- II -

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Bien plus tard, sous la course des étoiles, les ailes légères des Oneiroi apaisèrent le feu brûlant de la fête ; invisibles, ils s'occupèrent d'accompagner les humains dans le Royaume des rêves. L'irrésistible chant du sommeil, cet appel si doux murmuré par les déités, rattrapa les villageois. Peu à peu, l'entrain des habitants se consumait. Rares étaient ceux qui pouvaient veiller plus longtemps, toute leur énergie ayant été dépensée à danser, boire et manger.

C'est là que les aînés annoncèrent la fin de la fête. Alors, les parents emmenèrent leurs enfants pour les bercer, et les vieillards regagnèrent leurs lits pour reposer leurs vieux os...

Abandonnés, les feux se dévorèrent : très vite, un froid terrible engloutit la chaleur. Mais bien à l'abri sous leurs couvertures, et plongés dans leurs songes, aucun des habitants n'en fut affecté.

À cette heure avancée, l'unique animation provenait de l'une des maisons ; la plus importante de toutes. C'est ici qu'une réunion se déroulait, focalisée sur l'arrivée de leur invitée : Irya. Le chef et trois de ses conseillers étaient installés face à elle, assis sur le tapis de la salle. Les bougies de plusieurs chandeliers fondaient pour leur offrir une source de lumière convenable. Les fenêtres closes les protégeaient de potentiels curieux.

Comme promis, la chasseresse se prépara à parler ; submergée d'impatience et d'appréhension, elle attendait qu'on lui accordât la parole. De son côté, Zyr ne semblait pas pressé ; il s'occupait d'alimenter en herbes sèches le fourneau de sa pipe. Son briquet rudimentaire à la main, le vieil homme épia Irya.

La jeune fille était clairement nerveuse : elle tordait ses doigts sur ses vêtements d'emprunt. Zyr ne la reconnaissait pas, il ne retrouvait pas la bravoure qui l'animait il y a peu : celle de la valeureuse chasseresse capable de vaincre un monstre. Sans son uniforme et ses armes, elle n'était plus qu'une adolescente ordinaire ; pas le genre de personne que l'on verrait ici.

Décidément, les dieux ont un sens de l'ironie bien étrange, observa Zyr en faisant rougeoyer son tabac.

Le vieil homme s'embruma d'une nébuleuse bleutée, d'élégantes fumerolles qui s'en allèrent mourir contre l'épaisseur du plafond.

L'apparence des gens trompaient souvent le jugement ; sa longue expérience lui avait appris que les métaux les plus précieux ne se glanent pas en surface. Un sol aride et banal pouvait dissimuler en son sein le plus précieux des saphirs.

Déterminé, le vieillard voulait des réponses et s'apprêta donc à creuser aussi profondément que nécessaire ; il voulait mieux connaitre cette intrigante personne et, sans ôter le bec de ses lèvres, lâcha ces mots :

  • Nous vous écoutons.

Irya inspira profondément ; à elle de faire de son mieux !

Tout ira bien, se répéta-t-elle une dernière fois, replaçant une mèche auburn derrière son oreille.

Elle attrapa son sac en cuir, puis fouilla à l'intérieur et écarta le tout venant. Ses gestes n'échappaient à personne, mais ni les conseillers, ni le chef, ne s'abaissèrent à jouer les indiscrets. Après quelques secondes, Irya extrayait des tréfonds de son bagage une feuille plusieurs fois pliée.

Elle l'ouvrit, et révéla sa nature : une carte. Assez vieille, à en croire les coins jaunis, mais bien conservé. Ce document piqua la curiosité de Zyr ; il tint sa langue jusqu'à ce que la fille le lui remit, à sa hauteur. Les yeux affamés du vieil homme étudièrent son contenu attentivement. Il nota en premier lieu sa grande précision ; il n'y manquait aucun détail. On y devinait tous les périlleux éléments de ce lieu, strié de crevasse et de rochers escarpés. Il y avait même un curieux quadrillage qui rendait ce document particulièrement soigné.

Même un enfant ne pourrait pas se perdre !

Ses conseillers s'approchèrent, tout aussi fascinés. Celui ou celle qui avait produit cette véritable œuvre d'art devait être un maître accompli. Absorbés par leur entreprise, ils purent néanmoins entendre Irya les renseigner sur cette carte :

  • Voici la représentation d'une région désertique proche d'ici.

