Chapitre 43

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L’obscurité s’était faite. Quelque part, la voix d’un technicien commença un compte à rebours. Elle prit une profonde respiration, repassant les principales idées à aborder, et se laissa son corps profiter des derniers instants de repos qu’il pouvait avoir.

Au dehors, le monde se figea. Il y eut comme un bug, un instant durant lequel tous les champs de vision s’emplirent de la réalité, avant de plonger leurs regards dans la même obscurité. Au beau milieu d’une journée ensoleillée, tous les français eurent un aperçu de la mort. Puis sa voix résonna, froide et implacable.

- Vous êtes des idiots. Tous, autant que vous êtes. Des imbéciles. Vous n’avez jamais pensé qu’il y avait des gens qui ne pouvaient pas bénéficier de ce que vous considériez comme acquis.

La lumière tomba directement sur sa silhouette. C’était un visage qu’ils ne pouvaient pas oublier, pour l’avoir si souvent vu aux informations. Pour certains, elle était belle, avec sa peau claire, ses yeux chocolat brillants et ses longs cheveux bruns bouclés. Mais cette fois-ci, tous s’accordaient sur un point : elle était à la fois magnifique et effrayante. Dans ses yeux à la couleur si chaude, une tempête de neige avait élu domicile. Son visage était glacial, et sa voix posée, méprisante, trahissait un cœur gelé jusqu’au plus profond de son être. Comme en écho à l’hiver sous les couleurs automnales, un collier à lacets orné d’un pendentif ambré brillait sur sa poitrine et effaçait le beige presque blanc de son manteau et le gris perle de son veston. Cette apparente élégance contrastait violemment avec le ton de sa voix ainsi qu’avec la tension qui tiraillait son corps de toute part.

- Mais je ne vous en ferai pas le reproche aujourd’hui. Parce que c’est autant de votre faute que de la nôtre, à la simple différence que, par ce message, nous allons la faire disparaître. C’est un avertissement, rien de plus. Faîtes attention à vous. Ou plutôt non, faîtes attention à nous. Parce que nous sommes parmi vous depuis bien plus longtemps que vous ne l’imaginez. Et je ne suis pas la seule. Lorsque vous m’avez trouvée, il y a quelques semaines, je n’en étais pas à ma première incursion dans la capitale de la technologie, alors que vous me cherchiez à tout prix. Pire encore, d’autres savaient. Mais ils n’ont rien dit. J’imagine que vous vous dîtes que je vous mens, alors je vais en profiter un peu. J’ai des complices dans la maison-mère et jusque dans le top cinq de Synestya. Peut-être qu’il manque quelqu’un à vos côtés. Peut-être que ce quelqu’un est aux miens, en ce moment même. N’est-ce pas, C ?

- Totalmente, Zelda. Nous sommes très fiers d’être à tes côtés, Kazumi, A et moi.

- C’est un honneur, vraiment.

Les deux voix avaient résonné étrangement. Aucune n’était reconnaissable, mais leurs émotions transparaissaient horriblement, comme si un robot avait soudainement découvert qu’il pouvait s’exprimer.

- Comme vous pouvez l’imaginer, je vais revendiquer toutes les attaques et toutes les actions conduites depuis notre création, tout en précisant celles que j’ai moi-même perpétrées afin qu’aucun doute ne subsiste. Chers policiers, prenez des notes, c’est une occasion qui ne se représentera peut-être jamais ! Commençons par les plus récents… Le policier du commissariat du onzième arrondissement, après qu’il m’ait mis une balle dans l’épaule et une dans la hanche et qu’il ait touché Kazumi dans le dos. Le massacre des violeurs de la laverie, pour sauver cet enfant. Celui des équipes de sécurité d’INRIS, il y a quelques mois, à côté de la gare de Boissy-Saint-Léger…

