de la veille et réclamait d'être retrouvée.

D'une ardeur non réprimée, Zyr se dirigea vers le dessin qui accaparait son esprit ; celui pour qui son compère sacrifia ses nuits et sa santé, celui qui le fascina tant. Au gré des pages, le doyen remercia intérieurement son camarade et la détermination maladive qu'il lui avait reprochée autrefois.

  • Voyons, voyons. Où est-elle ?

Les feuilles virevoltèrent avec frénésie pour fuir ses yeux plissés de concentration, avant de se figer devant une miniature située avant la fin. Le vieil érudit contemplait la scène, celle chantée des héraults, peinte par les artistes de renom et jouée en théâtre lors des festivals.

Le tout premier chasseur exorciste qui terrassa la terrifiante bête responsable de la Première Souillure.

On voyait la figure héroïque brandissant fièrement son épée contre le monstre à la fourrure de flammes. L'homme entraînait la divine Lumière dans cette bataille décisive, emprisonnant la chimère et ses terribles Ténèbres dans sa cage dorée.

Sünanho'ghya agǿ 't ascås Thÿr-Nog

(La chute du Soleil Corrupteur et l'ascension du Grand Sauveur)

Tel était approximativement le sens du titre en alfiàn primitif. Son créateur avait bien mis en avant la suprématie du héros : dans son dos, d'imposantes ailes immaculées se déployaient de toute leur envergure dans les airs ; son arme se tenait prête à occire le mal au nom de la justice sous la direction des saints Sylph. À l'inverse, l'ennemi gargantuesque levait des griffes exagérément longues ; des crocs dentelés dépassaient du gouffre de sa gueule au souffle de braise ; les corps des innocents mutilés brûlaient dans son sillage : il inspirait le dégoût et la monstruosité de sa nature maudite.

  • « Que celui qu'affronte le vaillant élu de la Sainte se voit purifier par la lame du juste. Grâce aux chants du Chœur, ô notre Sauveur, transperce l'être à l'agonie qui décime des armées entières. Détrône l'Astre cruel qui enflamme le Ciel Primordial et embrase la Terre Originelle, car voici les Griffes Vengeresses du Banni... »

Alors qu'il récitait ce verset, sa main se posa sur la bête caricaturée. Ses fragiles doutes s'évanouirent pour de bon.

  • Sünanho'ghya... Sünghya.

Il n'en revenait pas.

Cette nuit-là, il avait librement parlé avec l'un des Karans les plus puissants et redoutés que le monde abritait. Zyr se souvenait de l'étrange explosion de sentiments, lorsqu'Irya avait prononcé son nom. Il pouvait encore les nommer : peur, excitation, respect.

Mais jamais la moindre once de l'effroi qui aurait dû l'envahir.

Encore maintenant, le doyen ne l'éprouvait pas, sans savoir pourquoi, non pas que ça l'importunait. Pourrait-ce être là l'effet d'un sort inconnu, il s'en fichait. De plus, le garçon enjoué et bavard ne correspondait pas vraiment aux légendes qui le décrivaient ; son caractère était assez ambivalent. Un impulsif, soit, mais pas foncièrement mauvais, ni irrationnel.

Tel était le jugement de Zyr, et les paisibles courants d'énergie que ses talents de médium lui avaient permis de voir ne le contredisaient pas. C'était grâce à eux qu'il put percevoir sa présence auprès d'Irya, que la lueur révélatrice de la lanterne avait exposé.

Voilà la raison pour laquelle, précédement, il n'avait pas rediscuter les affirmations de la chasseresse. Caché à l'abri derrière les étables, l'érudit avait pu percé durant la bataille son secret. Ce qui ne lui restait plus qu'à découvrir après ceci était la jeune fille elle-même, et sa convalescence y avait servi.

Quel personnage elle était, d'ailleurs !

Un masque ne suffirait pas à refléter l'entièreté de son caractère, tant il était complexe. Naïve et perspicace, honnête et prudente, claire et mystérieuse. Chaque action qu'elle entreprenait changeait la vision que Zyr avait d'elle, le plongeant dans une grande perplexité ; un sentiment qu'il avait rarement expérimenté. Le vieil érudit avait beau supposer, il ne pouvait pas deviner ses motivations. Certes, jamais elle n'avait menti. Toutefois, la réponse fournie sur les circonstances de leur voyage, bien que convaincante, restait floue et évasive. L'épreuve pouvait être véridicte, mais le patriarche sentait que ce motif n'était que la partie imergée de l'iceberg.

Ce pressentiment le confortait que, si elle avait décidé de garder secrètes des informations, Zyr préférait rester dans l'ignorance. C'est pourquoi, sans cherché à chercher plus que nécessaire, il avait déjà renoncé à connaître leurs véritables raisons. Car le sage savait quand modérer sa curiosité, elle qui était à la fois une vertu et un terrible poison.

Quoiqu'il en soit, contrairement à ses dires ultérieurs, sa décision était d'ores et déjà prise : le chef du village les épaulerait dans leur quête. L'affaire qui le faisait durement réfléchir depuis la veille était :

De quelle façon ?

Que ce soit effectivement pour l'Aînée de la caste des chasseurs ou un but secret, leur objectif restait de traduire la carte. Le plus facile serait qu'ils demeurent dans ce village jusqu'à ce que Zyr et ses conseillers la déchiffre. Cependant, il ne pouvait pas exclure la possibilité que la carte attire des âmes peu scrupuleuses. De plus, la langue dans laquelle elle était retranscrite dépassait ses compétences, et les fragiles connaissances dont il disposait ne suffiraient pas.

La seconde solution ne les impliquerait pas directement et serait plus bénéfique pour ceux qu'il hébergeait. Toutefois, cela signifierait exposer à un potentiel danger une personne qui lui était chère, mais il se révélerait également plus apte à guider les voyageurs dans la bonne direction. Aussi... pouvait-il refuser à son comparse l'opportunité de rencontrer l'être qui bouleversa l'Histoire de l'humanité ?

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à venir me rejoindre. Surtout si cela implique l'un de ces fascinants écrits », lui avait-il dit avant de partir en exil dans le Vallon des Vents.

Zyr pourrait lui offrir plus que ça.

  • Il va falloir que je prépare assez de vivres et d'eau, réfléchit-il en tirant sa barbe. Et le plan ! Où l'ai-je rangé ?

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