Chapitre 1 : Monstres et cartes - I -

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  • J'en peux plus...

Ventre retourné, assaillie de vertiges incessants, Irya tremblait sur le lit de l'auberge que les villageois lui offraient généreusement. Elle y resterait jusqu'à ce qu'elle guérisse de l'empoisonnement.

Quelques heures plus tôt, cette saleté de monstre avait profité d'une ouverture pour griffer son avant-bras droit. La lacération était légère, grâce aux cieux, mais à présent, elle en payait le prix !

Le plus tôt possible, pensa-t-elle, il faudrait changer la tenue de chasse.

Les griffes robustes du Kroâkoar avaient réussi à déchirer la matière pourtant solide de son habit. Au moins, les fils renforcés l'avaient protégé d'entailles trop profondes.

Une nausée la reprit soudainement ; Irya s'empressa d'attraper sa bassine. Dans un haut-les-cœurs, elle recracha de la bile. Son goût âcre et acide l'écœurait et la rendait plus malade encore.

La jeune chasseresse reposa la cuvette sur le chevet, avant de s'effondrer sur le matelas dur. Son sang tambourinait violemment derrière sa tête... ses bras tremblaient.

Ses yeux émeraudes fixaient sans but le plafond de granit jaune. Une lanterne en pierre solaire y était suspendue, propageant son aveuglante lumière dans la pièce. Un petit papillon, perdu dans l'espace, dansait tout autour pour venir s'y cogner. La chasseresse éprouva un pincement de pitié pour le pauvre insecte ; voletant après une chimère, il n'arrêterait sa course folle qu'une fois mort d'épuisement.

Je lui ressemble un peu... songea-t-elle sombrement avant que ses tripes ne se retournent à nouveau.

Maladroitement, elle agrippa la bassine pour hoqueter à l'intérieur.

Quelle douleur !

Épuisée et en sueur, elle renversa prudemment son bras afin d'inspecter sa blessure. Pour éviter l'infection, le médecin du village l'avait badigeonnée d'un cataplasme, avant de la recouvrir avec du tissu. En-dessous, sa chair palpitait et lui envoyait de régulières décharges électrique tout le long de son muscle.

Atroce, mais Irya devait supporter le traitement, aussi désagréable soit-il.

Au moins, l'adolescente échappait à de possibles complications. Certaines blessures, en apparence bénignes cachaient leurs propres risques. Cette lacération, si négligée, pourrait provoquer des nécroses. De là, son bras commencerait à pourrir... la suite était évidente.

Reposant sa tête dans son oreiller, Irya tenta de s'installer plus confortablement pour une petite sieste. Elle devait vite reprendre des forces, avant de demander à rencontrer le chef de ces lieux. Après tout, c'était le but de son voyage jusqu'au désert de Syhrkà. Et puisqu'elle les avait débarassés de l'amphibien, la chasseresse avait de bien meilleurs chances pour la suite.

Si le chef de ce village se montrait conciliant, poursuivre plus loin serait moins risqué.

oOo

Habituellement, la nuit glaciale qui recouvrait les étendues de Syhrkà forçait les créatures humaines et animales à s'abriter ; afin d'éviter l'hypothermie et les dangers qui se cachaient dans l'obscurité. Ainsi, il était ardu de dénicher le moindre signe de vie. On pouvait parcourir des dizaines de kilomètres sans rien trouver. Mais au pied d'une falaise, depuis la disparition de l'astre solaire, un village brisait la quiétude du soir. Dans l'enceinte d'une immense muraille minérale, sous un somptueux toit étoilé et entourés par des lanternes panachées festoyaient les villageois ; parés de leurs plus belles tuniques, réunis en cercle autour d'un brasero géant.

Les musiciens jouaient avec enthousiasme leurs morceaux les plus joyeux. Sous les flûtes, les tymbales et les tambourins, les danseurs donnaient vie à la musique entraînante ; pour cette occasion, ils présentaient leur meilleur numéro. Celui propre au peuple du désert : la danse des sabres. Jonglant avec, les artistes les faisaient tournoyer partout dans les airs. Au-dessus de leurs têtes, autour de leur corps, ils maniaient les lames mortelles avec une dextérité presque inhumaine. À la fin de leur chorégraphie, les applaudissements et les cris du public récompensèrent leur grandiose prestation.

