- III -

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  • Accepteriez-vous de traduire cette carte ?

Il n'y eut aucune réponse. Un silence ahuri englobait l'ensemble du salon. Les conseillers se regardaient entre eux, hésitant. Quant à Zyr, il dévisageait Irya avec gravité, frappé d'indécision ; il en avait même délaissé sa pipe, et posa son menton sur ses mains calleuses. Son expression, faussement stoïque, laissait entrevoir sa profonde réflexion. Irya savait pertinemment à quel dilemme elle confrontait le vieil homme, car aussi anodine que puisse paraître sa demande, les conséquences seraient terribles pour leur peuple.

Les écrits en vràr ancien étaient d'une telle rareté, portaient en eux une telle sacralité, que bien des êtres seraient capables du pire pour se les approprier ; quelle que soit la motivation derrière. Plus grave encore, Irya se présentait comme la descendante de Thÿr-Nog : un héros... une divinité, que chaque peuple tenait en haute estime. Ils érigeaient à la gloire de son nom les momuments les plus hauts et les vers les plus beaux.

Avec la carte pour unique preuve de son affiliation, sa parole avait le poids du vent.

Le sablier nocturne remplissait déjà son socle de moitié, quand le chef sortit de ses réflexions et se redressa. Ses suivants allaient l'imiter, avant que le vieil homme ne les renvoie.

  • Regagnez vos maisons. J'aimerais m'entretenir seul avec elle.
  • Mais, patchas ! s'exclama abasourdi le plus ancien. Ce n'est pas...
  • Rassurez-vous : je ne rendrais certainement pas ma décision ce soir. Avant, je veux en entendre plus.

Et le sujet s'arrêta là. Sans attendre d'autres protestations, Zyr partit pour la salle adjacente en invitant Irya à le suivre ; ils passèrent à travers un rideau qui séparait les deux pièces. Les conseillers partirent à leur tour, inquiets, mais sans moyen de s'opposer à sa décision. Un courant d'air glacial accompagna leur départ et secoua les flammes des chandeliers, jusqu'à ce que la porte ne se ferme.

Tandis qu'elle entrait dans la seconde partie de l'habitation, Irya observait ce nouveau lieu ; par centaine, des manuscrits reposaient sur des étagères murales. De véritables antiquités, avec leurs couvertures décrépites et la poussière incrustée, mais un élément incongru y avait également élu domicile. Entre deux rayons, protégée par un bataillon d'imposants livres, une lanterne se dressait. On distinguait à peine sa poignée rongée par la rouille, que la pénombre masquait.

Zyr dut écarter sa collection avant de la récupérer délicatement. Elle résista un peu alors qu'il la délogeait, menaçant d'emporter des ouvrages, mais finit par obtempérer et rejoignit son propriétaire. Ce dernier la déposa au centre de la pièce et ouvrit le cadre pour allumer la bougie cyan qu'elle renfermait. Une flamme d'une couleur sœur dansa sur la mèche. La chasseresse, un peu à l'écart, éprouva un intérêt naissant pour cet objet bien singulier.

Alors que le doyen s'en séparait temporairement pour éteindre les autres chandeliers, des frissons et des picotements se ruèrent dans le dos d'Irya.

Il y avait de la tension dans l'air, provoquée par son compagnon dissimulé dans l'éther.

  • Qu'est-ce qui t'arrive ?
  • ... Cette lanterne. Quelque chose chez elle ne me plaît pas.

La jeune fille se crispa ; elle examina plus attentivement l'objet incriminé. Rien de louche au premier abord, mais son partenaire ne se serait pas agité sans raison. Elle se dépêcha d'en savoir plus, alors que les lumières disparaîssaient.

  • Qu'a-t-elle de spéciale ?
  • De la magie. J'ignore de quel type, mais-
  • Attendez ! intervint Irya alors que Zyr s'approchait de la dernière flamme.

Trop tard : le vieil homme souffla dessus, ne laissant plus que celle à terre. Sans autre rivale, elle explosa et resplendit soudainement d'un éclat égal à celui de l'astre solaire. Agressées, les rétines d'Irya brûlèrent terriblement. Elle siffla de douleur, et plaqua vigoureusement ses mains sur son visage.

Il fallut un peu de temps avant que son mal s'estompe. Éblouie, un voile d'ombre l'empêchait de discerner son environnement : même en clignant plusieurs fois ses paupières, ou en les frottant, il persistait. Sa panique montait en flèche, avant que la voix de Zyr, toute proche, ne les perce de son timbre aggravé par l'âge :

  • Tout va bien, til Irya. Encore un peu, et notre vision se restaurera. Ensuite, nous reprendrons notre conversation...

Elle l'écoutait d'une oreille, mais des gémissements déconcertant s'élevaient dans les airs.

Les imaginaient-elle, ou provenaient-ils de sa droite ?

Un moment passa, avant que les couleurs ne dissipent sa cécité. Les contours se dessinèrent ; encore flous, l'adolescente pouvait tout de même les reconnaître : le mobilier de la pièce, comme Zyr qui s'avançait vers elle... ou plutôt vers l'individu recroquevillé à ses côtés.

