Crime et châtiment

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Elle avait eu de la chance de s’en sortir. Non, ce n’était pas ça qu’il fallait dire. Elle allait éventuellement mourir dans les prochaines minutes, d’un simple regard de pitié. Voilà, c’était plutôt ça. Elle ne supporterait pas de regarder ses yeux emplis de tristesse et son sourire chagriné la poignarderait d’un grand coup en plein cœur. Peu lui importait de savoir si oui ou non elle pourrait combattre à nouveau, si elle souffrirait de ses blessures par temps humide ou si elle allait mourir, elle ne voulait pas qu’il la voit pas dans cet état mais elle n’était pas capable de faire quoi que ce soit pour l’éviter.

- Ma Zelda… ! Comment vas-tu ?

Elle tourna la tête, bien qu’elle n’ait pas besoin d’image pour savoir qui lui parlait. Il tira une chaise, qui grinça horriblement sur le carrelage et s’y laissa tomber. Une mèche de cheveux roux lui apparut, tandis que deux doigts décollaient une mèche humide de son front. Elle ferma les yeux et sa mâchoire se contracta sans qu’elle ne s’en rende compte. Son teint prit une teinte légèrement rosée, c’était tout ce qu’il pouvait faire pour montrer son embarras.

- Je sais, tu n’aimes pas que je vienne te voir quand tu n’es pas bien, reprit l’homme d’une voix étrangement mielleuse. J’ai croisé Victoria et Mamoru dans le couloir, ils m’ont dit que tu t’inquiétais de l’état du petit albinos que tu as ramené plus que de ta santé.

- Et alors ? marmonna-t-elle, tout en l’évitant du regard. Je n’ai pas le droit ?

- Disons plutôt que ça ne te ressemble pas. Apparemment, tu avais l’air plutôt de bonne humeur alors je dois bien avouer que je me demande si je n’ai pas fait une erreur en te permettant de rentrer aussi tôt. C’est comme si tu n’étais plus la même.

- Je suis la même, c’est juste que…

- C’est lui, n’est-ce pas ? C’est l’enfant ? Il te rappelle ton frère ? C’est pour ça que tu l’as ramené, alors que notre logique aurait voulu que tu le prennes en otage ou que tu le laisses sur les lieux ?

- Non, c’est autre chose…

- Quoi, alors ? s’impatienta-t-il, sa voix s’élevant plus qu’il ne l’aurait voulu.

- Elle, murmura-t-elle, consciente de ce qu’allait déchaîner ses paroles. Je n’arrive pas à… C’est comme si… Je suis désolée…

- Tu avais promis. Tu devais l’oublier. Tu devais tout faire pour ne pas qu’elle parasite tes pensées.

- Je n’y arrive pas… Et… Et oui, Kazumi n’y est probablement pas pour rien, mais je… Je ne veux pas qu’il… qu’il s’en aille.

- Tu sais que c’est lui qui t’as mise en danger ?

- Il ne pouvait pas savoir… Il n’a que huit ans, il n’a pas conscience de…

- Tu en avais sept lorsque je t’ai adoptée. Tu savais déjà…

- J’étais dans un orphelinat, pas dans… Dans une famille d’accueil… Je ne savais pas la moitié de… De ce dont il a été la victime, même après que vous… Que vous m’ayez recueillie… Je n’avais pas… été abandonnée, je n’avais pas assisté à ça, je ne savais pas à quoi ressemblait… Une flaque de sang… Je n’avais jamais…

- Qu’est-ce que tu veux dire ? Comment est-ce qu’il aurait pu…

- Les films lui ont montré, continua-t-elle de sa voix faible, hachée. Ses parents l’ont condamné à le subir, il a… assisté à la violence des hommes, véritablement… C’est moi qui l’ai sorti de là. Moi qui lui ai caché le sang. Moi qui l’ai fait couler, aussi… Moi qui lui ai fait goûter les gaufres, le chocolat chaud, les crêpes, les croissants…

- Tu veux que j’aie pitié de lui, c’est ça ? tonna son père en se levant, tournant le dos à sa fille.