Puis d'autres acteurs venaient ; cracheurs de feu, gymnastes et illusionistes révélaient sous leurs yeux enchantés de merveilleux spectacles.

Les rires, les exclamations et la joie que chacun démontrait ajoutaient force et splendeur à ce tableau animé. Tous, du plus jeune au plus âgé, homme ou femme, profitaient de la fête qui honorait l'étrangère qu'ils reccueillaient. Cette dernière, à peine sortie de trois jours de convalescence, jouissait autant qu'elle le pouvait de leur hospitalité. La fête que les habitants avaient organisé pour la remercier lui allait droit au cœur. Même si elle n'avait pas récupéré assez de forces pour pleinement participer, Irya faisait connaître de vive voix tout le plaisir qu'elle éprouvait.

Et surtout, la jeune fille rendait grâce au banquet qui accompagnait les réjouissances. Manger lui avait manqué ; logique, en sachant que la seule chose dont elle avait pu se nourrir fut une soupe insipide. À tous ses repas, matin, midi et soir : soupe, soupe, encore de la soupe. Un calvaire...

Mais il prenait fin ce soir, alors que des plats composés de salades, de viandes grillées, de couscous et légumes locaux marinés étaient progressivement amenés sous son regard affamé. Depuis sa place, leurs fumets lui parvenaient et promettaient un goût fabuleux.

Lorsque le chef proclama aux siens d'interrompre momentanément la fête pour le dîner, la foule se précipita vers le festin. Dans le cas d'Irya, on la dirigea vers un feu secondaire où se réunissait déjà une dizaine d'individus, dont le patriarche. La table fut dressée ; ils s'installèrent sur des coussins pourpres et entamèrent le repas.

Irya piocha dans son assiette et décida d'essayer une galette de semoule, garnie d'un enrobage ambré. Une symphonie gustative emplit son palais ; les arômates et le miel se mariaient parfaitement. L'exquise denrée fondait presque sur sa langue. L'adolescente fredonna de ravissement, conquise par cette recette.

Peu après, l'un de ses voisins lui proposa un rafraîchissement. Avec un sourire, la chasseresse présenta son verre vide, bientôt généreusement rempli d'un liquide écarlate. Curieuse, elle leva la coupe et huma le ton capiteux de sa boisson. Elle reconnut les fruits et l'alcool, mélangés à un autre ingrédient secret, proche de l'épice. Même si la jeune fille ne buvait pas, elle s'imposa une gorgée pour honorer ses hôtes, priant pour que ça ne soit pas trop fort.

Le liquide tiède dépassa ses lèvres ; elle se retint bravement de cracher. Pour apaiser l'affreuse brûlure, Irya croqua dans sa galette et s'efforça de cacher son malaise.

Lorsque le feu du breuvage s'apaisa et propagea une douce chaleur dans son ventre, l'adolescente se concentra sur le groupe qui l'entourait. Ils se distribuaient les plateaux garnis de nourriture, tout en échangeant quelques phrases dans leur dialecte. Les mots défilaient plutôt vite, mais Irya comprenait certains termes. Ils semblaient parler de leurs troupeaux de camélidés ; le Kroâkoar avait empêché les bergers d'emmener leurs bétails vers leurs précieux pâturages. Désormais, ils pourraient reprendre leurs terres abandonnées. Un autre évoqua les futurs déplacements vers les marchés organisés par différents villages. L'un d'eux devait se tenir la semaine prochaine.

  • Ta traduction n'est pas fausse, mais le marché ne se produira qu'au début du mois qui suit. Le reste, tu as raison.

La voix familière qui retentit soudainement dans son esprit la fit presque sursauter. Mis à part le bref tressautement de ses sourcils, personne ne devina son trouble. Irya garda ses yeux rivés sur le repas et fit mine de manger. De côté, elle se focalisa sur ses pensées.

  • Tu es là, toi ? Fini de bouder ?

Un grognement mental résonna. Manifestement, il ne semblait pas apprécier son humour, résultat d'un ego bien écrasé. La chasseresse se retint de glousser. Parfois, il pouvait être pire qu'un enfant !