Il agonisait terriblement, serrant ses tempes. Irya inspira brutalement l'air à son apparition et se précipita sur lui, paniquée.

  • Sünghya ! Ça va ?!
  • À ton avis ? geignit-il. Quelle claque...

Sünghya s'aida de la main que l'adolescente lui proposait. Péniblement, il se remit debout, très désorienté. Si violemment arraché à son refuge, ses muscles le lançaient ; ses yeux, encore traumatisés, étaient plissés et couverts pour se protéger de la lumière qu'émettait la lanterne. Bien qu'affaiblie, Sünghya ne la supportait pas mieux ; il fustigea entre ses doigts le responsable de sa détresse. Si Irya ne le tenait pas afin de vérifier la trace de potentielles blessures, il ne se serait pas gêné pour le jeter contre le plafond pierreux. Alors, il se contentait d'émettre un grognement sourd.

Bien loin de se sentir en danger, Zyr étudiait avidement l'être qui se remettait doucement. La cape parcheminée qui le drapait ne dissimulait ni ses mains, ni ses pieds, chacun pourvus de griffes ; l'ombre de sa capuche révélait dans un contraste saisissant ses iris fendues braquées sur le doyen.

Le redoutable héritage légué par son sang de monstre.

Le vieil homme s'avança un peu plus.

Sünghya ne fit que gronder plus fort. Basculant Irya derrière son dos, il découvrit ses crocs bestiaux ; l'impressionnante dentition resplendissait sous la lueur de la lanterne.

  • N'approche pas.

Lentement, Zyr leva ses mains dans une tentative de l'apaiser ; il essaya de paraître aussi inoffensif que possible.

  • Soyez rassuré, mon seigneur. Ni vous, ni til Irya, n'avez rien à craindre de moi, ou de mes semblables.

L'hostilité de Sünghya ne diminua pas ; ses yeux fauves se rétrécirent davantage. Plein de rancœur, il cracha :

  • Parce que tu penses que je vais te croire ?! Après ce que tu as fait, c'est un miracle que ta tête soit encore sur tes épaules !
  • Sünghya ! s'interposa Irya, le retenant par son vêtement. N'en fais rien ; nous avons besoin de lui !
  • Il m'a révélé ! Ce sorcier sait depuis le début que je suis là, j'en suis certain !
  • Sorcier : quel grand mot ! Je ne connais pas grand-chose, à peine quelques tours de passe-passe. Et encore...

Le vieil homme ramassa délicatement la lanterne, puis expira entre les espaces décoratifs de la structure métallique. En vacillant, la flamme passa du bleu aveuglant à sa couleur habituelle. La tension qui accablait le monstre s'évanouit dès que l'enchantement se brisa ; Sünghya retrouva un second souffle, et dévisagea avec incertitude Zyr.

  • Voyez. Ce n'est qu'une faible magie ; à peine de quoi vous ébranler, mon seigneur.

La remarque s'abattit durement sur lui ; une grimace tordit ses lèvres. Honteux, il se détourna du vieil homme fragile qu'il menaçait tantôt.

  • Je ne suis pas au mieux de ma forme, bougonna le monstre.

Pour sa part, Irya était bien indécise sur le meilleur comportement à adopter vis-à-vis du chef ; il dégageait un tel calme face à un monstre. Inutile d'être persipace pour deviner que leur secret avait été percé à jour à leur insu.

Depuis quand ? Combien le savait ? Pourquoi ne rien avoir dit ?

Par reconnaissance après les avoir secourus, ou par crainte de représailles ?

Il fallait impérativement qu'elle sache ; s'il y avait un malentendu, la jeune fille devait le dissiper au plus vite. Mais être directe dans cette atmosphère pesante ne serait pas très judicieux. Alors, elle opta pour une approche subtile, et dirigea la discussion en terrain neutre :

  • Jamais je n'aurais envisagé que vous posséderiez un brise-charme aussi performant, patchas Zyr.
  • Un bien nécessaire. Les peuples du désert vivent parmi les monstres et les esprits, til Irya. Sans cela, nous ne pourrions guère habiter sereinement dans cette contrée.

Irya hocha la tête de compréhension, trouvant logique cette courte explication qui confirmait une partie de ses doutes.

Sünghya, toujours nerveux par la précédente altercation, comprit immédiatement l'intention de la chasseresse de changer de sujet. D'humeur rebelle, il ignora sa tentative et revint à la charge :

  • Bon, c'est bien joli. Mais tu pourrais m'expliquer ta scène de tout à l'heure ?

L'entêtement que manifestait son partenaire, ainsi que son ton acide, déplurent à Irya ; ses fins sourcils s'abaissèrent sévèrement. En rappel, elle lui asséna un coup de coude dans les côtes, et passa outre la protestation qui suivit.

  • Un peu de respect, ce serait trop te demander ? siffla-t-elle. Cet homme est celui qui nous héberge, je te signale.
  • Il n'avait pas à me forcer à sortir ! Le respect, c'est dans les deux sens !
  • Sün-
  • Il a raison, la stoppa Zyr. Mes méthodes sont répréhensibles ; je mérite ces reproches. Maintenant, utilisons ce moment pour un meilleur usage : la nuit ne nous accompagnera pas indéfiniment.

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