- Je veux que quelqu’un… comprenne que… quitte à plaindre l’un de nous, peut-être que… ce n’est pas moi. Même si je dois mourir, être paralysée, je…

- Bonne nouvelle Zelda ! l’interrompit une voix qu’elle connaissait. Tu ne vas pas mourir et lui non plus, parole de médecin ! Et tu le rejoindras bientôt !

- Qu’est-ce que j’avais dit, Docteur ? beugla le Boss en frappant de toutes ses forces sur un chariot métallique vide. Pas de bonnes nouvelles pendant ma visite !

- C’était ça ou vos deux furies défonçaient la porte pour lui dire, s’indigna un petit homme en blouse blanche, tout empourpré de colère. Alors je serais vous je baisserais d’un ton !

- Pardon ?

- Excusez-moi, monsieur, je me suis laissé emporter, je pensais pas…

Il s’excusa et partit en courant, sans laisser à quiconque le temps de bouger. Pour lui, d’habitude si hésitant, un tel comportement ne pouvait vouloir dire qu’une chose : la journée avait été longue et il avait d’autres patients sur liste d’attente…

- Il a de la chance d’être le seul à avoir accepté ce job, grinça l’homme en furie, sinon je l’aurais égorgé sur-le-champ. Et toi aussi, Zelda. Les deux raisons que tu as invoquées sont complètement folles et au vu de la situation, j’ai peine à croire que tu ne l’es pas. Explique-moi, s’il-te-plaît, comment tu en es arrivée là, comment tu as pu exécuter de sang-froid un officier de police, devant des dizaines de personnes, ton implant toujours activé et ressortir pour prendre le tramway, en ayant pris deux balles, avec un enfant blessé dans les bras.

Elle avait craint son regard, mais pas ses mots ni son ton. Elle pouvait ajouter ça à la liste de ses erreurs. Et elle savait que garder le silence en serait une autre, mais elle préféra ne rien répondre, encaisser, sans réagir.

- Tu sais très bien ce qu’il va se passer, si tu continues à ne rien dire.

- Je sais et je le mérite, murmura-t-elle, apathique, sa gorge et ses lèvres sèches se déchirant avec chaque mot. Je mérite toutes les punitions.

- Je pourrais te dénoncer.

- Très bien.

- Je pourrais t’empêcher de le voir.

- Peu m’importe tant qu’il est sain et sauf.

- Je pourrais le battre à mort.

- Bien sûr, mais vous ne le ferez pas.

- C’est vrai. Tu préfères que je dise la vérité à tout le monde ici ? reprit-il d’un ton un peu plus menaçant.

- Comme vous voudrez.

- C’est vrai ? Je peux ?

- Vous choisissez mon châtiment, je n’ai pas mon mot à dire.

- Sur ce sujet, bien sûr que si. Je ne peux pas décider de dévoiler ça comme ça, c’est trop…

- C’est ridicule. Je vous l’ai dit, si quiconque m’avait posé la question, j’aurais répondu honnêtement. Que ce soit vous ou moi n’importe pas vraiment. Faites ce que vous voulez.

- Alors je ne ferai rien. De toute façon, ça ne changera rien, n’est-ce pas ?

- Je ne contrôle ni mes sentiments ni mes émotions et oublier sur commande est impossible. Ça ne veut pas dire pour autant que rien ne changera.

- Crois-moi, il faudrait que le monde sombre dans la guerre pour que tu changes. Je te connais depuis assez longtemps pour pouvoir te dire que tu es et resteras probablement la même jusqu’à la fin.

- À moins que…

- À moins que tu ne deviennes soudainement alcoolique, que tu ne te mettes à faire des régimes et à profiter de ton temps libre. Ou que tu n’acceptes de vivre comme ceux de là-haut. Bon, comme à ce que je vois, tu es encore pire vivante et consciente qu’entre la vie et la mort, je vais te laisser, j’ai une réunion qui m’attend.

Il se releva, repoussa la chaise contre le mur, resta un instant le regard perdu dans le vague et sortit de la pièce en silence.

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