Intérieurement, la jeune fille nota l'intérêt qu'aucun ne cachait ; tous partageaient le besoin commun de percer ses secrets. Ils poussèrent leur inspection, et s'intéressèrent aux légendes qui complétaient la carte. En les observant, ils éprouvèrent tour à tour de la stupéfaction.

Ils étaient de plus en plus confus, et murmurèrent d'incompréhension. Alors que les membres de la réunion lui jetaient des regards interrogatifs, la jeune fille reprit :

  • J'ignore par qui et quand elle fut dessinée, mais vous noterez l'utilisation d'une écriture archaïque.

À la lueur des bougies, Zyr et les siens lisaient les lettres à moitié effacées par le temps. Leur incapacité à les comprendre confirmaient la véracité de ses propos.

  • As-tu déjà vu ce type de motifs ?
  • Non, il me semble qu'ils ne sont répertoriés nulle part. Du moins à ce que j'en sache.
  • J'ai lu bien des livres et en ai écrit tout autant, patchas Zyr, avoua une autre, mais rien de semblable...

Même le chef peinait à trouver un sens à ces énigmatiques symboles. Mais à la différence des autres, un sentiment de déjà-vu l'interdisait d'abandonner.

Quitte à s'en donner la migraine, il ne baissait pas les bras. Dans des livres de bibliothèques ; des parchemins décryptés ; des tablettes de pierre dégagées du sol... Il traversait les méandres de ses souvenirs.

Plus loin...

Alors, une image floue s'imposa à lui. Dans sa jeunesse, il avait été confronté à de tels symboles ; gravés dans la pierre, ils étaient jalousement gardés au cœur d'un temple inaccessible sans l'autorisation écrite du Patriarche.

Sa bouche s'ouvrit à moitié.

  • Du vràr ancien, souffla-t-il.

Le vieil homme fixa Irya, cherchant confirmation, et l'adolescente hocha aussitôt la tête. Dorénavant, Zyr osait à peine effleurer la carte, conscient de son inestimable valeur. Les conseillers regardaient ce trésor, plein d'admiration et de crainte.

Les pensées chaotiques de Zyr défilaient dans sa tête à une vitesse ahurissante. Savoir qu'il y avait sous son toit une relique si précieuse l'ébranlait. Mais surtout, il ne parvenait pas à comprendre pourquoi Irya la détenait. Seuls les plus grands érudits, patronnés par l'Ordre lui-même, pouvaient se permettre de détenir un tel artefact.

Qui donc pouvait être cette étrangère assise devant lui ?

Les secondes s'écoulèrent, avant qu'il ne lançât un regard frôlant la panique à la chasseresse.

  • Rangez immédiatement votre carte !

Elle s'exécuta sans broncher ; ce n'est qu'une fois la feuille dans la besace que les membres de la réunion se détendirent légèrement. De son côté, Zyr ne lâchait plus le sac du regard, ses émotions jonglant entre la terreur et l'excitation. Pour se reprendre, il tira de longues bouffées de son tabac. Celui-ci ne tarda pas à faire effet et parvint à le ramener un peu vers la sérénité.

  • Où l'avez-vous eu ? articula-t-il.
  • Ma famille est en possession de cet écrit depuis ses plus lointaines racines, patchas Zyr.
  • ... Votre famille ?

La chasseresse acquiesça une seconde fois.

Bien. Pour le moment, tout va bien. J'espère que ça continuera comme ça.

La suite risquait d'attiser leur méfiance, surtout à cause de ce qu'elle allait dire. Mais cela se trouvait être nécessaire.

  • Peut-être comprendriez-vous mieux la situation en sachant mon nom : je suis Irya Thÿr-Nog, membre direct de la famille Thÿr.

Un choc collectif s'abattit sur la petite assemblée à la mention de son nom complet. Le patriarche faillit en lâcher sa pipe ; ses yeux gris devinrent plus ronds que ceux d'un poisson. Irya contempla un à un les hommes et femmes présents, avant de conclure :

  • Au nom de mon clan, que je serais amenée à diriger dans un futur proche, je vous adresse une requête. Libre à vous de la refuser ; je ne vous en tiendrais pas rigueur.

Elle marqua une pause, et pria les cieux qu'ils accepteraient de l'aider. Alors seulement, elle s'exprima.

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