La voix calme de la jeune femme débita un par un les noms des affaires, les personnes condamnées, celles dont elle connaissait le nom, tout en justifiant les actes qui lui paraissaient nécessaires. Son visage n’était cependant pas fermé. De temps à autres, ses lèvres hésitaient, sa voix se cassait, et elle devait rapidement murmurer certains noms. Lorsque son regard s’embrasait, un certain sourire naissait sur ses lèvres sans qu’elle ne parvienne à le réprimer. Elle récita ainsi plus de vingt ans de meurtres, de manifestations sanglantes, d’attentats à la bombe, au couteau, de suicides également, tout en déplorant leurs pertes. Si la plupart ne la concernaient pas forcément, c’est au nom de Théo Kaïra qu’elle faillit s’effondrer. Elle n’y ajouta que libellé de son premier meurtre, prit une grande respiration et s’interrompit. Obligée d’essuyer les larmes qui coulaient sans qu’elle ne puisse les arrêter, elle mit plusieurs secondes à déchiffrer le prochain nom. Plusieurs fois, elle voulut reprendre la parole, mais sa voix se brisait avant qu’elle ne prononce le moindre mot. Un lourd soupir faillit se changer en sanglots, tandis qu’elle tentait de rassembler ses émotions.

- Je m’excuse pour cette interruption. Et je tiens également à m’excuser auprès des parents de cet enfant. S’il est une consolation, sachez qu’il n’a pas souffert. C’était mon premier meurtre, et ce n’était pas contre lui, au contraire. C’était pour savoir si j’étais capable… Si j’étais capable de le faire. Je suis vraiment désolée, ç’aurait pu être n’importe qui, n’importe lequel des enfants, mais il a été le dernier à sortir… Excusez-moi.

La caméra se baissa sur la petite main serrée dans celle de la jeune femme, avant de glisser vers le visage triste de Kazumi. Elle respira à nouveau et reprit sa macabre liste. Lentement, elle récita ces noms, raffermit sa voix, mais sans retrouver sa véritable sérénité. Une fois arrivée au bout, elle laissa le silence se faire, espérant en profiter pour se reprendre en main.

- Merci Zelda, reprit la douce voix de Louis. Vous voyez que malgré les crimes effroyables que nous avons commis, nous avons conscience de la valeur d’une vie. Je sais que ça vous paraît pitoyable, de pleurer pour une vie qu’on a enlevée, mais ce que vous pouvez pas voir, c’est l’impact que cette vie a sur tous ceux qui sont ici. Même ceux qui sont capables de se fondre dans votre masse ont une limite. Vous qui avez perdu un proche, dîtes-vous qu’il n’y a personne autour de moi qui ait pas subi ce que vous avez subi, qui ait pas souffert comme vous, et peut-être plus. Et vous savez à cause de qui ? À cause de vous. Eh oui, à cause de vous. Si vous vous êtes posé la question, si un jour vous vous êtes demandé s’il existait des gens qui pouvaient pas vivre comme vous, qui pouvaient pas être implantés, la réponse est oui. Prenez un instant, maintenant, quand vous voulez, pour vous poser une question très simple. Comment se fait-il que vous l’ayez jamais su ? Comment se fait-il qu’on vous soutienne toujours que non ?

- Vous voulez la réponse ? les questionna une Zelda moqueuse. Parce qu’on ne vous dit pas tout. Et vous savez quoi ? Ce que A a dit est vrai. Nous vous disons la vérité, et je prends le risque de vous montrer que je suis libre, libre et vivante, pour vous assurer autre chose. Ce que je fais là, jamais votre gouvernement ne le fera. Parce qu’il a bien trop à perdre. Nous, de toute façon, on a tout essayé. Il a couvert tous nos actes. Tous ces gens morts dont j’ai parlé ? Nous espérions en faire des héros, des gens dont on se souviendrait comme ceux qui auraient permis de révéler au monde une immense vérité. C’est la lâcheté des politiques et l’inutilité de la police qui vous a caché qu’ils étaient les victimes d’une action politique tout aussi lâche. Nous ne sommes pas des héros. Mais vous, vous pouvez changer les choses. Simplement en vous posant des questions. En vous renseignant. Je ne vous demande pas de nous rejoindre, ou d’agir avec nous. Je vous demande simplement d’y penser, un peu.

- C’est bon, je peux y aller ? demanda l’innocente petite voix d’un enfant.

- Oui Kazumi, tu peux.

­­- Alors, on vous le dit comme ça vous savez, on sera tous ensemble à Disney le 16 octobre 2073 pour les 150 ans de la Walt Disney Company !

La caméra coupa, libérant la France du visage innocent de l’enfant aux yeux de sang.

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