Chapitre 53

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- Tu es sûre que c’était ce qu’il fallait dire ? C’était pas dangereux ?

- Je ne vois pas où est le danger, Louis, soupira Mamoru en se levant du lit pour aller s’appuyer contre la porte.

- Pour nous, c’est pas… ?

- Non, bien sûr que non ! Elle sait déjà tout ça, elle connaît notre informatrice infiltrée, elle a même été en prison pour Zelda ! Qu’est-ce que tu veux que ça change, qu’on communique avec elle de temps en temps et qu’elles se passent des petits messages d’amour ? Rien, ça ne changera rien.

- Pourquoi j’ai plus le droit d’aller la voir à l’infirmerie, alors ?

- Je n’ai pas tout compris, marmonna le jeune asiatique en détournant le regard. Quelque chose comme une pulsion meurtrière que Victoria aurait vue dans tes yeux. Si ça peut te rassurer, sa copine n’est pas non plus autorisée à venir la voir.

- Mais elle peut l’appeler à des kilomètres, protesta doucement le jeune homme, alors que je suis à deux pas mais sans pouvoir passer une porte. Vous trouvez pas ça injuste ?

- Pas si c’est pour votre sécurité à tous les deux. Voir à tous les trois, d’ailleurs. C’est pour le mieux, alors prend ton mal en patience, et quand elle ira mieux, tu pourras aller te plaindre directement à Zelda, d’accord ?

Ils soupirèrent tous deux. Combien de fois avaient-ils eu cette discussion ? C’était une bonne question. De toute façon, ces derniers temps, il n’y avait que ça qui intéressait Louis. Mais ni Victoria ni le boss ne le laisseraient approcher de leur protégée, de toute façon. Ça ne servait à rien d’insister, encore moins de répéter la même chose trois fois par jour à la seule personne qui acceptait encore de venir le voir. Tous les autres s’étaient déjà disputés avec lui, parfois jusqu’à en venir aux mains. Même le calme petit Kazumi avait fini par lui mettre un coup de poing dans le nez, après une crise de jalousie particulièrement injuste à laquelle Izumi, la grande sœur blessée de Mamoru, avait assisté. Et même elle, qui ne connaissait pas jusque-là, refusait depuis de mettre les pieds dans la chambre de Louis tant qu’il ne se serait pas excusé auprès de tout le monde, ce qui n’était pas peu dire. Aucun des proches de Zelda n’étaient parvenus à le supporter plus d’une semaine.

Ce n’était pas la pensée la plus rassurante que le jeune homme puisse avoir, surtout en présence de l’intéressé. Louis semblait pourtant s’être calmé. Le dos appuyé contre le mur, la moitié du corps ensevelie sous une couverture rappée et mangée aux mites, il regardait le plafond les yeux fermés, un sourire étrangement fou sur les lèvres. Ça n’augurait rien de bon. S’il pensait à Zelda, il embraierait immédiatement sur le même sujet que celui qu’ils abordaient quelques minutes auparavant. Et le pauvre homme commençait à se demander s’il changerait un jour de sujet. Il ne détestait pas en parler, mais son stock d’arguments épuisé et sa volonté proche du néant le rendaient irascible. Il commençait même à se demander pourquoi il tenait tant à ne pas laisser cet homme seul alors que c’était tout ce qu’il méritait.

Et puis, comme pour lui donner raison, une main le saisit par le col et le plaqua contre le mur, sur la pointe des pieds. Tout ce que le jeune chef de l’organisation pouvait voir, c’était le visage enragé de son subordonné. Et la déformation de ses traits ne laissait rien présager de bon.

- Quand ? beugla-t-il soudainement, postillonnant à la figure de son interlocuteur. Quand est-ce que j’pourrais la voir, hein ?! Qu’est-ce que vous me cachez, tous ? Vous voulez pas que je la vois, c’est ça ? Qu’est-ce que vous lui avez fait ? Qu’est-ce que cette p… de Présidente lui a fait, hein ? Qu’est-ce que vous me cachez ?!

- Silence, siffla l’autre, essayant de retrouver son calme, de desserrer les poings. Du calme. Tu vois, c’est pour ça que…

- Parce que ça va être de ma faute maintenant ! Casse-toi ! Casse-toi, je veux plus te voir ! Et que personne vienne me déranger si c’est pas pour que je puisse la voir !

Il le projeta au sol, oubliant un instant que c’était un assassin bien plus entraîné que lui. Des cris et des coups résonnèrent, comme souvent ces derniers jours et les gardes à la porte soupirèrent. L’expérience leur avait appris qu’il valait mieux attendre sagement que la situation se calme et que la pièce retrouve son silence avant d’ouvrir pour laisser rentrer un médecin et sortir l’un des lieutenants, généralement furieux de s’être laissés emporter. Et cette fois-ci ne fit pas exception à la règle. Le Mamoru qui sortit de la chambre fit sursauter les deux gardes. Il était extrêmement rare de le voir s’énerver, mais ce n’était jamais, ô grand jamais, un spectacle fascinant. Au contraire. L’héritage d’une vie d’entraînement, de frustration qui se lisait sur son visage résumait succinctement ce que son cœur dissimulait la plupart du temps.

Et le spectacle à l’intérieur de la pièce terrifia les infirmiers dépêchés sur place. Du sang, il y en avait sur tous les murs, sur toutes les surfaces, jusque dans les draps du lit. Leur patient gisait au sol, le nez cassé pour la douzième fois en un mois, le visage et le corps griffé, couvert de bleus, mais il respirait. Des bulles de sang éclataient à chaque respiration volée, tâchant jusqu’à ses cils et ses yeux gonflés, faisant trembler son menton brisé d’où coulait le sang qu’il ne pouvait pas cracher. En temps normal, son transfert vers un lit d’hôpital se serait fait sans qu’on demande la moindre autorisation, cependant, qu’importait la situation, le boss avait dit non. Même s’il est au bord de la mort, il ne mettra pas un pied dans la même pièce que ma fille, avait-il beuglé lorsqu’on lui avait posé la question. Les ordres sont les ordres et le premier qui osera me désobéir subira le même traitement que l’homme qu’il aura aidé à s’infiltrer dans cette pièce, avait-il ajouté en promenant un terrifiant regard de défi sur l’assemblée.

Tandis qu’on s’affairait autour de Louis, son agresseur alla s’installer au bar, devenu le quartier général du comité de soutien et de protection de Zelda Carmen, comme l’appelaient les autres. C’était simplement le point de rendez-vous de ses amis entre leurs tours de garde et leurs périodes de sommeil obligatoires. Et bien que l’alcool coule à flot, l’atmosphère n’avait rien de joyeuse, au contraire. On se serait cru à un enterrement. Même depuis qu’elle avait reçu l’autorisation de se lever, il leur était pénible d’en parler comme s’un d’un progrès. Certes, la situation différait complètement de celle des premiers jours, mais entre celle qu’elle qu’ils avaient connue, pleine d’énergie, et celle qu’ils avaient veillée, alitée des jours, des semaines, à peine capable de tenir un verre d’eau semblaient parfaitement incompatibles. Leur cœur refusait absolument de l’identifier comme la même personne.

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