Chapitre 55

5 minutes de lecture

- Quoi, qu’est-ce qu’il se passe ? beugla Zelda en se redressant précipitamment, à peine réveillée.

- Rien, répliqua sèchement le docteur en claquant la porte.

- Comment ça, rien ? C’est encore Louis, c’est ça ?

- C’est ça. Et à ce niveau, il va falloir redécorer la pièce si on veut cacher les tâches de sang.

La jeune femme soupira. Swan et Victoria lui avaient expliqué la situation, elle la comprenait, mais l’accepter… Elle qui ne l’avait jamais soupçonné de nourrir des sentiments à son égard, qui l’avait rejeté sans ménagement, elle se sentait responsable de sa folie. L’inquiétude, la colère, la peur, le désespoir ou autant d’émotions capables de détraquer un cerveau, même en bonne santé. Autant d’émotions qui n’avaient surgies que parce qu’elle avait bouleversé sa vie. Elle ne lui avait pas laissé le choix.

Un léger sourire étira ses lèvres lorsqu’elle se souvint de son scepticisme, du choc qu’elle lui avait infligé tout en haut de la Tour Eiffel, de l’euphorie du combat. De la beauté de cet autre monde qui lui avait offert ce qu’il y avait de plus beau dans sa vie. Sa rencontre avec Valkyrie sur un champ de bataille, chaque fer qu’elle avait croisé… Il n’y avait pas que du mauvais, dans cette technologie, mais qu’elle permette le meurtre, qu’elle ne l’arrête pas alors même qu’elle avait accès à toutes ses pensées… S’il suffisait d’un hacker assez capable pour décocher une option de contrôle, presque n’importe qui pouvait le faire. Pourtant, personne à part leur groupe de résistance ne le faisait.

- Zelda ?

Le ton froid du docteur la mit immédiatement sur la défensive.

- Quoi ?

- Dehors.

Il y eut un instant de silence. Elle releva la tête, croisa le regard on ne pouvait plus sérieux du médecin et fronça les sourcils. Elle faillit éclater de rire, mais elle avait parfaitement compris que ce qu’il venait de dire n’était pas une blague. Sa tête se pencha sur son épaule tandis qu’elle cherchait une manière de lui expliquer qu’elle n’en était pas capable. Son sourire fana au moment où elle comprit que l’ordre ne venait pas uniquement de lui, mais également de Swan. Et que par conséquent, ils ne lui laissaient pas le choix. Capable ou non, ils lui ordonnaient de survivre. Telle était la loi ici-bas.

Et elle l’honorerait. Hors de question qu’elle perde la vie par faiblesse. Et puis, il faudrait faire au moins ça si elle voulait participer à la phase finale du plan. Elle devait survivre. Rien de plus simple pour une meurtrière, elle prenait les vies, les autres n’avaient pas leur mot à dire.

Elle ne sourit pas en montant l’échelle qui la ramenait à la surface. Tous ceux qu’elle avait croisés cherchaient à fuir ses regards, sa présence. À l’extérieur, ce serait le contraire. Elle le savait. Elle n’avait pas le choix.

Le vent faillit l’emporter lorsqu’elle sortit de la boîte de nuit. La bourrasque lui rappela que sous terre, il n’y avait qu’à craindre les courants d’air et les angines, mais qu’ici, les tempêtes et les orages pouvaient aussi se déchainer. Comme quelques gouttes glacées tachaient le béton à quelques millimètres de ses bottes noires, Zelda releva les yeux vers les murs effondrés et goûta à la fraîcheur de cette pluie de printemps. Une bourrasque manqua de la déstabiliser, mais elle éclata de rire, sans vraiment savoir pourquoi. Ces sensations avaient toujours éveillé en elle un bonheur incompréhensible, mais toujours aussi enivrant. Et cette fois-ci ne faisait pas exception. Elle ferma les yeux, prit une grande inspiration et, sans vraiment savoir ce qu’elle faisait, s’élança. Un grondement fit trembler la terre.

Le soir tombait depuis plusieurs heures, plongeant les ruines d’une autre civilisation dans un monde de poussière, de suie et de béton grisâtre, humide. Rares étaient les silhouettes qui bravaient l’orage. Dans ce paysage désolé, noyé sous la tristesse des murs vides et délabrés, quelqu’un riait. Le claquement de ses semelles, bien qu’étouffé par la pluie, résonnait comme des coups de feu dans la rue. Les rares habitants qui se tournaient vers leurs fenêtres s’inquiétèrent de la situation mais ils laissèrent filer la flèche noire, faible et haletante, dont le rire s’envolait jusqu’à percer les nuages.

Elle ne se rendit même pas compte que son conducteur habituel l’attendait. S’il l’interpela, son cri se perdit dans ses transports de joie. Elle le dépassa en courant si naturellement qu’il douta de ses informations. Cependant, lorsque ses jambes la lâchèrent quelques mètres plus loin au milieu d’une flaque d’eau et qu’il la récupéra, au bord de l’inconscience, un sourire magnifique accroché aux lèvres, sa pâleur le frappa. Il dût la traîner jusqu’à sa banquette arrière et l’y allonger en attendant qu’elle reprenne ses esprits. Ou plutôt que sa respiration redevienne silencieuse.

- Zelda, murmura-t-il d’un ton doux, qu’est-ce que tu fais ?

- Je survis, Bob, je survis.

- Tu as vu l’état dans lequel tu es en train de te mettre ? Qu’est-ce qui t’arrives ?

- Je me sens bien, tu ne peux pas imaginer… Il fait tellement bon ici…

- Bon sang, c’est la tempête dehors ! Et toi tu cours !

- Eh oui, je retrouve ma liberté après des mois alitée, il faut bien que je me lave, non ?

Il la regarda, tentant de deviner une lueur de raison dans ses yeux, puis soupira.

- Je te reconduis chez toi et j’appelle ton père au moment où tu passes la porte de chez toi. Tu ne devrais pas être dehors.

- Ah oui ? Alors autant le faire tout de suite, puisque sans lui je serais encore six pieds sous terre.

L’homme soupira en secouant la tête. Ces deux-là se seraient fichus de lui jusqu’à la fin. Mais à quoi est-ce qu’ils pouvaient bien penser ?! Elle n’était absolument pas en état de mettre le nez dehors ! Et même si son corps n’avait pas l’air si abîmé, contrairement aux informations qu’il avait reçues, son esprit avait définitivement mal supporté le choc. Et ça, Swan allait le regretter.

Il la conduisit au pied de son appartement et l’entendit jaillir de la voiture sans fermer la portière. Le temps qu’il prit pour jurer et se dégager du volant suffit à la faire disparaître. Il ne cria pas son nom, il ne partit pas à sa poursuite, non, il savait que c’était inutile. Cette ville était sa deuxième maison, si elle était capable de ne pas être maîtrisée à l’instant même où elle entrait à visage découvert dans une ville où tout était fait pour la retrouver.

Vraiment, Swan allait regretter de lui avoir forcé la main.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Renouveau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0