  • Ça prend trop de temps. On aurait pu régler l'histoire le jour-même si tu avais fait un poil plus attention !

La remarque insolente percuta de plein fouet la jeune fille, qui fit presque l'erreur de répliquer verbalement. Au lieu de ça, derrière son visage lumineux, sa mâchoire se contracta.

  • Attends... parce-que c'est de ma faute ?! Si môssieur avait daigné se montrer, je ne serais pas tombée malade à cause de ce foutu crapaud !

Il avait un de ces toupets ! Qui avait été souffrante et cloué au lit : lui ou elle ?! En réponse, Irya perçut un ricanement à peine dissimulé. La jeune fille imaginait sans peine son sourire arrogant, ce qui acheva de l'irriter.

  • Excuse-moi de dire la vérité. Au fait, leur chef est en train de t'observer. Sois convaincante.

Sa remarque coupa court à leur échange chauffé. L'adolescente revint aussitôt dans le présent. Tous les bavardages à proximité avaient cessé, et chaque paire d'yeux était tournée vers elle. En face, le chef la dévisageait. Malgré son vieil âge, trahit par sa barbe grisonnante et sa peau basanée creusée de rides, un feu vigoureux dansait derrière ses prunelles.

  • Avez-vous bien mangé, til Irya ?

Le patriarche s'exprima à elle en Ìrhnien impeccable, la langue native de la chasseresse. Ses hôtes l'avait employé couramment tout le temps de sa guérison pour dialoguer avec elle, prouvant un remarquable polyglottisme.  

Avant de répondre au chef, Irya s'agenouilla et posa ses mains sur ses jambes, puis s'inclina avec déférence.

  • Un vrai régal, patchas Zyr. Je vous remercie encore d'avoir pris soin de moi après l'incident du Kroâkoar.

Zyr renvoya sa politesse d'un mouvement de la main, secouant la tête.

  • C'était la moindre des choses après nous avoir protégé de cette offensive. Vous avez livré un bien beau combat, jeune chasseresse.

Irya accueillit son éloge en s'inclinant à nouveau avant de se rasseoir. Le vieux chef prit une nouvelle gorgée de sa coupe ; il ferma un instant ses yeux, pensif.

  • Vous savez, poursuivit-il après une courte réflexion, il est bien rare que des étrangers voyagent si loin dans le désert. Cette période de l'année n'est pas non plus le meilleur moment pour se risquer à une traversée.

La respiration de la jeune fille se bloqua une seconde, mais elle conserva un masque impassible ; le chef l'interrogeait déjà ? Elle aurait pensé qu'il attendrait un peu plus, au moins jusqu'à la fin de la soirée. Sans répondre, Irya décida de le laisser continuer, et Zyr ne se gêna pas de le faire :

  • Le soleil frappe durement, et les bêtes sont plus actives. Si votre objectif était de couper court pour rejoindre le continent de Zagàr, vous avez mal choisi votre moment.

Après des années à veiller sur les siens, le vieil homme avait vu défiler bien des gens. En quête d'un logis, pour s'orienter dans ces vastes étendues arides... ou autre chose. En tout cas, la venue de cette étrangère jusque dans cette région reculée n'était certainement pas due au hasard.

Irya, qui osa croiser son regard clairvoyant, comprit qu'il savait. Mais l'homme du désert avait assez de tact pour la laisser s'expliquer d'elle-même. Toujours aussi calme, l'adolescente se prépara à se prononcer.

  • Si c'est votre souhait, je serais ravie de pouvoir vous éclairer, quant à ma présence ici... et les raisons de ma venue. Seulement, je voudrais que ce soit en privé. Comprenez que je préfère les garder aussi secrètes que possible.
  • Je n'y vois aucun inconvénient, convint Zyr. Nous pourrons discuter dans ma loge, nous y serons tranquilles. Mais avant, profitez de cette fête ; après tout, elle vous est due !
  • Avec grand plaisir ! accepta Irya, soulagée.

Le patriarche leva sa coupe dans sa direction ; la chasseresse répéta son geste, avec l'ensemble des leurs. Ils portèrent un toast à leur sécurité, et poursuivirent sans plus d'interruption la soirée.

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